Nul n’est censé ignorer Wikipedia, mais pour le reste …

L’étudiant gradué devient employé d’été. Position dans l’organigramme du bureau aussi connue sous le nom de « pré-stagiaire » ou « post-bachelier pré-assermentation ».

Les leçons de droit cèdent alors la place à un apprentissage concret.

Parfois, ce qui y est étudié s’avère étonnamment semblable à ce qui était vu au baccalauréat, et matière à réflexion.

Promenade juridique

Entre cafés et heures (souvent plus raisonnables qu’on ne le dit) dans un bureau sans fenêtre (le droit de regarder dehors s’acquiert avec l’ancienneté), il est normal que certaines pensées un peu atypiques traversent l’esprit de tout étudiant employé estival de ce monde.

A mon tour, je me suis pris à divaguer sur la valeur réelle de la formule « Nemo censetur legem ignorare » (« nul n’est censé ignorer la loi », pour les gens qui, comme moi, ne parlent latin qu’à travers Wikipedia).

Voilà que j’ai de la difficulté à adhérer au principe.

D’un point de vue théorique, il est certain que la maxime est nécessaire: le premier abruti venu serait bien trop heureux de plaider qu’il n’a « pas lu la loi » chaque fois qu’il se ferrait pincer à commettre l’interdit.

Ceci étant, force est de constater la terrible complexité de certains corpus législatifs…

Peut-être devrais-je préciser que cette réflexion m’est venue en étudiant un cas de droit municipal.

Avec la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, la Loi sur les cités et villes, la Loi sur la qualité de l’environnement, la Loi sur les terres du domaine de l’état, la loi sur l’urbanisme (les 36 règlements qui les accompagnent)… j’ai de la misère à croire que le commun des mortels est réellement censé ne pas ignorer la loi !

Comment est-ce que quelqu’un qui travaille quarante heures, cuisine, s’entraîne, s’occupe de sa famille et lave sa voiture une fois par semaine peut avoir la moindre chance de savoir que le terrain de l’autre côté de la rue est une terre publique zonée « Alpha47-z3 », qu’il peut louer au ministre des ressources naturelles et de la faune pour y installer un abris sommaire, lequel abris doit se qualifier comme « servant de gîte, dépourvu d'électricité et d'eau courante, sans fondation permanente, d'un seul étage et dont la superficie de plancher n'excède pas 20 m2» !?

Napoléon, diachylons et autres réflexions

Napoléon avait dit, au moment de populariser son code, que le droit devait être facile et clair, afin que chacun le connaisse.

À voir à quoi ressemble la plus modeste des bibliothèques juridiques, on a dû s’éloigner de l’objectif.

J’ai plutôt l’impression que tous ces gens autour de moi n’ont même pas la moindre idée des mécanismes juridiques qui les touchent dans ce qu’ils ont de plus intimes.

Un exemple : je me suis déjà fait demander par une amie, un peu gênée, si je pouvais procéder à son divorce.

N’empêche que ça soulève des questions, non, quand le droit qui régit l’amour et le désamour dépasse jusqu'aux individus qui le vivent ?!

Évidemment, on me rétorquera que le seul moyen de faire un droit cohérent englobant toutes les sphères de la société est d’en faire un complexe, tordu et plein de ramifications chaotiques.

Soit.

Un ami non-juriste, à l’occasion d’un débat sur les principes fondamentaux du droit (on fait souvent ça entre deux billards et une bière avec mes potes), m’avait dit, que pour lui, le droit était comme des milliers et des milliers de pansements sur une immense plaie.

Quel qu’en soit le nombre, ces bandages ne couvriraient jamais totalement la blessure …

Pourtant, on s’acharnait à remettre d’autres diachylons entre les fissures, les uns sur les autres, pour colmater les trous.

Amusant cette image, sinon carrément intéressante.

Résultat du match Espagne-Corée du Nord

Je ne révolutionnerais probablement pas la philosophie du droit ce matin, mais toujours est-il qu’il y a là une piste de discussion : n’y a-t-il pas quelque chose de fondamentalement bizarre à ce qu’un droit qui régit les humains ne soit compris que par une poignée de ceux-ci ?

N’est-il pas fondamentalement injuste que le fait de maîtriser le droit donne un avantage sur les autres individus?

Celui qui connait la loi pourra toujours se permettre de jouer plus dangereusement, de s’approcher tout près de la limites de la légalité afin d’y gagner un avantage sur ceux qui, ignorant les subtilités du droit, devront se tenir loin de cette fameuse ligne, sagement.

On n’a qu’à regarder le droit fiscal pour s’en convaincre.

Voilà… mais c’est comme ça, on n’y changera rien.

En attendant ma grand-mère m’appellera encore et encore pour me demander si elle a un recours contre l’acheteur de sa maison (un avocat torontois) qui a unilatéralement diminué le prix d’achat pour quelque prétexte juridique.

« Non grand maman, tu peux rien y faire, il avait mieux lu la loi que toi ».

C’est 1 à 0 pour l’avocat.

Dans la vie, c’est toujours une joute de football Espagne - Corée du Nord, quand vient le temps d’opposer un juriste à un payeur de taxe ordinaire…

Je vous laisse le soin de deviner qui représente les Espagnols.

C’étaient là quelques simples élucubrations d’un étudiant encore habité par de vains idéaux qui, bientôt, seront morts et enterrés.