L'avocate entrepreneure

Rene Lewandowski
2008-11-07 09:30:00
Son rêve s'est effondré le jour où elle est revenue au travail quelques mois après avoir mis au monde son deuxième enfant.
«J'ai déchanté car le bureau n'était pas adapté à ma situation, raconte la jeune maman de 33 ans. Il était difficile de concilier mon rôle de mère avec les exigences d'un grand cabinet.»
Pascale Pageau ne voulait pas choisir et avait envie de se réaliser sur tous les plans. Elle a donc décidé de quitter BCF pour fonder sa propre entreprise. Ainsi est né, en juin 2005, le cabinet Delegatus services juridiques, propulsé par le désir d'une jeune femme de vivre pleinement la maternité et par celui d'une entrepreneure aux talents cachés.
Un pari risqué, il faut bien l'admettre, car elle n'est pas la première avocate à se lancer en solo. Ils sont des centaines au Québec à tenter le coup chaque année, parfois avec succès, la plupart du temps en tirant la langue et à se prendre la tête pour boucler leurs fins de mois.
Une gageure jusqu'ici néanmoins gagnée, comme en témoigne ce prix reçu le mois dernier du Réseau des femmes d'affaires du Québec, qui l'a consacrée «Nouvelle entrepreneure» de l'année.
Il est vrai que les résultats sont là. Au départ, Delegatus n'avait qu'une seule avocate, sa fondatrice, qui boulonnait de la maison et n'offrait que du litige commercial. Aujourd'hui, le cabinet compte huit avocats dans plusieurs champs de spécialisation du droit des affaires.
Pascale Pageau n'avait toutefois aucune intention d'y aller les yeux fermés. Elle avait un plan bien arrêté, qui consistait à offrir des services juridiques de qualité mais à des prix beaucoup plus accessibles que ceux offerts par les grands cabinets.
Jusque-là, rien de bien extraordinaire. Après tout, à moins de s'appeler Wal-Mart, vendre moins cher n'est pas l'idée du siècle, et nombre d'entrepreneurs se cassent la gueule tous les ans, convaincus de réussir en coupant les prix.
Et pourtant. Oui pourtant, à une période où de moins en moins d'entreprises ont les moyens de s'offrir des services juridiques haut de gamme, l'idée de jouer sur les prix n'était peut-être pas aussi farfelue.
D'autant plus qu'en ces temps difficiles, même les grandes sociétés se préoccupent de réduire leurs factures juridiques. Le mois dernier, The Association of Corporate Counsel, qui représente 23 000 conseillers juridiques d'entreprises à travers le monde, lançait le «Value Challenge», une initiative qui met au défi les avocats corporatifs et cabinets privés de développer des plans de facturation alternatifs, incluant des tarifs fixes, à forfaits, des escomptes de volume et des rabais divers.
Un cabinet virtuel
En pratique privée, Pascale Pageau, elle, avait déjà remarqué que les clients payaient souvent beaucoup trop cher pour des dossiers qui n'en valaient pas le coût. À cause notamment de l'augmentation annuelle systémique des taux horaires des avocats dans les grands cabinets, en fonction des années de Barreau, mais aussi en raison des frais d'exploitation des cabinets qui explosent, et dont la facture est refilée aux clients.
«Chez certains cabinets, juste le loyer peut représenter jusqu'à 50% des frais d'exploitation», dit l'avocate. Voila pourquoi, encore aujourd'hui, Delegatus n'a pas de bureau fixe, juste un centre d'affaires au centre-ville de Montréal, utilisé au besoin. Ici, pas de grandes salles de conférence ni de grands bureaux avec vue imprenable sur la ville, pas de planchers marbrés, pas de beaux tapis ni de grands tableaux accrochés aux murs. En fait, les avocats de Delegatus n'en ont pas besoin car ils travaillent tous de chez eux!
Cette structure permet en revanche d'offrir des prix imbattables. «C'est moitié moins cher qu'un grand cabinet», assure la fondatrice. Au détriment de la qualité? Pas du tout, en fait c'est la devise la maison: tous les avocats ont une expérience acquise dans les grands bureaux dans des domaines variés tels que le litige commercial, le droit commercial, la gestion des services juridiques, le droit du travail, etc.
«C'est formidable!» dit François Ramsay. Le vice-président des affaires juridiques du Groupe Pages Jaunes (GPJ) utilise les services de Delegatus depuis moins d'un an. Deux à trois fois par semaine, une avocate du cabinet est déployée chez GPJ, selon les besoins de l'entreprise. Elle révise des conventions de licence, des baux, des contrats commerciaux...
«Ça nous permet d'avoir une très bonne avocate tout en nous assurant de dépenser de la meilleure façon possible», dit François Ramsay, qui souligne que cela libère aussi ses avocats internes pour effectuer du boulot plus stratégique.
Chose certaine, Pascale Pageau ne regrette pas sa décision, même si elle ne réalisera pas son rêve de devenir associée. En tout cas, pas pour l'instant.
«C'est vrai, dit-elle, mais à la place, je me suis acheté la liberté.»
Anonyme
il y a 16 ansBravo, Me Pageau. Vous faites honneur à la profession en tant qu'avocate, femme d'affaires et... mère au travail!
Anonyme
il y a 16 ansBravo, Me Pageau. Vous avez fait un excellent choix... Et bonne continuation de carrière.
Par contre, je n'ai jamais compris pourquoi les jeunes avocats veulent "absolument" devenir "associé" (si cela n'arrive pas... ben, c'est pas pour vous; ce n'est pas la fin du monde). J'ai moi-même voulu devenir "associé", mais après réflexion et cheminement de carrière (i.e. apportunité de travail dans d'autres milieux) je suis très bien aujourd'hui sans être "associé".
Anonyme
il y a 16 ansÇa manque royallement de classe que de critiquer les grands bureaux de la sorte. Ils sont TOUS très honnêtes et transparents au sujet de leur intolérance vs. les plans de famille. Malgré les bulshittages occasionnels (ex.: programmes famille-travail, etc) il fautlire entre les lignes, tirer ses propres conclusions et débarquer tôt... au lieu d'y rester et de continuer à rêver. Quoi qu'il en soit, bravo Me Pageau pour tout le reste.
Anonyme
il y a 16 ansJe rajouerai que, sachant tout cela, elle n'avait qu'à pas vêler.