La réplique de Gérald 1er

Emeline Magnier
2013-12-03 15:00:00

À la suite [http://www.droit-inc.com/article11509-Juge-Nadon-la-tradition-civiliste-ecorchee
|de la publication du texte de ses confrères] Mes André Jolicoeur, André Binette, et Étienne Dubreuil, et du professeur Patrick Taillon sur Droit-inc et dans le journal Le Devoir, il a souhaité faire valoir son opinion.
Droit-inc: Que pensez-vous de la rédaction de la Loi sur la Cour suprême quant aux exigences relatives à la nomination des juges du Québec?
Me Gérald R. Tremblay: Le libellé de la Loi sur la Cour suprême (LCS) pose problème. C'est d'ailleurs pour cela que le gouvernement fédéral a demandé une opinion. Ce que je déplore, c'est qu'à cause de ce questionnement, somme toute légitime, on déborde vers une personnalisation et une rationalisation qui ne sont pas exactes et sans fondement.
D'après l'article 6 de la LCS, les trois juges québécois doivent être choisis parmi des membres de la Cour supérieure ou de la Cour d’appel du Québec, ou être des avocats membres du Barreau du Québec depuis plus de dix ans. Mais à l'époque de la rédaction de la loi, la Cour fédérale et la Cour du Québec n'existaient pas.
D'après le système juridique canadien, si la province crée la cour, comme la Cour supérieure ou la Cour d'appel, les jugent qui y occupent un poste doivent être nommés par le fédéral, ce qui n'est pas le cas pour la Cour du Québec, où les juges sont nommés par le provincial.
Si on devait privilégier l'intention du législateur sur le texte même, je suis convaincu que les juges issus de la Cour du Québec ou de la Cour fédérale pourraient être nommés à la plus haute juridiction.
La nomination du juge Nadon remet-elle en cause la tradition civiliste au sein de la Cour suprême?

La Cour du Québec a pris une importance considérable depuis sa création. Si on interprète strictement la LCS, ça veut dire qu'un juge issu de la Cour du Québec ne peut pas être nommé à la Cour suprême. Et en conséquence, on exclut automatiquement des juges nommés directement par la province.
On ne peut donc pas dire que la loi actuelle protège le système civiliste et que de fait, il faut l'appliquer tel quel. Avec un tel raisonnement, on se prive de juristes de grand talent qui, parce qu'ils sont nommés à la Cour fédérale, perdent dans la minute leur chance d'être nommés à la Cour suprême. On est en train de scier la branche sur laquelle on est assis.
Prenons des exemples: Louis Marceau, doyen de la faculté de droit de Laval, grand civiliste, ancien juge à la Cour fédérale, aurait donc été exclu, ou encore Guy Gagnon, qui a été juge en chef de la Cour du Québec.
Au moment où le législateur a rédigé cette loi, il n'avait pas l'intention de se priver de nominations aussi importantes et méritoires que celles-là.
Que pensez-vous des critiques émises sur le fait que le juge Nadon n'ait jamais exercé sous l'empire du Code civil?
On dit du juge Nadon qu'il n'a pas fait de droit civil parce qu'il a été nommé à la Cour fédérale avant l'entrée en vigueur du Code civil du Québec. Mais c'est toujours la même problématique: le juge en chef de la Cour du Québec qui ne fait que du droit civil ne peut pas être nommé.
D'autre part, certains juges ont été nommés à la Cour suprême avant l'entrée en vigueur du Code civil, donc ça n'a pas de sens. Et puis citons aussi le juge Antonio Lamer, ancien juge en chef de la Cour suprême, qui était un grand criminaliste, tout comme le juge Fish, qui a également pratiqué en droit criminel pendant toute sa carrière. Quand il a été nommé, personne ne s'est interrogé sur ses compétences en droit civil.
La rationalisation est dangereuse et contreproductive. Tout est une question d'interprétation.