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Tribunal spécialisé en violence sexuelle : un projet de loi déposé cet automne

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Radio -canada

2021-08-20 09:01:00

Un rapport publié jeudi donne un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler un tel tribunal.
Simon Jolin-Barrette, la professeure Rachel Chagnon et la députée péquiste Véronique Hivon. Source : Radio-Canada
Simon Jolin-Barrette, la professeure Rachel Chagnon et la députée péquiste Véronique Hivon. Source : Radio-Canada
Québec franchit un pas de plus vers la création d’un tribunal spécialisé en violences sexuelles et conjugales. Le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette compte déposer un projet de loi dès cet automne pour lancer une série de projets pilotes en la matière.

Sans admettre d’emblée un hypothétique échec du système judiciaire, le ministre a néanmoins reconnu, en entrevue à Tout un matin jeudi, qu’« il faut s’assurer que les Québécois et Québécoises aient confiance dans le système de justice ».

Dans les dossiers d’agressions sexuelles et de violence conjugale, seule une minorité de victimes décide de porter plainte.

« Il faut faire en sorte que le système de justice ne constitue pas une épreuve à la personne victime », de déclarer Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice.

Maintes fois réclamé, le tribunal spécialisé serait d’abord implanté sous forme de projet pilote dans différentes régions du Québec. C’est là une recommandation du groupe de travail sur la mise en place d’un tribunal spécialisé en matière de violences sexuelles et de violence conjugale qui a publié jeudi son rapport, sur lequel il travaillait depuis février.

La députée péquiste Véronique Hivon, qui salue cette nouvelle étape, espère qu’un tribunal spécialisé en bonne et due forme verra rapidement le jour.

« On va plaider pour que ça s’applique à la grandeur du Québec et rapidement, parce que des fois, des projets pilotes, ça dure, c’est long, c’est des évaluations qui n’en finissent plus », prévient-elle.

« On ne doit pas créer deux catégories de victimes. Toutes les victimes ont droit à une justice adaptée », selon Véronique Hivon, députée de Joliette.

Le ministre de la Justice a la ferme intention de rendre un tel tribunal permanent à l’issue des projets pilotes. « Ce qu’il faut faire, par contre, c’est bien faire les choses et y aller progressivement », a-t-il ajouté.

La victime d'abord

Dans son rapport, le groupe de travail propose un modèle où les victimes sont au centre du processus.

Cela implique d’abord de regrouper au même endroit tous les services psychosociaux et légaux dont la victime aurait besoin pour mieux l’accompagner tout au long du processus.

Le principe de « poursuite verticale » est central aux réformes qui apparaissent dans le rapport. Ce système, qui s’applique déjà dans certains cas, selon le ministre de la Justice, permet à la victime d’être accompagnée par le même procureur du début jusqu'à la fin du processus.

La poursuite verticale et les autres mesures d'accompagnement permettraient de changer la dynamique de procès où s'opposent deux versions des faits, comme l'affaire Gilbert Rozon.

Dans de tels procès, l'accusé a un « grand avantage » en n'ayant à témoigner qu'une seule fois, estime la professeure au Département des sciences juridiques de l'UQAM, Rachel Chagnon.

« Si on prépare mieux la victime, (…) qu’elle n’est pas obligée de se répéter constamment, donc de démultiplier les outils que la défense peut utiliser pour invalider son témoignage, c’est clair qu’on va arriver au moment du procès où victime et agresseur seront à une certaine égalité », explique-t-elle.

Le groupe de travail suggère de même l’implantation de « meilleures pratiques pour chacun des acteurs judiciaires », en formant le personnel judiciaire sur les ramifications des crimes sexuels ou conjugaux pour les victimes et en ajoutant des procureurs attitrés à ce genre de dossiers.

« Tous les gens vont être formés et spécialisés, non seulement sur les développements du droit pour être sur la fine pointe, mais aussi – et surtout – sur toute la question de la réalité du traumatisme vécu par les victimes de ces crimes-là qui expliquent, par exemple, des trous de mémoire », souligne Mme Hivon.

« Ce n’est pas la même chose d'être victime d’une agression sexuelle que d’être victime d’un vol et d’une fraude », selon Véronique Hivon.

« Le DPCP est toujours ouvert à parfaire ses méthodes de travail pour (appuyer) et faciliter le passage des victimes dans le processus judiciaire », a indiqué par courriel la porte-parole du bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales, Audrey Roy Cloutier.

Il y a aussi lieu d’adapter les palais de justice eux-mêmes en dédiant des journées, des salles et des rôles spécifiquement aux dossiers d’agressions sexuelles et de violence conjugale.

On propose également d’offrir des mesures pour limiter les contacts entre la plaignante et son agresseur présumé, telles que des espaces d’attente séparés ou la possibilité de témoigner par visioconférence.

Enfin, le groupe de travail suggère d'assurer un suivi en continu du nouveau tribunal pour veiller à ce qu'il atteigne et ses objectifs et pour corriger le tir, au besoin.

Un chemin encore long

Si elle est ravie par le rapport publié jeudi, Mme Chagnon a néanmoins « une petite crainte » quant à la capacité de l'État à créer un tribunal spécialisé à la hauteur des attentes, à commencer par son financement.

« Le système de justice, c’est l’enfant pauvre des enfants pauvres des institutions publiques québécoises. On ne réussit même pas à installer des systèmes informatiques qui ont de l’allure dans les tribunaux », selon Rachel Chagnon.

Un autre « gros, gros défi » que souligne la professeure : les disparités entre les régions. Le rapport du groupe de travail note aussi que cette question pourrait poser problème et ajoute qu'il est impératif que les modèles puissent s'adapter aux réalités régionales.

La professeure Chagnon voit aussi poindre à l'horizon la question du personnel. « Le problème, c’est le nombre de personnes qu’il faut mettre en place pour cette structure-là soit réellement efficace », souligne-t-elle.

Même s'ils seront formés, les acteurs qui accompagneront les victimes d'agressions dans leur cheminement ne sont pas l'abri de la « fatigue de compassion », une condition où quelqu'un « devient hypersensible aux émotions des personnes rencontrées », écrit le groupe de travail. « Ceci peut avoir pour effet de rendre ces intervenants moins sensibles aux personnes victimes. »

« Ça demande d’autant plus de personnel qu’il faut veiller à ce que ce personnel-là se renouvelle ou qu'à tout le moins, il y ait un droit au repos », dit quant à elle Mme Chagnon.

Des modèles ailleurs

Pour en arriver à ses recommandations, le groupe de travail s'est inspiré de modèles de tribunaux spécialisés en agression sexuelle d'Afrique du Sud et de Nouvelle-Zélande.

En Afrique du Sud, le tribunal est une entité à part entière « sur le modèle de la Chambre criminelle et pénale ou la Chambre civile de la Cour du Québec », observe-t-on dans le rapport. Il fonctionne de concert avec des centres où les victimes peuvent recevoir des soins de santé et psychosociaux et de l'aide judiciaire. Le taux de condamnation oscille entre 61 % et 70 %, tandis que dans un tribunal ordinaire, ce taux est inférieur à 50 %.

La Nouvelle-Zélande s'est dotée d'un ensemble de procédures spécifiques pour les dossiers de violence sexuelle. Elle mise sur la formation du personnel de justice et sur l'accompagnement des victimes. « Le taux de condamnation n’y est pas évalué, toutefois, plus de plaidoyers de culpabilité y sont enregistrés, et ce, plus tôt dans le processus judiciaire », indique le groupe de travail.
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