Un super avocat français choisit le Québec

Emeline Magnier
2013-09-03 15:00:00

Celui qui fut l'avocat de Bernard Tapie, Sadam Hussein, et d'Isabelle Adjani, s’est exilé au Québec il y a trois ans et c’est en toute simplicité, souriant et dynamique, qu’il me reçoit dans son cabinet du centre ville de Montréal.
Les murs de son bureau sont vides, presque dépersonnalisés, à l'exception d'un cadre exposant son permis d'exercice québécois. Éric Duret a été l'un des premiers bénéficiaires de l'Accord de reconnaissance mutuel entre la France et Québec.
"Pourtant je ne connais rien au droit québécois!" dit d'entrée de jeu l’homme de 66 ans. Révélation franche et assez étonnante venant d'un des plus grands avocats fiscalistes que le Barreau de Paris n'est jamais connu.
S'il est inscrit au Tableau de l'Ordre du Québec depuis 2010, il ne peut cependant pas pratiquer sur le sol canadien, sa demande de résidence permanente étant toujours en cours.

Horaires impossibles, chauffeur personnel, dossiers peoples, les affaires marchaient très bien pour l'avocat…
Tout bascule un jour de juillet 2004 quand on lui découvre cinq tumeurs à la gorge dont certaines de la taille du poing. Le diagnostic ne laisse aucune alternative: cancer phase terminale.
Combat contre la maladie

Il rencontre alors le Professeur Laccourreye, à l'hôpital Pompidou, qui lui propose un traitement hors nomenclature. Une chimiothérapie expérimentale non autorisée en France et pratiquée aux États- Unis.
"Je n'avais rien à perdre, sauf de l'argent", indique l'avocat. Et pour cause, sa vie a aujourd'hui un prix: 5 millions d'euros. "Je suis miraculé", dit-il comme pour s'excuser d'annoncer une telle somme.
Trois mois d'hospitalisation à temps plein, et des soins qui l'ont laissé très abîmé physiquement. "J'ai bien sûr perdu mes cheveux, mais je n'en avais déjà plus beaucoup", raconte-t-il à la blague.
Les résultats du traitement sont spectaculaires, les tumeurs sont réduites à la taille d'une phalange. Suivra une radiothérapie longue et éprouvante. Perfusé, il ne pouvait plus s'alimenter normalement et a perdu 48 kilos.
La gorge brûlée par les rayons, il ne tolérait que les foulards Hermès. "J'en ai acheté quelques uns", dit-il, toujours d'un ton rieur.
Éric Duret est un homme de loi, rationnel et objectif. Pourtant, quand un ami lui parle d'une guérisseuse qui s'occupe des brûlés, il tente le coup. "Je lui ai envoyé ma photo avec ma date de naissance écrite au dos ", raconte l'avocat.
Le lendemain, plus rien. "Ma gorge était comme elle est aujourd'hui", dit-il en désignant l'endroit de ses souffrances, toujours aussi incrédule.
Ne jamais lâcher

Même s'il ne pouvait plus pratiquer, il n'a jamais décroché de son cabinet, comme pour défier la maladie. "Je recevais mes collaborateurs à l'hôpital et ma secrétaire venait me rendre visite chaque jour", indique Éric Duret.
Quand son traitement lui permettait, il se rendait au cabinet une à deux fois par semaine en béquille. "Certains pensaient que c'était de l'exhibitionnisme, mais je l'ai fait pour moi, pour tenir", confesse-t-il.
Pendant son absence, Maurice Lantourne s'occupait de gérer le cabinet qui comptait à l'époque pas moins de 80 employés. Mais en juin 2005, il ne peut plus assumer la tête du cabinet seul et les avocats, amis de longues date, décident de mettre un terme à leur association.
"Il a été très bien avec moi, et continuait de me reverser mes dividendes quand j'étais malade", Dit Éric Duret en parlant de celui qu'il présente comme l'un des avocats les plus brillants de sa génération.
Tentatives d’associations

Après 30 secondes de réflexion, le fiscaliste leur a montré la porte de sortie. On ne badine pas avec Me Duret.
Il dirigera son bureau seul pendant un an. Mais le physique et la fatigue, héritage douloureux d'un cancer non encore remis, le décideront à arrêter.
Avec sa femme et le plus jeune de ses enfants, ils décident de partir s'installer aux Antilles quand on lui propose une association. Dans la perspective d'un retrait progressif des affaires, il accepte. Mais les accords financiers ne sont pas respectés et le dossier est toujours entre les mains du bâtonnier de Paris depuis 2008.
S'il est arrivé à Montréal, c'est presque un concours de circonstances: son fils, inscrit dans une école canadienne des Antilles, s'apprête à venir étudier à Montréal en 2010. En parallèle, Me Duret fera la connaissance de Me Ricardo Hrtschan, et de leurs atomes crochus naîtra une association en octobre 2012.
“Et puis, je dois travailler pour ma retraite”, dit l’avocat.
Pratique actuelle

"Je n'ai que quatre clients", indique-t-il.
Il est l'avocat de la République du Gabon et s'occupe du trading du pétrole et de la reconstitution du fonds souverain. Il sera d'ailleurs inscrit au barreau du Gabon prochainement.
En plus de quelques mandats d'investisseurs européens relatifs à des transactions immobilières au Québec, il s'occupe aussi de développer un projet médical Germitec, un automate de désinfection des sondes d'échographie.
Interrogé sur la récente mise en examen de Bernard Tapie et de son ex-associé, Maurice Lantourne, l'avocat est outré. "C'est odieux, ça va durer encore 7 ou 8 ans et ça coûtera 7 milliard d'euros à la France. "
Pour les années à venir, le fiscaliste souhaiterait s'accoter à un grand bureau et prendre en charge une direction de projet. S'il se dit incapable de reprendre la pratique qu'il a laissé en 2004, il pourrait animer une équipe et diriger des dossiers.
Une chose est sûre: Éric Duret a des choses à raconter, une expérience à partager, et un enseignement à transmettre.
La femme d'Éric Duret
Pilote automobile professionnelle, Caty Caly est aussi cascadeuse et a notamment doublé la James Bond Girl dans Golden Eye. Elle est la mère de deux des quatre enfants de l'avocat.
Anciens Dossiers
Éric Duret a été l'avocat fiscaliste de Saddam Hussein, Jean-Paul Belmondo, Jean Rochefort, Isabelle Adjani, Philippe Noiret. Il a également représenté les intérêts de la Ville de Paris, du Vatican et du groupe Altran.
Distinction
Éric Duret a reçu la légion d'honneur en 1986 pour avoir négocié une convention internationale en matière fiscale entre la France et le Liban. Il s'y est rendu à de nombreuses reprises pendant quatre ans pour négocier avec les factions ennemis.