Nouvelle offensive pour forcer la Cour suprême à traduire toutes ses décisions
Radio-canada Et Cbc
2024-05-10 13:15:55
Un organisme québécois porte plainte à son tour auprès du Commissaire aux langues officielles du Canada. Il se dit prêt à poursuivre la Cour suprême s’il le faut.
Insatisfait de l’inaction de la Cour suprême face à ses obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles (Nouvelle fenêtre) (LLO), un organisme québécois a déposé une nouvelle plainte à ce sujet auprès du Commissaire aux langues officielles (CLO), dont Radio-Canada a obtenu copie. Droits collectifs Québec est même prêt à poursuivre le plus haut tribunal au pays pour le forcer à respecter ses obligations.
Ce nouvel effort survient plus de trois ans après qu’une avocate de Montréal s'est plainte de l’absence de traduction dans les deux langues officielles pour toutes les décisions de la Cour suprême rendues avant l’entrée en vigueur de la LLO en 1970 et disponibles en ligne.
Le CLO lui avait alors donné raison en considérant que l’offre en ligne des décisions « constitue une communication au public faite par une institution fédérale » et devait donc être offerte en français et en anglais.
Malgré la décision du Commissaire, la Cour suprême n’a toujours pas traduit ses décisions, sous prétexte qu'elle n'a pas les ressources financières, humaines et de temps.
Devant cette absence de mesures du tribunal pour se conformer à la recommandation du commissaire, Droits collectifs Québec a décidé de déposer à son tour une plainte auprès du CLO. Cette nouvelle plainte se fonde sur les mêmes faits que la plainte de l’avocate de Montréal.
Pourquoi alors déposer une seconde plainte à propos d’une situation qui a déjà fait l’objet d’une décision et d’une recommandation du CLO? La réponse se trouve dans la Partie X de la LLO sur les recours judiciaires.
L’organisme se dit prêt à recourir à cette partie de la LLO pour intenter une poursuite en cour fédérale afin de faire respecter les droits linguistiques. Son directeur général, Étienne-Alexis Boucher, souhaite ardemment que le plus haut tribunal du pays se soumette à ses obligations linguistiques sans qu’un recours soit nécessaire.
Il note par ailleurs qu’un tel recours pourrait potentiellement se retrouver devant la Cour suprême qui serait alors juge et partie. Étienne-Alexis Boucher maintient que la Cour doit se conformer aux règles et il rappelle que ce tribunal a forcé le Manitoba à traduire l’ensemble de ses lois en français en 1985 afin de respecter sa loi constitutionnelle.
Selon Droits collectifs Québec, la Cour suprême doit respecter la LLO qui a été jugée quasi constitutionnelle.
La Cour suprême du Canada a refusé de commenter ce dossier en notant « qu’elle pourrait faire l’objet d’un recours. Pour sa part, le CLO n’est pas en mesure d’accorder une entrevue à ce sujet puisqu’une enquête est en cours ».
Une initiative qui reçoit des appuis
Cette nouvelle tentative de pousser le plus haut tribunal au pays à traduire l’ensemble de ses décisions reçoit un soutien de la part de juristes francophones.
Le président de la Fédération des associations de juristes d’expression française de common law, Justin Kingston, souligne que l’objectif de la récente mise à jour de la LLO était justement de donner plus de recours aux justiciables et plus de « dents » à cette loi.
Il ne ferme pas la porte à prendre part à un éventuel recours devant la Cour fédérale.
L’avocat constitutionnaliste fransaskois Roger Lepage a défendu à maintes reprises les droits de la minorité linguistique francophone hors Québec.
Il note que, dans l’état actuel des choses, un avocat peut être forcé de faire traduire certaines décisions fondamentales de la Cour suprême rendues avant 1970 et qui sont encore invoquées devant les tribunaux. Il estime que ces traductions seraient utiles pour les avocats qui doivent consulter ces décisions ou y avoir recours.
Sans se prononcer sur la valeur légale des arguments que pourrait proposer Droits collectifs Québec, Roger Lepage estime que ce dossier ne doit pas être seulement considéré d’un point de vue juridique.
L’avocat fransaskois estime par ailleurs ne pas avoir de problème à ce que la Cour suprême se penche éventuellement sur cette question si un recours est déposé et porté en appel jusqu’à elle.
Il rappelle que le plus haut tribunal a dû interpréter la loi sur sa propre composition lorsque le gouvernement de Stephen Harper a voulu nommer le juge Nadon à la Cour suprême. Cela a créé un précédent qui pourrait s’appliquer à une éventuelle contestation judiciaire.