Comment Fasken a (presque) vendu Cossette
Rene Lewandowski
2009-11-20 10:15:00
C'était Claude Lessard, président du conseil et PDG de Cossette, qui sortait d'une rencontre d'urgence à Québec avec l'ex-grand patron de BCE, Jean Monty. Ce dernier venait de lui indiquer qu'un groupe d'investisseurs composé de dirigeants de Cossette et regroupés sous le nom de Cosmos allait déposer deux jours plus tard une offre non exécutoire pour acquérir l'ensemble des actions de Cossette.
Au bout du fil, Robert Paré, 55 ans, écoute son client, puis lui une pose une question dont la réponse aura des conséquences importantes sur l'issue de cette offre d'achat hostile: «Claude, as-tu l'intention de déposer une offre concurrente?» lui demande l'avocat. Non, répond Lessard, tout juste avant de raccrocher.
Dès cet instant, le cerveau de Robert Paré se met en marche. Son premier réflexe est de joindre sa collègue Marie-Josée Neveu, 37 ans, grande spécialiste de ce genre d'affaires. Elle est en vacances, au Mexique. «J'étais presque sur le bord de la piscine!» dit-elle, alors qu'elle reçoit La Presse dans une salle de conférence du cabinet. Heureusement, elle rentre le mardi suivant au bureau.
Mais Me Paré a déjà mis en branle les premières étapes du plan. On est samedi soir; dimanche, des avocats de Fasken sont au bureau à concocter des documents. Il faut préparer un communiqué de presse et un document descriptif des responsabilités des membres qui formeront le comité spécial que le conseil mettra en place le lundi suivant.
Chez lui dans les Laurentides, Robert Paré réfléchit à la stratégie. À l'évidence, il s'en rend bien compte, les dirigeants de Cosmos sont habiles. Leur offre est bien articulée. À 4,95$ l'action, elle représente une bonne prime par rapport au cours du titre, alors à environ 2,50$. Mais est-ce vraiment si bien payé? L'offre est déposée à un moment où le marché publicitaire vit sa pire conjoncture depuis des lunes. On s'attend d'ailleurs à ce que les résultats financiers de Cossette soient désastreux. Et, hasard ou coïncidence, l'offre de Cosmos tombe au moment même où Claude Lessard s'apprête à fêter son 60e anniversaire de naissance et à partir 10 jours en voyage. Du bon boulot, bien songé...
Le lundi, le conseil de Cossette se réunit d'urgence. On met en place un comité spécial composé d'administrateurs indépendants. Puis, à la suggestion de Fasken, on assigne au comité spécial des conseillers juridiques indépendants (Ogilvy Renault) et on retient des conseillers financiers (BMO) pour travailler à la stratégie financière. Car, dès ce moment, en même temps que l'on doit analyser l'offre de Cosmos, on doit aussi préserver la possibilité d'une offre concurrente. C'est pour ça que la question posée au téléphone par Robert Paré à Claude Lessard était si importante. S'il avait répondu oui, il aurait été très peu probable d'intéresser des acheteurs externes, vu qu'on aurait déjà deux offres provenant de la direction sur une entreprise dont la valeur dépend de son capital humain.
Du temps, du temps, et encore du temps
Justement, pour attirer des offres concurrentes, les financiers ont besoin de temps, une denrée rare. D'autant plus que la démission, mi-juillet, de George Morin, l'un des actionnaires importants, aura pour effet de faire perdre les votes à voix multiples à tous les actionnaires qui en possédaient. Dans 90 jours, la société deviendra «en jeu», pour reprendre un terme du milieu.
Dans cette course contre la montre, Cosmos possède une longueur d'avance. Les avocats de Fasken doivent donc trouver des façons de les ralentir. Mais il faut y aller avec prudence, car la moindre gaffe peut être lourde de conséquences. «Dans ce genre de situation, ça se joue sur les erreurs que l'on évite, pas seulement sur les bons coups», explique Robert Paré.
Le timing est primordial. «C'est comme une partie d'échecs, il faut avancer les bons pions au bon moment», dit Marie-Josée Neveu. Le 14 août, les avocats de Fasken lancent une première contre-attaque, lorsqu'ils recommandent à la société d'adopter un régime de droits des actionnaires, une «pilule toxique». Ce régime va ralentir passablement le prédateur en empêchant tout actionnaire de détenir plus de 20% des actions.
Puis, autre tuile pour l'envahisseur, on lui interdit l'accès aux livres, à la vérification diligente, pour reprendre le terme technique, ce qui, on le comprend bien, refroidira l'ardeur des financiers appelés à allonger les fonds pour conclure la transaction. Cette mesure sera levée en octobre, mais Cosmos n'accédera pas aux livres, ne voulant pas se conformer à toutes les conditions du protocole.
Chez Fasken, on met aussi à contribution, en parallèle, le département du droit du travail pour mettre en place un régime de rétention pour les cadres. L'idée est de trouver des façons pour retenir les meilleurs éléments. On établit donc un quantum en cas de séparation, on ajoute des primes de rétention et des clauses de non-concurrence dans les contrats. On cherche, dans le fond, à maximiser la valeur de l'entreprise, qui repose sur son capital humain.
Pendant ce temps, BMO s'est mis au boulot. Plus de 120 acheteurs potentiels ont été sollicités; 22 sont intéressés, au point de demander l'accès aux livres. Au final, plus de cinq feront une offre officielle, mais aucune firme canadienne dans le lot. Le 10 novembre, Cossette annonce avoir été vendue à Mill Road Capital, une firme d'investissement du Connecticut, pour un prix de 7,87$ l'action, une prime de 50% par rapport à l'offre bonifiée du 30 octobre de Cosmos.
«On a fait notre travail, disait lundi après-midi Marie-Josée Neveu, mais ce n'est pas encore terminé.» Elle ne croyait pas si bien dire. Car mardi soir, quelques heures à peine avant la date butoir, Cosmos est revenu à la charge en égalant l'offre de Mill Road Capital!
À suivre...