Du droit de la vraie vie!
Camille Dufétel
2023-11-01 15:00:00
C’est après avoir travaillé à titre de greffière-audiencière au Palais de justice de Montréal de 2007 à 2020, qu’elle a décidé de reprendre des études à 36 ans, afin de devenir avocate. Et pas seule, puisqu’elle a entraîné dans ce nouveau défi sa sœur, Me Shirley Villalta.
« J’ai toujours voulu être avocate, explique Me Jessy Villalta, qui a commencé son parcours en suivant une technique juridique. Mais à cette époque, j’avais des enfants en bas âge. Je ne savais pas à quel point ça allait être réaliste. Par la suite, je suis rentrée travailler au Palais de justice. »
Elle a alors œuvré un an comme greffière au criminel puis est passée au civil et a cumulé près de 13 ans de travail au sein du Palais de justice de Montréal. En cours de route, sa sœur a suivi ses pas et l’a rejointe, également comme greffière-audiencière.
Deux sœurs soudées
« Mes enfants ont grandi, et un jour j’ai décidé de faire ma demande pour suivre un baccalauréat en droit à l’Université d’Ottawa, suivant mon parcours professionnel, raconte Me Jessy Villalta. C’est ce qui m’a amenée à parler avec mes enfants, leur expliquer que j’allais revenir sur les bancs d’école, ce qui était un grand sacrifice en tant que mère monoparentale. Ça voulait dire revenir chez mes parents à l’âge de 36 ans, n’avoir aucun revenu et étudier à temps plein ! »
Elle a alors lancé à sa sœur: «’Shirley, je retourne à l’université, let’s go, tu dois signer ici les documents d’admission, tu viens au bacc avec moi!’ Elle a signé ».
Elle précise que les places étaient limitées à l’Université d’Ottawa concernant les applications sur la base de l’expérience. Elle et sa sœur ont été prises.
L’avocate se souvient, amusée, être arrivée avec son calepin et son stylo en classe, et avoir réalisé que tout le monde avait un laptop.
Toutes deux ont fait l’École du Barreau en même temps et ont décroché, toujours ensemble, un stage chez Rousseau Boyce Avocats, à Montréal.
Une amie de longue date
Les deux sœurs ont connu Me Geneviève Choquette quand elles étaient greffières-audiencières au Palais de justice, il y a plus d’une dizaine d’années, alors que cette dernière commençait sa pratique comme avocate.
Elles ont gardé contact avec elle au fil des années, d’autant que sans le vouloir, elles se sont suivies géographiquement parlant. « Me Choquette a déménagé à Gatineau et comme on étudiait à Ottawa, mais qu’on habitait à Gatineau, on a gardé le lien, précise Me Jessy Villalta. Puis on est revenues à Montréal, toute notre famille est ici. »
Les deux sœurs sont ainsi revenues d’Ottawa en pleine pandémie, ont effectué leur stage puis ont commencé à travailler comme avocates chez Rousseau Boyce, durant quelques mois. C’est là que Me Choquette les a contactées pour les informer de son retour à Montréal. Et pour leur proposer de fonder ensemble leur cabinet!
Me Shirley Villalta se souvient très bien de cette proposition et de ses craintes, au début. « Oui, on était à l’aise avec la procédure, mais il y avait un tout autre volet, qui était la comptabilité et le roulement administratif d’un bureau… Il y a beaucoup de choses auxquelles il faut penser et j’étais beaucoup moins à l’aise avec cette partie. »
Les deux sœurs en ont longuement discuté avec Me Choquette, Barreau 2009, qui pour sa part, forte de son expérience, se sentait à même de gérer ce volet. « Ça nous a énormément rassurées, ça a été un gros plus pour prendre la décision », pointe Me Shirley Villalta.
Du droit de la famille
Me Jessy Villalta a réalisé, déjà à l’époque où elle était greffière-audiencière, qu’elle avait un intérêt tout particulier pour le droit de la famille, le domaine dans lequel pratiquent les trois avocates.
Elle précise que les avocats de l’Aide juridique l’ont énormément motivée à se spécialiser dans ce domaine. « Je voyais l’humanité avec laquelle ils plaidaient leurs dossiers, c’était un autre monde, comparé au civil ».
Elle estime qu’elle et sa sœur, ainsi que Me Choquette, exercent leur métier avec la même mentalité, l’envie d’aider ceux qui n’ont pas assez de ressources. Ceux qui gagnent trop d’argent pour se qualifier pour l’aide juridique, mais « pas assez pour se payer un avocat à 350 ou à 500 dollars de l’heure ». En pratiquant le droit de la famille, Me Jessy Villalta a remarqué qu’elle aimait aussi beaucoup le droit de la DPJ.
Me Shirley Villalta a également un intérêt fort pour le droit de la famille. « Ce sont des problèmes de tous les jours, ce n’est pas juste du droit textuel, estime-t-elle. C’est ce qu’on appelle l’application à la vraie vie, c’est du droit de la vraie vie! Et on a la chance d’avoir un droit évolutif, qui s’adapte aux nouvelles réalités. C’est beau aussi d’y participer en tant que juristes. »
Elle trouve plus difficile de se mettre une barrière émotionnelle en ce qui concerne le droit de la DPJ. « Ça vient me chercher un peu trop, je n’arrive pas encore à mettre cette barrière, mais je me dis que je vais sûrement y arriver ». Elle précise toutefois avoir commencé à faire des représentations d’enfants à la Cour supérieure.
Se lancer!
Comment s’est d’ailleurs passée concrètement la mise sur pied de ce cabinet? Tout a commencé par un souper, précise Me Jessy Villalta. Un souper au cours duquel les trois avocates ont discuté de leurs objectifs, de leurs défis, de leur vision du cabinet.
« On s’est rendu compte qu’on se ressemblait vraiment, qu’on recherchait vraiment les mêmes choses », note-t-elle. Elles ont commencé leur cabinet très simplement, derrière leur bureau, avec leur ordinateur. « On n’est pas cassé la tête pour le nom, on a mis Choquette Villalta, that’s it! », pointe Me Shirley Villalta.
Pour les locaux, elles ont réfléchi au lieu où elles souhaitaient s’implanter, dépendamment de la clientèle qu’elles visaient. Elles sont très proches du métro Cadillac, ce qui leur permet d’être accessibles.
« On n’est pas loin du Palais de justice en voiture, on a pensé à tout, ajoute Me Shirley Villalta. C’est vrai qu’on s’est permis d’aller regarder des bureaux au Vieux-Port, mais encore une fois, c’est fastidieux de se stationner pour les clients! On s’est dit qu’on allait commencer comme ça et on partage nos bureaux avec des avocats à leur compte. »
Pour leur site Web, le choix des couleurs et leur logo, elles ont pu compter sur leur entourage, une ancienne stagiaire, leur cousine… Me Shirley Villalta cite aussi son frère, programmeur, qui leur a été d’une grande aide. Elles ont par ailleurs investi dans un logiciel de gestion juridique.
Elles se sont également mises d’accord sur le plan monétaire et précisent qu’elles travaillent à parts égales dans le bureau. Côté clientèle, elles ont pu compter sur le bouche-à-oreille et soulignent que tout s’est fait très vite. Elles acceptent les mandats d’aide juridique et parlent espagnol.
Mandats d’aide juridique
Me Shirley Villalta remarque qu’il n’y a pas beaucoup de bureaux d’avocats acceptant ces mandats, tout en pouvant parler espagnol et en anglais. Des dossiers leur sont ainsi référés. Les sœurs citent aussi Me Poulin, un avocat au privé qui prenait des mandats d’aide juridique et qui a cessé sa pratique en droit de la famille, qu’elles ont connu lorsqu’elles étaient greffières. Ce dernier leur a transféré ses références.
Sans compter que Me Choquette est aussi venue avec sa clientèle. Les avocates ont dû embaucher une adjointe plus rapidement qu’elles ne l’avaient imaginé.
Me Jessy Villalta se dit aujourd’hui extrêmement fière de faire partie de la liste des finalistes des leaders de demain, dévoilée par le Jeune Barreau de Montréal.
« On s’implique beaucoup auprès du Barreau, des comités ethnoculturels, on fait du pro bono avec le SAGE, et récemment, le cabinet a pris un beau défi, souligne-t-elle, quand Droit-inc lui demande comment elle pense s’être démarquée. On a pris des dossiers de DPJ du Grand Nord, de la communauté crie. Je dois vous dire que j’adore ça. »
Elle estime que c’est un accomplissement « de toutes les trois ». Et si sa sœur et elle en sont arrivées là, elle ajoute que c’est grâce à leurs parents et à leur famille en général.