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La justice américaine va survivre à Trump

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Jean-Francois Parent

2017-10-26 10:15:00

Les attaques du président n'ébranlent pas le pouvoir judiciaire, dit un juge de la Cour suprême des États-Unis…
La juge à la Cour suprême du Canada, Suzanne Côté
La juge à la Cour suprême du Canada, Suzanne Côté
Mais la confiance des citoyens envers la justice, elle, doit être renforcée.

C'est l'un des messages livrés par le juge américain Stephen Breyer, nommé à la Cour suprême des États-Unis par l'administration Clinton, en 1995.

Le juge Breyer répondait à l'invitation du Conseil des relations internationales de Montréal, cette semaine. Le CORIM l'invitait à deviser sur l'état du droit américain et sur sa politisation, perçue comme étant sans cesse grandissante. La juge à la Cour suprême du Canada, Suzanne Côté, participait aussi à l’événement.

Alors que l'administration de Donald Trump se distingue par son isolationnisme et son unilatéralisme, le droit, lui, ne peut rester renfermé sur lui-même. « Nous ne sommes pas des experts, nous n'avons pas toutes les réponses. Il faut parfois aller voir ce qui se fait ailleurs afin de rendre une bonne décision », plaide Stephen Breyer.

À l'heure de la mondialisation et de l'interdépendance, la jurisprudence ne peut s'établir en vase clos. Et contrairement aux signaux qui semblent émaner de l'actuelle administration américaine, le judiciaire reconnaît que le monde change, assure le juge Breyer.

Ouverture sur le monde

Ainsi, dans les affaires commerciales, le droit d'auteur et plusieurs autres sujets, la Cour suprême américaine fait de plus en plus référence à ce qui se passe dans d'autres juridictions. « On nous oppose que nous jugeons des affaires locales, mais le local et l'international ne sont pas deux forces contraires : pour résoudre les problèmes locaux, il faut savoir ce qui se passe ailleurs. »

Même le juge Antonin Scalia, qui appartenait au courant ultra conservateur de l'appareil judiciaire américain, « se référait à des jugements rendus dans l'Union européenne pour des affaires de droit d'auteur », relate le juge Breyer.

Le juge Scalia, nommé à la cour suprême en 1986
Le juge Scalia, nommé à la cour suprême en 1986
Le juge Scalia, nommé à la cour suprême en 1986 par Ronald Reagan, insistait pour interpréter la constitution dans son sens le plus traditionnel, dans le contexte de sa rédaction et de son époque. Il a même voulu renverser Roe c. Wade, le jugement historique statuant que l'accès à l'avortement était un droit constitutionnel.

Le juge Breyer fait quant à lui partie du noyau progressiste de la Cour suprême, votant systématiquement contre les restrictions à l'avortement, pour le contrôle des armes à feu et pour des contraintes à l'argent privé en politique.

Il articule d'ailleurs sa pensée juridique dans plusieurs ouvrages, dont certains recensent d'ailleurs les dissidences qu'il a rédigées au fil des ans.

Il soutient ainsi que le juge doit tenir compte des tenants et des aboutissants—traduction libre de « purpose and consequence »—de ses jugements.

Le contexte

Sans compter que le contexte est essentiel au raisonnement juridique, croit-il.

C'est ainsi qu'il s'est joint à la majorité dans chacun de deux verdicts contradictoires rendus par la Cour suprême en 2005.

Les deux jugements portaient sur l'affichage des 10 commandements bibliques sur la façade de palais de justice de deux États du Sud, le Texas et le Kentucky.

Au Texas, le juge Breyer a estimé que l'affiche était constitutionnelle, parce que les 10 commandements étaient affichés depuis deux générations et que personne ne s'en était plaint. Ils faisaient donc partie du paysage, contrairement au Kentucky, où le pastiche des tables de Moïse était récent et suscitait d'emblée la controverse. Les 10 commandements du Kentucky ont donc été jugés inconstitutionnels.

La justice, c'est donc, notamment, de tenir compte des impératifs du contexte et de la règle de droit, et de faire l'arbitrage de cette dualité.

Politisation de la justice

Plusieurs se demandent si une trop grande politisation du système judiciaire américain ne nuit pas au respect de la règle de droit.

N'y a-t-il pas eu des candidats aux présidentielles affirmant qu'ils allaient nommer des juges plus près de leurs valeurs?

Le juge américain Stephen Breyer, nommé à la Cour suprême des États-Unis
Le juge américain Stephen Breyer, nommé à la Cour suprême des États-Unis
« Il est vrai que nous avons tous nos opinions. On ne se refait pas », concède le juge Breyer, lui-même originaire d'un des bastions progressistes de la côte Ouest, San Francisco. Mais si un président pense qu'il peut dire quoi faire à un juge, il sera déçu, poursuit-il. « On peut penser, ou craindre, qu'un candidat à la présidence nous influencera, mais ce n'est pas comme ça que ça se passe », assure le magistrat d'allégeance démocrate.

D'abord, il faudra plusieurs années pour que la volonté de l'exécutif n'atterrisse dans les affaires courantes de la Cour suprême, qui recevrait quelque 8000 demandes par années.
Ensuite, « une fois qu'on porte la toge, on doit écouter la loi. Si un juge rend une décision en suivant son idéologie, il saura qu'il a tort », dit-il, assurant que le sérieux de la magistrature, et de la fonction, permet de résister aux trafics d'influence.
Il reste que le système est perfectible.

Moins pire… que durant la guerre de sécession!

Abolir l'élection des magistrats, dans un pays où 39 États sur 50 maintiennent cette pratique, serait un pas dans la bonne direction. « Avez-vous envie d'être jugé par quelqu'un qui veut être réélu? », demande le juge Breyer.

Poser la question, c'est y répondre.

Il reste que l'indépendance du judiciaire est de plus en plus forte, soutient Stephen Breyer.

Et ce n'est pas Donald Trump qui y changera quelque chose.

« Les attaques dont nous sommes l'objet sont beaucoup moins violentes que celles subies pendant la guerre de Sécession. Ça fait depuis le XVIIIe siècle qu'on nous attaque », rétorque Stephen Breyer.

Celui qui a commencé sa carrière comme conseiller juridique d'un certain sénateur du nom de John F. Kennedy dresse cependant le portrait d'un système de justice qui a longtemps hésité face au pouvoir exécutif.

L'ordre d'interner 70 000 citoyens américains d'origine japonaise, pendant la Deuxième Guerre mondiale, n'a ainsi pas provoqué de remous dans la magistrature. « Pourtant, rien ne justifiait l'internement! Mais les juges n'ont rien dit », relate Stephen Breyer. La critique est venue après la mort du président Roosevelt, timidement. « On a dit qu'il était allé trop loin. »

Les choses ont changé tranquillement pendant la guerre de Corée, sous Truman. Même si on jugeait que la conduite de la guerre n'était pas du ressort des juges, on a tout de même émis des réserves : « Là, on a dit que la Constitution ne donnait pas carte blanche au président pour faire ce qu'il voulait. »
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5 commentaires
  1. DSG
    Politisation de la justice
    All that conservatives in the U.S. want is for judges to apply the laws as written and to respect the constitution and legislative branches. They want to avoid the judicial activism such as what we are currently experiencing in Canada. Here the Supreme Court is taking actions that impede the powers of the legislative and executive branches of government, such as legalizing prostitution and applying warped interpretations of the constitution which allow terrorists to receive multi-billion dollar payouts, all without any consideration to the will of the people.

    Love him or hate him, Trump was democratically elected and so far all his actions were within his powers and for the purpose of implementing policies for which he was elected. The court has the power to strike down any policy that violates the constitution, but under the American system they have no right to influence policy making of the president.

    And if they are having a discussion on the politics in the judicial system, I think that it's extremely politically incorrect to have a woman who represented big tobacco sit on the bench of the highest court in the country.

    • AC
      ...
      *Yawn*

  2. A. Nonyme
    A. Nonyme
    il y a 7 ans
    Me
    Bravo DSG, you have outdone yourself dear troll.

  3. Anonyme
    Anonyme
    il y a 7 ans
    Right
    "Le juge Scalia, nommé à la cour suprême en 1986 par Ronald Reagan, insistait pour interpréter la constitution dans son sens le plus traditionnel, dans le contexte de sa rédaction et de son époque."

    Except of course when he didn't such as interpreting the 2nd Amendment to allow individuals to carry semi-auto weapons, thereby forgetting the whole militia part of that provision and the weapons of that era.

  4. DSG
    Too bad
    This would have been an interesting discussion, but unfortunately no one took DSG seriously. Perhaps he only has himself to blame.

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