On jase avec l’avocat d’Yvan Godbout
Camille Laurin-desjardins
2020-10-06 14:15:00
Son avocat, Me Jean-Philippe Marcoux, a lui aussi été soulagé. Si son client a été acquitté, c’est que deux articles du Code criminel ont été déclarés invalides par le juge Marc-André Blanchard, tel que le criminaliste l’avait plaidé.
Le magistrat a déterminé que les alinéas 163.1 et 163.6, portant sur la pornographie juvénile, violent effectivement le droit à la liberté d’expression ainsi que le droit à la sécurité, garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.
Droit-inc s’est entretenu avec celui qui est associé chez Marcoux Elayoubi Raymond Avocats, pour revenir sur cette poursuite hors du commun.
Droit-inc : C'est une longue bataille qui s'est terminée... pour votre client et pour vous?
Jean-Philippe Marcoux : Oui… Surtout pour mon client, ç'a été un lourd fardeau pour lui, de supporter tout ça depuis 2018, quand il a été rencontré pour la première fois par les policiers. Donc, oui, c'est une longue bataille qui se termine en beauté, comme on dit.
Mon client était très émotif, il a beaucoup pleuré.
De notre côté, au cabinet, évidemment, c'est une très grande victoire. On a mis tellement d'efforts et d'énergie, dans ce dossier-là, autant d'un point de vue juridique que factuel... On croyait à fond dans notre position, donc c'est une grande victoire pour tout le monde.
Maintenant, la vraie victoire, quant à moi, va se célébrer après le délai de 30 jours, s'il n'y a pas d'appel.
C’est un jugement majeur, qui va certainement faire jurisprudence…
C'est certain, puisqu’il invalide deux articles du code criminel. Donc ça n’a pas seulement un impact dans le dossier de M. Godbout, mais dans tous les dossiers de gens qui sont susceptibles d'être accusés sous cette forme écrite-là.
On parle vraiment de pornographie juvénile, mais pas de vidéos ou de photos, comme on en voit presque toujours devant les tribunaux...
Le tribunal est arrivé à la conclusion que ces deux articles-là combinés ensemble violent la liberté d'expression consacrée à l'article 2 de la Charte, et la liberté prévue à l'article 7. Que c'était injustifié dans les circonstances, le Procureur général n’étant pas capable de justifier ces violations-là avec la preuve qui était présentée.
Donc, c'est majeur, ça peut avoir un impact dans d'autres dossiers. C'est pour ça que c'est une grande victoire pour la liberté d'expression, de façon plus générale.
C’est un dossier qui était assez particulier, au départ…
Oui. J'ai déjà représenté des gens qui étaient accusés de ce genre de crime, et ça n'avait rien à voir. C'est souvent des photos, des vidéos explicites, très crues... Là, ce n'était pas ça du tout, donc c'était un peu surprenant à la base.
On s'est rendus compte aussi, au fil des procédures, que c'était vraiment juste le livre. Parce qu'au début, je me posais même la question à savoir s'il y avait autre chose que juste le livre... Finalement, c'était vraiment juste ça.
Il y avait beaucoup de questions intéressantes d'un point de vue juridique et intellectuel. Mais pour mon client… c'était la prison qui l'attendait assurément, s'il était condamné. C'est minimum un an de prison, maximum 14 ans, donc c'était lourd à porter.
On l'a vérifié de façon très exhaustive au cabinet, et il n’y a aucun précédent au Canada pour un auteur de livres, un roman d'horreur – un roman point à la ligne – qui a été accusé comme ça, d'un océan à l'autre. C'était vraiment une première.
L'État a mis beaucoup de ressources dans ce dossier-là pour poursuivre mon client. Personnellement, moi qui suis dans le système depuis assez longtemps, j'ai été très surpris.
J'ai été surpris de l'énergie que l'État a mis là-dedans. Du point de vue policier, c'est une chose, mais le DPCP, surtout, avec le type d'accusations portées, l'acte d'accusation privilégié, qui a été déposé dès la comparution, pour empêcher mon client d'avoir une enquête préliminaire, et de forcer un procès devant juge et jury qu'il ne voulait pas...
C'est beaucoup de particularités qui ont fait en sorte que je n'ai pas trop compris, et je ne comprends toujours pas, aujourd'hui, les raisons qui ont motivé le DPCP à agir comme ça, et à maintenir cette accusation-là.
En bout de ligne, j'ai plaidé l'inconstitutionnalité de ces articles-là. Donc c'est le Procureur général du Québec qui est venu défendre la loi – ce qui est usuel, quand on attaque la constitutionnalité d'un article de loi.
Est-ce que c'était votre première idée, depuis le début, de plaider que c'était inconstitutionnel?
Au début, c'est sûr que ce n'était pas le premier réflexe, de s'attaquer directement à la validité constitutionnelle de la loi. Et M. Godbout a eu un choix à faire, parce que quand je l'ai conseillé en ce sens-là, d'attaquer finalement la constitutionnalité de la loi, ça débordait de son débat à lui, c'est un débat pour tous les auteurs.
Il aurait très bien pu décider : « je me défends dans le cadre de mon procès devant jury, selon la volonté du DPCP, pour me faire acquitter », et je crois toujours aujourd'hui qu'il aurait eu d'excellentes chances d'être acquitté au fond de l'affaire, parce que je ne pense pas que c'est de la pornographie juvénile, ce qu'il a fait, d'un point de vue juridique…
Mais un moment donné, on a eu des choix difficiles à faire, et ça en faisait partie. Est-ce que M. Godbout me mandatait ou pas pour attaquer la constitutionnalité de la loi? C’est une idée qui s'est cristallisée plus tard, au courant des procédures, parce qu'il s'est passé toutes sortes d'événements dans l'historique du dossier.
Ce n'était pas une stratégie depuis le début, parce que ça demande beaucoup de travail et de réflexion, s'attaquer directement à la loi, comme ça.
Et pourquoi, finalement, vous avez pris cette avenue-là?
C'est un choix... Moi, personnellement, je croyais qu'il y avait un problème au niveau de la validité constitutionnelle. Au fil des procédures judiciaires, on comprenait mieux l'interprétation que voulait en faire la poursuite, qui selon nous, ne faisait aucun sens.
Et sachant que la loi, dans leur point de vue à eux, permettait une telle interprétation, qui était à mon point de vue inconstitutionnelle, c'est ce qui a fait en sorte que j'ai conseillé à mon client d'adopter cette voie-là.
Il y a aussi une question fondamentale : si on avait eu gain de cause devant un juge-jury, le DPCP aurait pu recommencer la même poursuite contre un autre auteur le lendemain. Ça, ç'a joué beaucoup dans la balance. Parce que la Couronne voulait faire un cas d'exemple avec ce dossier-ci... En rétorquant de notre côté, en attaquant la loi, c'est un peu une façon de rétablir le balancier.
C'était donc important pour votre client, aussi?
Oui, vraiment. Ce qu'il me disait tout le temps, et qu'il me dit encore aujourd'hui, c'est : « moi, je suis en train de vivre un enfer, et je ne peux pas croire qu'un autre auteur québécois ou canadien puisse vivre la même chose que moi ».
Pour lui, ça ne faisait aucun sens, et d'ailleurs, dans notre débat constitutionnel, on a déposé plusieurs exemples d'oeuvres très connues, autant au Québec qu'ailleurs au Canada ou ailleurs dans le monde, qui, si on épousait l'interprétation de la poursuite, pouvaient très bien se faire accuser de la même infraction. Des romans ou des livres avec des passages encore beaucoup plus crus, et plus explicites que ce que M. Godbout avait écrit dans son roman.
Et maintenant que ce jugement est rendu, qu'est-ce que ça veut dire pour le Code criminel?
Le juge a déclaré que c'était invalide et inopérant, donc ces articles-là, le législateur devrait intervenir pour modifier la loi, ou rendre le Code criminel conforme à cette décision... À moins que ça aille en appel, évidemment. Si c'est le cas, il faudra attendre de voir ce que les tribunaux supérieurs vont décider...
Mais il faut comprendre qu'il y a deux types d'écrits possibles, selon la définition du Code criminel actuel : l'écrit qui préconise ou conseille le passage à l'acte – celui-là est demeuré constitutionnel. Nous, en défense, on n'attaquait pas cette définition-là.
D'ailleurs, c'est sous cette définition de pornographie juvénile écrite qu'on accuse des gens, habituellement... Le classique, c'est souvent du clavardage ou des textos, c’est ce qu'on voit souvent devant les tribunaux.
Alors que l'autre type d'écrit qui a été déclaré invalide, c'est l'écrit dont la caractéristique dominante est la description d'une activité sexuelle, dans un but sexuel, avec un mineur. Ça, ça couvre beaucoup plus d'oeuvres, et c'est là-dessus que mon client a été accusé; c'est cette définition précise qui a été déclarée inconstitutionnelle.
Vous attendez donc impatiemment de voir si ça va aller en appel...
Oui. C'est une grande victoire, mais il faut attendre le 30 jours d'appel. Évidemment, moi, je suis convaincu du bien fondé du jugement du juge Blanchard. Je suis convaincu qu'il n'a commis aucune erreur là-dedans.
Maintenant, ça sera à eux d'évaluer s'ils veulent porter le dossier en appel ou pas, parce que c'est clair que ç'a un impact majeur.