La Cour du Québec donne raison à Gaspé Énergies
Radio -Canada
2021-11-18 08:35:00
Ce jugement de la Cour du Québec est le premier test juridique de la nouvelle Loi sur les hydrocarbures adoptée en 2016 et des réglementations, adoptées par les libéraux en septembre 2018.
La demande de permis de Gaspé Énergies était d’ailleurs la toute première à être étudiée en vertu de cette législation.
D’après le tribunal, le ministre Jonatan Julien ne pouvait pas refuser un permis de forage au puits Galt no 6, près de Gaspé, en vertu de l’article 23 du Règlement sur les activités d’exploration, de production et de stockage d’hydrocarbures.
L’article détermine les distances à respecter entre un forage et le milieu hydrique. C’est sur la base de cet article que le ministre Julien a dit non en octobre 2020 à la demande d’autorisation de forage de Gaspé Énergies, une filiale de Ressource Utica.
Le titulaire d’une licence ne peut mener les activités visées à l’article 22 à moins de 1000 m d’un milieu hydrique. Toutefois le ministre peut réduire cette distance si le titulaire lui démontre que ses activités ne compromettent pas l’intégrité et la conservation du milieu hydrique.
À la demande du ministre, le titulaire étaye sa démonstration en lui soumettant une étude technico-environnementale signée par un ingénieur d’une firme génie-conseil indépendante de toutes les entreprises du titulaire
Dans un long jugement rendu vendredi, le juge Christian Boutin affirme notamment que l’article 23 n'a pas été publié sous forme de projet avant son adoption et contrevient ainsi à la Loi sur les règlements.
L’article doit être déclaré inopérant pour juger de la demande de Gaspé Énergies.
Le juge ajoute que le ministre n'a pas suffisamment motivé son refus.
La cour renvoie donc le dossier au ministère pour qu'il décide de la demande d'autorisation de forage en tenant compte du jugement.
Pouvoir discrétionnaire
Lors des audiences, en mars dernier, Gaspé Énergies, une filiale de Ressources Utica, a fait valoir que le ministre Julien n’avait pas le pouvoir de refuser l’autorisation de forage si les fonctionnaires de son ministère jugeaient que l’intégrité et la conservation des cours d’eau du site n’étaient pas compromises. La compagnie pétrolière a aussi soutenu que le règlement constituait une délégation de pouvoir illégale.
Selon les procureurs du gouvernement, le règlement conférait au ministre un pouvoir discrétionnaire. C’est aussi ce qu’a défendu, entre autres, le Centre québécois du droit à l’environnement (CQDE), qui s’était inscrit comme partie intéressée lors du procès qui s’est déroulé en mars dernier.
Le juge reconnaît que l’article 23 confère une certaine discrétion au ministre, mais n’a pas tenu à analyser d’autres éléments soulevés par Gaspé Énergies comme le fait qu’il s’agissait d’une réglementation imprécise et que la décision du ministre était politique et non scientifique.
Le jugement fait état des nombreux échanges entre le ministère et Gaspé Énergies afin de documenter la demande. Les courriels et la correspondance démontrent que jusqu’au 2 septembre, la demande de Gaspé Énergies cheminait vers une réponse favorable.
C’est à ce moment que le ministre Julien prendra connaissance du dossier. La demande sera refusée le 20 octobre.
Trop peu, trop tard?
Est-ce qu’une autre entreprise pourrait évoquer des raisons similaires pour contester l’article 23. C’est une question qui se pose, commente Me Marc Bishai du Centre québécois du droit de l’environnement, mais elle demeure bien théorique.
Il estime que le jugement n’aura pas d’impacts sur l’exploitation des hydrocarbures au Québec. « On sait que le gouvernement a l’intention de mettre fin aux projets d'exploitation d’hydrocarbures. D’ici à ce qu’un projet de loi soit déposé et adopté, on peut penser qu’il n’y aurait pas d’exploration puisque cela ne mènerait pas à de l’exploitation. » Cette loi, dit-il, viendrait clore toute la question.
Gaspé Énergies, dit-il, comme d’autres entreprises du secteur en est maintenant à l’étape de négocier des indemnités avec le gouvernement.
Me Bishai rappelle que le CQDE a publié récemment une étude selon laquelle Québec a en main tous les outils pour ne pas verser de compensations financières. « Le fait d’indemniser ces entreprises, c’est un choix politique. Après il y a la question du montant de l’indemnisation. C’est sûr que les contribuables vont suivre cette question avec beaucoup d’intérêt et souhaiter que les fonds soient plutôt investis dans la transition énergétique. »
La suite des événements repose donc, selon l’avocat, sur la volonté du gouvernement de déposer rapidement un projet de loi et de l’adopter, barrant ainsi la route à tous les autres projets et même à des demandes d’indemnisation.