Karim Renno

Le pro bono, pas gratuit pour la partie adverse…

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Karim Renno

2015-07-08 14:15:00

Les tribunaux peuvent-ils condamner la partie qui succombe au paiement des honoraires extrajudiciaires de l’autre partie lorsque les services juridiques ont été fournis pro bono?
Le jeune super plaideur Karim Renno
Le jeune super plaideur Karim Renno
En septembre 2013, dans un billet publié sur Droit Inc., je déplorais que la Cour d'appel, dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Hinse (2013 QCCA 1513), obtenir une condamnation. Or, la Cour suprême vient de se prononcer dans cette affaire et elle a indiqué que la Cour d'appel avait tort sur la question pertinente à ce billet. Il s'agit de l'affaire Hinse c. Canada (Procureur général) (2015 CSC 35).

L'Appelant dans cette affaire a purgé derrière les barreaux cinq des 15 années de pénitencier auxquelles la Cour des sessions de la paix l'a condamné en septembre 1964. Ce verdict de culpabilité étant le résultat d'une erreur judiciaire, il intente des procédures en dommages contre la Ville de Mont-Laurier, le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada qu'il tient responsable du préjudice qu'il a subi.

Après avoir convenu de transactions avec la Ville de Mont-Laurier et le procureur général du Québec, l'Appelant va à procès contre le procureur général du Canada. La Cour supérieure conclut à sa responsabilité et le condamne à verser des dommages-intérêts compensatoires et punitifs au montant de 5 795 228 dollars.

La partie du jugement de première instance qui nous intéresse pour les fins du présent billet a trait aux honoraires extrajudiciaires. En effet, se fondant sur une décision ontarienne, la juge de première instance en est venue à la conclusion qu'elle pouvait condamner l'Intimée au paiement des honoraires extrajudiciaires des avocats de l'Appelante même si les services juridiques en question avaient été fournis pro bono.

Bien que la question soit théorique puisque la Cour d'appel ne retient pas la responsabilité de l'Intimée, elle indique quand même que la juge de première instance a eu tort sur la question des honoraires extrajudiciaires et qu'elle ne pouvait condamner l'Intimée à rembourser des honoraires extrajudiciaires que l'Appelant n'avait pas payé.

La Cour suprême confirme la décision de la Cour d'appel quant à l'absence de responsabilité de l'Intimée. Cependant - toujours en obiter - les Honorables juges Wagner et Gascon indiquent que la Cour d'appel a eu tort sur la possibilité pour les tribunaux d'ordonner le paiement d'honoraires extrajudiciaires lorsque les services juridiques ont été fournis pro bono:

(177) Les parties à un litige sont tenues de ne pas commettre d’abus de procédures. Si elles manquent à cette obligation, elles commettent une faute et le tribunal peut les condamner à des dommages-intérêts. Suivant l’art. 1608 C.c.Q., leur obligation de payer des dommages-intérêts à l’autre partie n’est ni atténuée ni modifiée par le fait que celle-ci reçoive une prestation à titre gratuit de ses avocats. La raison d’être de l’art. 1608 C.c.Q., qui est explicitée dans les commentaires du ministre de la Justice, vaut tout autant dans les cas d’abus de procédure : il importe de permettre aux dommages-intérêts de jouer pleinement leur rôle préventif et de ne pas soustraire l’auteur d’un « préjudice » à sa responsabilité.

(178) L’article 1608 C.c.Q. témoigne par ailleurs de la volonté du législateur de ne pas décharger le débiteur de son obligation de réparation, même si cela peut entraîner une double indemnisation de la victime. Le législateur a choisi d’exclure les cas où il y a subrogation, car ceux-ci constituent les principales situations entraînant une double indemnisation. Les tribunaux doivent respecter ce choix. Il n’est donc pas nécessaire, contrairement à ce qu’a dit la première juge, que l’entente pro bono contienne une clause de versement aux avocats des honoraires extrajudiciaires susceptibles d’être obtenus. C’est aux parties et à leurs avocats qu’il appartient de négocier le détail de ces ententes.

Vous comprendrez à la lumière de mes commentaires sur la décision de la Cour d'appel que je me réjouis des enseignements de la Cour suprême. Il m'apparaît primordial que les tribunaux conservent en tout temps le pourvoir de sanctionner les abus.

En effet, alors qu'on demande de plus en plus aux avocats d'aider ceux qui en ont besoin en leur fournissant des services pro bono, il me paraît souhaitable que l'on puisse préserver la possibilité de condamner une partie à payer pour le travail effectué par ces avocats en cas d'abus de procédure.

Essentiellement, la partie qui commet un abus ne doit pas se trouver dans une position plus avantageuse parce que son opposante n'avait pas les moyens de payer les services d'un avocat.

Karim Renno est associé fondateur du cabinet Renno Vathilakis Inc. Il est le fondateur et rédacteur en chef du blogue juridique À bon droit où il publie quotidiennement des billets de jurisprudence.
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