Le congédiement déguisé

Karim Renno
2012-10-09 14:15:00

Mais parle-t-on alors véritablement de démissions ? Pour pallier à l’injustice qui résulte de ces « démissions forcées ou encouragées », s’est développée en droit la notion de congédiement déguisé. Celle-ci vise à protéger les employés dont la démission est forcée ou fortement encouragée par l’employeur suite à des changements fondamentaux dans leurs conditions de travail, que ces changements aient été faits de bonne foi par l’employeur ou non.
Dans un jugement récent, la Cour d’appel du Québec est venue réitérer les critères applicables à l’analyse d’une démission dans le but de déterminer s’il s’agit plutôt d’un congédiement déguisé. C’est l’affaire ''St-Hilaire'' c. ''Nexxlink inc.'' (2012 QCCA 1513).
Dans cette affaire, l'appelant se pourvoit contre le jugement rendu le 1er juin 2010 par la Cour supérieure, lequel a rejeté sa réclamation contre l'Intimée pour congédiement déguisé. Après avoir analysé la preuve, le juge de première instance en était venu à la conclusion que les modifications apportées aux responsabilités de l'Appelant par son employeur n'étaient pas assez importantes pour conclure à un congédiement déguisé, surtout que ces modifications sont survenues suite à l'achat de l'Intimée par une autre compagnie.
Un banc unanime de la Cour, composé des juges Jacques Dufresne, Jacques A. Léger et Jacques Viens (ad hoc), confirme le jugement de première instance. Ce faisant, la formation unanime de la Cour rappelle les critères pertinents en matière de congédiement déguisé, i.e. 1) une décision unilatérale de l’employeur, 2) une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail, 3) le refus des modifications apportées par l’employé et 4) le départ de l’employé.
La Cour ajoute également que « [v]u la frontière ténue entre le droit de gérance de l'employeur et la modification unilatérale et substantielle d'une condition de travail essentielle, le tribunal chargé d'analyser une telle situation doit prendre en considération l'ensemble des circonstances particulières à chaque cas » (voir également, à ce sujet, la récente décision rendue dans ''Simard'' c. ''Banque de Développement du Canada'', 2012 QCCS 3240).
Comme on peut le constater de la décision de la Cour d’appel, il faut plus que de simples modifications aux tâches ou responsabilités d’un employé pour conclure à congédiement déguisé (voir ''De Montigny'' c. ''Valeurs mobilières Desjardins inc.'', 2011 QCCS 235). Surtout, il faut que ces modifications aient mené à la démission de l’employé. L’employé a donc une décision difficile à prendre, puisqu’il doit partir sans la certitude que les changements qui ont été apportés à ses conditions de travail sont assez importants pour constituer un congédiement déguisé.
Reste que la théorie du congédiement déguisé offre une protection non négligeable aux employés contre les changements trop radicaux que pourraient vouloir leur imposer leurs employeurs.
Sur l'auteur:
Karim Renno est associé dans le cabinet Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l. Il est le fondateur et rédacteur en chef du blogue juridique À bon droit où il publie quotidiennement des billets de jurisprudence.