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Le droit à une défense pleine et entière avant tout

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Julie Couture

2021-01-07 14:15:00

On a beaucoup parlé de la présomption d'innocence et du droit à une défense pleine et entière. Mais qu'est-ce que tout cela veut dire concrètement? Notre criminaliste décortique les concepts...
Me Julie Couture, l’auteure de cet article.
Me Julie Couture, l’auteure de cet article.
Durant les derniers mois de 2020, et ce malgré la pandémie, le droit criminel n’a pas chômé! Plusieurs procès ont eu lieu et des jugements ont été rendus ; nous en avons vu plusieurs dans les médias. Les commentaires furent nombreux sur le web au sujet de ces procès médiatisés. On parle notamment beaucoup de la présomption d'innocence et du droit à une défense pleine et entière.

Principes de base en droit criminel

La présomption d’innocence et le droit à une défense pleine et entière sont des fondements essentiels de notre société. Ce sont également des principes de base en droit criminel. C’est notre rôle en tant qu'avocats de défendre ces principes avec vigueur et sans retenue.

Récemment, notre Cour d’appel a rendu un jugement fort important en matière de défense criminelle. Le jugement en question, ''Sullivan c. R. (2020)'', réaffirme le droit à une défense pleine et entière garanti par l’article 7 de la ''Charte Canadienne des droits et libertés''.

Dans ce cas particulier, le juge de première instance avait accueilli l’objection de la poursuite. Celle-ci s’opposait au témoignage d’un témoin que la défense voulait faire entendre pour soutenir sa théorie de la cause. Ce témoignage pouvait s’avérer particulièrement important selon la défense, puisqu'il concernait des versions contradictoires. Le juge de première instance a accordé l’objection de la poursuite sur le motif de la pertinence. La défense estimait donc que l'équité procédurale s’en trouvait affectée. Le jugement a été porté en appel pour ce motif notamment.

Tenue d'un nouveau procès en appel

La Cour d’appel a ordonné la tenue d’un nouveau procès, jugeant que l’accusé avait été privé d’un procès équitable. La poursuite soutenait de son côté que l’arrêt ''R. c. Cody'' permettait au juge d’instance de décider de la pertinence d’entendre ce témoin. Cet arrêt rappelait l'importance pour les juges de première instance de gérer ceci dans le but de réduire les délais inutiles. Dans le même sens que ''Jordan'', il rappelait l’importance de changer la culture des salles de cour.

Or, la Cour a jugé en appel que ce pouvoir de gestion ne pouvait primer et violer le droit de l’accusé à une défense pleine et entière en l’empêchant de faire entendre les témoins de son choix. La Cour réitère donc avec ''Sullivan c. R. (2020)'' ce droit absolu de l'accusé. Ce serait une erreur, selon la Cour, d’interpréter l’arrêt ''Cody'' comme permettant au juge de l’instance de passer outre aux droits de l’accusé, dans le but de favoriser la gestion de l’instance. C'est l’avocat de l’accusé qui connaît bien et maîtrise son dossier qui est le mieux placé pour déterminer les éléments qui constitueront sa défense. Il devrait donc pouvoir faire entendre les témoins de son choix.

Ambiguïté sur le droit à une défense pleine et entière

Ceci ne constitue pas du droit nouveau. En effet, la Cour d’appel réitère ainsi des principes de droit qu’elle a déjà fait valoir dans des décisions qu’elle a rendues précédemment (par exemple dans ''Lebel c. R., 2018 QCCA 302''). Le droit à une défense pleine et entière est un droit reconnu depuis longtemps.

Néanmoins, nos tribunaux ont récemment rendu certaines décisions qui semblent avoir créé une ambiguïté quant à la primeur de ce droit. La gestion de l’instance ayant déjà été mise de l’avant au détriment de ce droit constitutionnel, il est légitime de renforcer le message.

Le problème des admissions

On insiste beaucoup auprès des avocats de la défense pour que ceux-ci fassent des admissions avant la tenue du procès. Ces admissions, nullement obligatoires, permettraient certainement de mieux gérer l’instance et de circonscrire le débat. Cela dit, elles ne devraient jamais être faites au détriment de la défense des accusés. Si ceux-ci ont besoin de temps pour préparer leur défense avec leur avocat, ils y ont droit dans la mesure où les délais sont respectés. Il serait contraire à leurs droits que la pression exercée sur leurs avocats ait une incidence sur l'issue de leurs procès.

Que se passe-t-il réellement sur le terrain? On demande souvent aux avocats de la défense de faire des admissions dès la fixation du procès. Au contraire, la poursuite demeure maître de sa preuve. De plus, elle n’est généralement pas très généreuse pour ce qui est des admissions. Pourtant, c’est elle qui a le fardeau de la preuve, et non pas l’accusé.

À cette époque où les admissions sont largement sollicitées pour circonscrire le débat, peut-être faudrait-il rappeler que la mesure devrait s'appliquer des deux côtés. Nous avons tous intérêt à faire avancer les choses dans la même direction. La technologie évolue pour nous y aider. Mais c’est aussi à la poursuite de travailler en équipe avec la défense pour faire avancer le débat.

Les droits des uns et les droits des autres

Que ce soit à cause de l’arrêt ''Jordan'', de ''Cody'' ou de la pandémie mondiale de COVID-19, tout est aligné pour justifier le fait d'exercer une pression très forte sur les accusés et leurs avocats. Il y a toujours de bonnes raisons pour demander aux avocats d'agir rapidement et/ou de faire des admissions. Nous comprenons ces raisons et les conséquences des délais. Or, la gestion rapide de l’instance semble parfois être privilégiée au détriment des droits des accusés.

Mais il ne faut pas oublier que la défense pleine et entière demande du temps à préparer. La Cour d’appel est donc intervenue pour nous rappeler encore une fois que ce droit fondamental doit primer sur les aspects procéduraux. Certes, tous les accusés ont le droit d’avoir un procès dans le délai raisonnable. Mais les droits de l'un ne doivent pas s’en trouver violés au nom de ceux des autres.

''Sullivan ''et ses prédécesseurs nous indiquent que lorsque la défense veut faire entendre des témoins ou souhaite présenter une requête, cela doit être permis. Même si c'est au détriment d’aspects procéduraux. Même si la défense présente une requête ou annonce un témoin à la dernière minute. Le juge du procès doit l'autoriser, au risque de voir l’équité du procès entachée. En tant qu'avocats, nous ne pouvons contrôler la venue d’une nouvelle preuve. Nous n'avons aucun contrôle non plus sur le moment où celle-ci se présente à nous. Nous nous devons de la présenter au juge si cela sert à la défense de notre client. Le juge doit nous le permettre, même si cela affecte la durée initialement prévue du procès.

Le temps d'une meilleure collaboration

En 2021, il est maintenant temps d’apprendre de ces enseignements et de les appliquer. Les avocats de la défense ne veulent plus se voir refuser de faire entendre un témoin pour des considérations d’ordre procédural. Nos tribunaux d’appel l’ont dit et redit : la défense pleine et entière, c’est un droit absolu. Il est important de s’assurer que ces droits ne sont pas violés pour des motifs de gestion de l’instance.

La bonne gestion de l’instance passe aussi par les avocats. Ceux-ci ont une relation privilégiée avec leur client et sont les meilleurs pour défendre leurs intérêts. Ce sont eux qui maîtrisent leurs dossiers et qui choisissent la preuve qu’ils doivent présenter pour assurer la meilleure défense possible à leur client. C’est cette défense qui est la priorité. Il en va de notre désir de vivre dans une société libre et démocratique.

Nous voulons être proactifs dans nos dossiers, négocier ceux-ci plus tôt ou préparer nos procès longtemps à l'avance. Cela dit, il est indéniable que l’efficacité est souvent à son meilleur lorsque la pression de la dernière minute se fait ressentir. Ou encore lorsque la révision d'un dossier nous offre un nouveau regard qui nous permet de trouver une solution inespérée. Il faut trouver le juste équilibre dans tout cela. Nous voulons faire mieux, plus rapidement, mais avec le temps nécessaire pour être efficace. C'est dans la collaboration que nous y parviendrons tous.

Bonne année 2021!

Sur l’auteure

Me Julie Couture est avocate criminaliste depuis 2003. Elle a fait ses débuts avec l'honorable juge Marco LaBrie et l'honorable Alexandre St-Onge tous deux maintenant juge à la Cour du Québec. Fondatrice de Couture avocats, elle pratique en droit criminel et pénal exclusivement.

Maître de stage pour le barreau du Québec, elle a longtemps formé les jeunes avocats et avocates criminalistes ce qui lui a aussi permis d’avoir trois enfants. Entrepreneure depuis le début de sa pratique du droit, et très présente sur le web, elle pourra partager ses expériences afin d'aider le plus possible la communauté juridique. Elle a longtemps commenté l'actualité dans le Journal de Montréal comme l'avocate du journal et dans son blogue juridique en plus de plusieurs passages à la télévision.
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