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Un jugement de 28 Millions pour une négligence médicale

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Didier Bert

2025-02-20 15:00:28

La Cour supérieure du Québec octroie un montant record aux parents d’une victime d’une négligence médicale. La maman était avocate dans un grand cabinet…

C’est à un montant sans précédent au Canada que la juge Marie-Claude Lalande de la Cour supérieure a condamné un médecin reconnu coupable de négligence. Ce dernier a fait appel du jugement.

Alexandre Brosseau-Wery, Arthur J. Wechsler - source : Kugler Kandestin

Au total, la Cour supérieure condamne le médecin à verser plus de 28 millions de dollars aux parents de la victime. La mère est une avocate qui exerçait dans un grand cabinet d’affaires avant la négligence médicale subie par son fils.

Dans cette affaire, il est admis que la négligence du Dr Radomir Jarcevic a conduit à ce que Charles Hayes, né en 2017, soit affligé de nombreux problèmes de santé.

C’est que, lorsque la mère de l’enfant, Caroline Beaudoin, se présente à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont pour donner naissance à son fils, la monitorage du fœtus montre un tracé atypique.

Or, le médecin ne met pas en place de surveillance étroite, bien qu’il soit avisé de cette observation. Des décélérations se succèdent et le tracé devient anormal. « Malgré cela, le Dr Jarcevic inscrit à ses notes d’évolution, que les décélérations sont non compliquées, alors que les critères sont satisfaits pour conclure à des décélérations compliquées », constate le jugement de la Cour supérieure.

Le Dr Jarcevic procède à une césarienne d’urgence plus de deux heures après avoir été avisé pour la première fois du tracé atypique. L’enfant cesse de respirer et doit être réanimé.

Désormais, Charles Hayes souffre de paralysie cérébrale, de dysphagie (impossibilité de déglutir, ndlr), d’épilepsie et de retard global de développement.

Trois vies et une carrière de future associée sacrifiées

À présent, l’enfant se déplace en poussette, doit être nourri à chaque repas, et ne dispose d’aucune autonomie. Il aura besoin de soins et d’aides pour le reste de sa vie. Il ne pourra pas parler ni travailler.

« En demeurant nuit après nuit en mode écoute, les deux parents paraissent complètement dépassés et au bout de leur rouleau », décrit le jugement.

« Non seulement Madame Beaudoin consacre tout son temps pour s’assurer que Charles puisse bénéficier des soins que son état requiert, jour après jour, depuis sept ans, mais en plus, une fois couché, Charles continue d’être au centre de ses préoccupations. Monsieur Hayes n’est pas en reste. Il demeure également alerte tout au long de la nuit et doit être en forme le lendemain matin pour aller travailler. »

L'obtention de l'équipement nécessaire à l’enfant est une véritable lutte. « Le récit de Madame Beaudoin permet de comprendre que toute demande pour l’obtention d’une pièce d’équipement spécialisé constitue un combat. Les efforts déployés pour obtenir un fauteuil adapté dépassent le caractère raisonnable. La lourdeur du système et le roulement de personnel rendent la tâche très difficile pour les proches aidants. »

La condition médicale de l’enfant nécessite une attention de tous les instants, ce qui bouleverse l’activité professionnelle de ses parents. Caroline Beaudoin aurait pu devenir associée en équité au sein d’un grand cabinet, où elle exerçait comme avocate avant la naissance de son fils, selon les témoignages de dirigeants du cabinet. Elle a abandonné sa carrière pour s’occuper de son fils.

La décision de la juge Lalande décrit la situation de Me Beaudoin dans le cabinet où elle pratiquait:

« Avant de partir en congé de maternité, elle avait consacré en une seule année plus de 100 heures au développement des affaires en participant à de multiples événements. En outre, elle était déjà responsable de 48 dossiers et faisait partie de l’équipe stratégique d’intervention du Cabinet. »

L’avocate suivait une progression de carrière prometteuse:

« Au fil des années, sa pratique l’a mené graduellement vers le litige en droit bancaire, en droit de la faillite et de l’insolvabilité. C’est dans ce contexte qu’elle est alors appelée à collaborer de manière plus intense avec l’associé responsable du groupe exerçant en litige bancaire. »

Cet associé qui se décrit comme un « patron exigeant » a témoigné que Mme Beaudoin « a démontré des aptitudes extraordinaires et qu’en moins de deux ans, elle est devenue une ressource incontournable pour l’équipe de droit bancaire. En outre, il souligne à quel point le travail de Madame Beaudoin était apprécié de tous. »

L’associé affirme que « Madame Beaudoin représentait une valeur sûre. Il la voyait devenir associée au sein du Cabinet après sept ou huit ans de pratique. »

Les représentants du défendeur tentent « d’attaquer la crédibilité de Madame Beaudoin et la dépeindre comme une personne socialement anxieuse et n’ayant pas d’aptitudes en développement de la clientèle, mais sans succès », écrit la juge Lalande, alors que les témoignages du cabinet, de Mme Beaudoin et la preuve documentaire démontrent qu’elle était « était une avocate déterminée et capable de gérer un niveau de pression élevé ».

Depuis la naissance de Charles, Mme Beaudoin a perdu ses cercles sociaux, tout comme Jean-Michel Hayes. Tous deux sont tombés en dépression. Le père n'a pas pu conserver son emploi dans le domaine de la finance, en raison des besoins de son fils.

Le tribunal conclut également à une perte de revenus pour Charles Hayes, calculée à partir des 57,3 % de chances qu'il avait de faire des études universitaires sachant que ses deux parents en ont eux-mêmes suivies.

Un traité sur l’indemnisation

Caroline Beaudoin et Jean-Michel Hayes, les parents et tuteurs de leur fils Charles Hayes, réclamaient des dommages subis à la suite de la faute commise par le Dr Jarcevic.

Emmanuelle Poupart -source : McCarthy Tétrault

Pour déterminer le montant de ces dommages, la juge Marie-Claude Lalande a procédé à une analyse exhaustive, qualifiée de « véritable traité sur l’indemnisation du préjudice corporel » selon l’un des avocats des deux demandeurs, Me Alexandre Brosseau-Wery associé au sein du cabinet Kugler Kandestin, qui les a représentés avec Me Arthur J. Wechsler, associé directeur du cabinet, et Me Jérémie Longpré qui a depuis quitté le cabinet.

Le Dr Radomir Jarcevic était représenté par Me Emmanuelle Poupart, associée directrice pour le Québec chez McCarthy Tétrault, et par Me Simon Chamberland, qui a depuis été nommé juge de la Cour supérieure.

Sur la base de rapports d’expertise, la juge Lalande déclare que l’espérance de vie de l’enfant est de 45 ans. Elle détaille le nombre d'heures de soins dont il aura besoin chaque jour et chaque nuit durant sa vie - à savoir 14 heures par jour en semaine et 21 heures par jour en fin de semaine, puis 24 heures par jour à partir de l’âge de 21 ans -, ainsi que le taux horaire de ces soins. La juge déclare aussi que Charles Hayes a le droit de se faire rembourser les équipements spécialisés requis en raison de sa condition médicale.

Le Dr Radomir Jarcevic est condamné à payer aux parents de l’enfant, en leur qualité de tuteurs:

8 451 095 $ à titre de soins futurs,

1 019 909$ à titre de revenus futurs,

390 028 $ à titre de dommages non pécuniaires,

1 255 346 $ à titre de frais de gestion,

691 317 $ à titre de provisions pour impôts.

De plus, Caroline Beaudoin recevra :

272 212 $ à titre de perte de revenus passés,

9 758 589 $ à titre de dommages pour perte de revenus futurs,

250 000 $ à titre de dommages non pécuniaires,

75 000 $ à titre de dommages pour les soins passés.

En outre, Jean-Michel Hayes recevra :

200 000 $ à titre de dommages non pécuniaires,

75 000 $ à titre de dommages pour les soins passés.

Le médecin devra également payer les frais d’experts aux parents et tuteurs de l’enfant.

Un montant record

D'après ses recherches, Me Alexandre Brosseau-Wery affirme que le montant total est le plus élevé pour une perte en matière de négligence médicale à travers le Canada. Cependant, « le tribunal ne fait qu’appliquer des principes reconnus d'indemnisation. La perte de revenus est très élevée pour la mère, parce qu'elle serait devenue associée d'un grand cabinet d’avocats », souligne-t-il.

Par ailleurs, l’analyse de la Cour supérieure refuse de déduire du calcul du coût des soins futurs la valeur des soins qui pourraient être obtenus du régime public de santé, dans la logique de la décision de la Cour d’appel dans l’arrêt M.G. c. Pinsonneault. La Cour d’appel a reconnu que, dans certaines circonstances, les soins devront être fournis par le secteur médical privé.

Dans l'affaire présente, seules quelques heures pourraient être prises en charge par le système public alors que la plupart des soins ne peuvent être fournis que par le privé, explique Me Alexandre Brosseau-Wery. La juge Lalande a reconnu qu'il était préférable pour la famille d'aller chercher les soins auprès d'un seul interlocuteur, car il serait trop compliqué d'avoir un mélange de soins de différentes provenances.

« Nous sommes très heureux et fier d'avoir obtenu un tel résultat pour la famille, pour laquelle nous avons beaucoup de sympathie », commente Me Brosseau-Wery.

Le défendeur a déposé un appel du jugement de la Cour supérieure. Son avocate, Me Poupart, n’a pas souhaité commenter l’affaire.

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