Godbout acquitté d'accusations de production de pornographie juvénile
Radio -canada
2020-09-25 11:15:00
Il s’agit d’une victoire éclatante pour l’écrivain québécois, selon son avocat Jean-Philippe Marcoux, qui se réjouit aussi de cette décision de 54 pages rendue par le juge Marc-André Blanchard.
Ce dernier y souligne le caractère large des dispositions législatives contenues dans le Code criminel en ce qui a trait à la pornographie juvénile, depuis leur modification en 2005. Un vaste pan d’une certaine littérature pornographique, contenant des passages de pédopornographie, se trouve visé par cette nouvelle définition du Code criminel, explique Marc-André Blanchard.
Ainsi, selon le juge, nombreuses sont les personnes et les institutions publiques, dont les bibliothèques et les librairies, qui risquent de se retrouver en position de faire l’objet d’accusations de possession ou de distribution de pornographie juvénile puisqu’elles possèdent, prêtent ou vendent de telles œuvres.
Le juge affirme par ailleurs qu’il est important de distinguer entre le matériel qui expose une réalité tangible, des vidéos ou des photos et même des dessins par exemple, d’avec une fiction littéraire.
Selon l'avocat d'Yvan Godbout, « plus de 95 % des dossiers de pornographie juvénile qu’on voit dans les tribunaux concernent des matériaux vidéos et photos. Pour Me Jean-Philippe Marcoux, la loi demeure constitutionnelle pour quelqu’un qui va activement encourager le passage à l’acte dans un écrit. Ce sont les récits qui ne font que décrire ces activités-là, comme dans le cas du roman d’horreur de mon client, qui ne pourront plus être accusés en fonction de la loi actuelle. »
Le roman d’horreur Hansel et Gretel est paru aux éditions AdA inc. en 2017, dans la collection Les contes interdits, et contient, dans ses 250 pages, un passage décrivant en termes explicites le viol d’une fillette.
L’extrait avait fait l’objet d’une plainte à la Régie intermunicipale de police Thérèse-De Blainville en janvier 2018. Quelques mois plus tard, des policiers de la Sûreté du Québec avaient arrêté M. Godbout et mené une perquisition à son domicile du quartier Saint-Sauveur, à Québec, ainsi qu'à la maison d’édition AdA, située à Varennes.
Dans sa décision, le juge Blanchard ouvre par ailleurs une parenthèse pour évoquer « le caractère étonnant, pour ne pas dire exorbitant des moyens déployés par les policiers pour procéder à l’arrestation de M. Godbout et à la saisie de son matériel électronique. Il rappelle que l’auteur québécois n’était pas un pédophile potentiel qu’il s’agit de coincer, mais plutôt un auteur (…) qui vend son œuvre au grand jour et au public. »
« C’est un poids très lourd qui était sur les épaules de mon client depuis plusieurs années. (…) On est vraiment heureux du résultat pour la liberté d’expression en général. »
S’il avait été jugé coupable en vertu des dispositions actuelles, M. Godbout risquait une peine de prison allant de 1 à 14 ans. Le juge a clairement constaté que cette loi allait trop loin, réagit Me Marcoux.
L’avocat rappelle aussi que le juge a également pris en compte l’impact psychologique que cette affaire a eu sur son client, qui affirmait recevoir des messages haineux et menaçants.
« Lui qui adorait écrire se dit incapable de créer depuis et affirme qu’il vit très mal avec le fait qu’on l’accuse de production de pornographie juvénile. »
« Ça lui pesait lourd sur les épaules depuis longtemps, affirme l’avocat de l’auteur, indiquant que son client va devoir attendre 30 jours pour voir si la poursuite va porter le jugement en appel. » - Extrait du jugement
Après cette période, M. Godbout pourrait envisager d’entreprendre des démarches judiciaires en vue d'obtenir une indemnisation pour son préjudice. « En tout cas, le jugement ouvre la porte à des critiques, ça c’est sûr et certain », dit encore son avocat.
Yvan Godbout compte-t-il reprendre l’écriture? « Je sais qu’il a été très affecté comme artiste. Il y avait un effet refroidissant clair pour lui, et son esprit créateur a été mis à mal par cette affaire, répond Me Marcoux. C’est le temps qui va nous le dire. »
Un « soulagement » pour la communauté littéraire
Professeure de littérature à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et directrice du Laboratoire de recherche sur l'art en procès, Mathilde Barraband estime que le jugement représente un soulagement pour la communauté littéraire.
Elle souligne qu’il s’agit de la première décision du genre concernant un récit écrit au Canada.
« Si le livre de M. Godbout avait été jugé pédopornographique, ceux de [l’écrivain français] Marquis de Sade – pour ne prendre qu'un exemple – devraient aussi l'être. Beaucoup de gens de mon entourage se retrouveraient alors en possession de matériel pédopornographique, donc en contravention avec la loi. »
« Je crois bien que le juge a pensé à sa propre bibliothèque et perçu l'absurdité de cette situation », poursuit Mme Barraband, tout en se demandant pourquoi la Couronne a décidé d'aller de l'avant dans ce cas et pas dans d'autres.
Elle affirme par ailleurs que cette poursuite a causé un grand tort à l’écrivain et à son éditeur, « mais aussi, plus symboliquement, à tous les créateurs et leurs diffuseurs, qui pourraient s'autocensurer pour éviter ce qu’a subi M. Godbout. »
« Il reste à voir comment le jugement va cheminer dans les instances de la justice », conclut-elle.
L’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) a, par ailleurs, elle aussi salué la décision du juge Blanchard et le courage de M. Godbout, qui a dû mener un combat éprouvant.
« Son combat est aussi le nôtre », a déclaré Suzanne Aubry, présidente de ce regroupement de plus de 1600 auteurs au Québec.