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Poursuite contre un couple gai pour atteinte à la réputation d’une clinique de Guelph

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Radio -Canada

2022-02-03 12:30:00

Les intimées ont déposé une contre-poursuite contre le plaignant qui utilise la loi ontarienne sur les poursuites-bâillons…
M. Trudeau tient en main le drapeau unifolié gai lors du défilé de Toronto en 2016. Source: CBC
M. Trudeau tient en main le drapeau unifolié gai lors du défilé de Toronto en 2016. Source: CBC
À Toronto, un couple de lesbiennes tente de contrecarrer devant les tribunaux une poursuite de 6 millions de dollars que le propriétaire d'une clinique d'imagerie médicale de Guelph a déposée contre elles pour atteinte à sa réputation. Elles citent notamment des gazouillis de l'homme d'affaires au sujet de Justin Trudeau qu'elles jugent homophobes.

Probhash Mondal a publié en juin 2019 des gazouillis à l'endroit du premier ministre Justin Trudeau et du maire John Tory, en se posant des questions sur leur présence aux célébrations de la Fierté gaie de la métropole.

Ses microbillets sur le compte professionnel Twitter UBMICO avaient entraîné une vive réaction en chaîne de la part de Stephanie Evans-Bitten, qui avait continué à dénoncer les vues de l'homme d'affaires jusqu'en 2021.

Les quatre microbillets controversés de M. Mondal ont depuis été effacés et le compte Twitter en question n'existe plus, mais les deux parties ont des captures d'écran qui font foi de leur existence.

Mme Evans-Bitten avait enjoint à la communauté LGBTQ+ de se tenir loin de la clinique de l'homme d'affaires pour ses propos qu'elle avait qualifiés d'homophobes et de transphobes.

Des gazouillis controversés

M. Mondal y écrivait par exemple que « Justin Trudeau a souillé le drapeau canadien » en arborant l'unifolié au couleur de l'arc-en-ciel durant le défilé de juin 2019 [le rouge est remplacé par le drapeau gai et la feuille d'érable reste au centre sur fond blanc, NDLR].

De plus, il s'interrogeait à savoir si « le premier ministre est atteint de vexillophobie » (la peur des drapeaux, NDLR) et que « l'unifolié gai n'est pas le vrai drapeau du Canada ».

Dans un autre gazouillis, il écrivait que « Justin Trudeau n'est pas notre premier ministre » et qu'« il n'est pas un soldat prêt à risquer sa vie au combat ».

M. Mondal ridiculisait par ailleurs le geste de John Tory, qui avait glissé dans le porte-jarretelles d'une personne transgenre ce qui ressemble à un billet de banque.

Le gazouillis en question affichait la photo du maire devant le postérieur d'une personne transgenre penchée vers l'avant et vêtue d'une lingerie noire.

M. Mondal y écrivait : Voici comment John Tory prend soin de sa ville; eh Johnny, où sont les ''trannies''? Torontois, voici comment votre maire utilise votre argent.

Dans un quatrième gazouillis, il affichait une photo montrant apparemment une personne transgenre debout, à moitié vêtue, dans un cabinet d'imagerie médicale.

Il y écrivait sous forme de légende : Un homme qui s'identifie comme une femme est invitée à passer un frottis du col de l'utérus. Ne voyez-vous donc rien d'anormal, devons-nous prétendre que c'est ok?, s'interroge-t-il en adressant la parole à @ontariodoctors.

Une contre-attaque immédiate

La controverse a finalement culminé le 11 juin 2021, lorsque l'intimée, Stephanie Evans-Bitten, a lancé une alerte sur Twitter pour avertir la communauté LGBTQ+.

Elle y écrivait : « J'aimerais rappeler aux leaders de #Guelph que les résidents gais de notre municipalité sont forcés d'obtenir des diagnostics à l'extérieur, parce que la clinique Guelph Medical Imaging Inc. est dirigée par un homme qui publie ce genre de chose ».

Elle affichait ensuite les tweets controversés du plaignant.

Lors d’une audience en ligne mercredi, l'avocat des intimées, Marcus McCann, passe en revue les microbillets du plaignant, en faisant d'abord valoir que le terme ''tranny'' dans la communauté gaie est jugé « dénigrant » pour désigner les personnes transgenres.

« Les personnes transgenres nées dans des corps d'homme ne sont plus des hommes, mais bien des femmes », dit-il.

Me McCann ajoute que tous ces gazouillis sont « irrespectueux », « insultants », « dégoûtants », « homophobes » et « transphobes » et que M. Mondal se moque de deux politiciens.

« On ne parle ni de satire ni de parodie dans ce cas-ci, et les propos de M. Mondal étaient sincères et il a choisi de les formuler dans la sphère publique durant le mois de la Fierté gaie », poursuit-il.

L'avocat ajoute que M. Mondal n'a toujours montré aucun remords pour ce qu'il a écrit. « Il n'a jamais dit qu'il se dissociait de tels propos et il continue même à les défendre, bien qu'il les ait effacés », ajoute-t-il.

Le magistrat Ed Morgan, de la Cour supérieure de l'Ontario, l'interrompt et lui rappelle que les gens sur Twitter ont le droit à leurs opinions politiques et qu'ils peuvent s'attendre à ce que leurs publications entraînent des réactions négatives.

Me McCann lui répond que « M. Mondal est contrarié parce que [s]a cliente a attiré l'attention du public sur ses perceptions sur la communauté LGBTQ+ », tout en admettant qu'elle avait bien écrit qu'il était homophobe.

Il cite un gazouillis de sa cliente dans lequel elle dit s'être sentie insultée par les propos de M. Mondal.

Mme Evans-Bitten avait par ailleurs souligné sur Twitter que les conservateurs de Doug Ford s'étaient vivement opposés au nouveau programme d'éducation sexuelle des libéraux sur les notions d'homosexualité et de couples de même sexe.

Avant la controverse, M. Mondal s'affichait volontiers en compagnie de politiciens comme Andrew Scheer, Erin O'Toole, Jason Kenney, Doug Ford et Stephen Lecce [l'actuel ministre ontarien de l'Éducation, NDLR] et apposait leurs photos dans sa clinique.

La requête de la défense du couple de lesbiennes est en fait une contre-poursuite contre le plaignant qui recourt à la Loi ontarienne sur les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique.

Définition des lois SLAPP et anti-SLAPP

Les poursuites stratégiques sont des tactiques que des particuliers ou des sociétés utilisent pour réduire au silence leurs critiques. La loi SLAPP permet ainsi des actions en justice qui prennent le plus souvent la forme d'une poursuite civile pour diffamation et qui est intentée contre un individu ou un organisme, qui a pris parti dans le cadre d'un enjeu d'intérêt public. La loi anti-SLAPP protège en revanche le droit à la participation aux affaires publiques et à mettre fin aux poursuites-bâillons.


La défense du couple argumente que ses clientes ne faisaient qu'alerter la communauté LGBTQ+ concernant les publications de M. Mondal sur Twitter.

Me McCann évoque l'intérêt public de la cause. Il affirme que le gazouillis de sa cliente n'était ni malhonnête, ni injurieux, ni malicieux. « Son microbillet n'a fait que rapporter des faits véridiques », dit-il.

Il soutient que M. Mondal ne peut faire de politique partisane dans sa clinique, puisqu'il doit accorder des services sans discrimination à la population de Guelph et que sa clinique reçoit en outre des fonds publics.

« M. Mondal est en outre lui-même responsable de la controverse », poursuit-il.

L'avocat ne comprend pas en outre que la conjointe de sa cliente, Katryn Evans-Bitten, soit nommée dans cette poursuite, puisqu'elle n'a rien écrit de compromettant. Il y voit un geste d'intimidation gratuit.

Il rappelle que M. Mondal s'est présenté un jour chez sa cliente vêtu d'un uniforme médical après la publication de son gazouillis du 11 juin 2021 pour lui demander de l'effacer et qu'il l'a ensuite appelée au téléphone pour les mêmes raisons.

Il ajoute que sa cliente a eu peur au point de porter plainte à deux reprises contre M. Mondal pour harcèlement, la seconde fois après qu'il eut écrit sur les réseaux sociaux que Mme Evans-Bitten était « dérangée ».

Me McCann souligne que la police avait d'ailleurs donné un avertissement à M. Mondal après la seconde plainte.

« M. Mondal utilise son autorité, sa position dans la société et son argent pour faire taire ma cliente », poursuit-il en affirmant que le propriétaire de la clinique tente de décourager le débat public sur des sujets d'intérêt public.

L'avocat se questionne en outre sur la volonté de M. Mondal de s'en prendre à une étudiante sans emploi. « Peut-être est-ce parce qu'elle a peu de ressources », s'interroge-t-il.

Il assure que la liberté d'expression doit être respectée et souligne que les gais et lesbiennes appartiennent à un groupe minoritaire de la société dont les droits sont garantis par l'article 15 de la Charte.

« Ma cliente s'inquiète de l'homophobie dans la société, elle aborde des sujets inhérents à sa communauté pour briser l'isolement et faire avancer les droits des siens », précise-t-il.

L'avocat demande donc au magistrat d'annuler la poursuite pour diffamation, parce qu'elle n'a aucun fondement.

Les allégations du plaignant

L'avocat de Probhash Mondal accuse Mme Evans-Bitten d’avoir répandu sur Twitter « des faussetés sournoises » qui ont porté ombrage à la clinique de son client.

John Chapman assure que M. Mondal n'est ni homophobe ni transphobe et qu'il n'existe aucune preuve à ce sujet. Il répète en outre que son client regrette aujourd'hui certaines de ses publications sur Twitter.

Me Chapman ajoute néanmoins que les propos des intimées ont porté atteinte à la réputation professionnelle de son client, qui a perdu de l'argent dans la mésaventure.

« C'est une diffamation sérieuse que d'encourager les citoyens sur Twitter à ne pas fréquenter un commerce, alors que la compagnie de mon client a toujours traité les résidents de Guelph sans discrimination », dit-il.

Il explique que son client a perdu des ventes depuis le gazouillis du 11 juin 2021 et que le montant des pertes atteint 300 000 $, soit environ 5 % de son chiffre d'affaires annuel.

Me Chapman précise que les gazouillis de Mme Evans-Bitten étaient malveillants, parce qu'elle insinue que les conservateurs sont tous homophobes et que le ministre Lecce s'est même prononcé contre l'éducation sexuelle sur l'homosexualité.

Le juge lui fait remarquer que « personne ne devrait se plaindre de s'être brûlé après avoir sauté dans un brasier ».

« Les mots "homophobe" et "transphobe" sont néanmoins très durs », lui répond l'avocat.

Il affirme que les propos tenus sur Twitter ne peuvent protéger leurs auteurs contre toute poursuite civile sous prétexte qu'on peut y dire n'importe quoi à l'emporte-pièce. « Où doit-on tracer la frontière entre ce qui est permis et ce qui est interdit ? » s'interroge-t-il.

Me Chapman précise enfin que la poursuite n'en est qu'à ses débuts, que les allégations de son client n'ont pas encore été prouvées devant un tribunal et qu'il est nécessaire de rejeter la requête de la partie adverse pour laisser la justice suivre son cours.

Si la demande de Mme Evans-Bitten est rejetée, la poursuite pourra aller de l'avant et son dénouement pourrait avoir un impact sur la façon dont la communauté LGBTQ+ se défend ou s'affiche sur les médias sociaux.
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