Gérald 1er
Dominique Tardif
2013-08-14 15:00:00
Je viens d’une petite ville nommée Arvida et, contrairement à d’autres, ce n’est pas le modèle familial qui m’a poussé vers le droit : la génération précédant mes parents comptait plutôt des fermiers. À 11 ans, j’ai quitté la maison pour être pensionnaire et faire mes études au Collège Saint-Alexandre. Je suis ensuite revenu terminer mon cours classique à Jonquière. Comme j’avais de l’intérêt pour bien des choses, j’ai consulté un orienteur, qui m’a fait remarquer que j’avais ce qu’on peut appeler le « sens de l’expression », et qui m’a conseillé d’essayer le droit, ce que j’ai fait. Cette facilité à m’exprimer a peut-être, d’ailleurs, une origine familiale : mon père avait la sclérose en plaques et, vu sa maladie, faisait de la dyslexie et ne pouvait conséquemment plus lire. Le matin, je lui lisais donc le journal à voix haute, ce qui m’a possiblement donné le goût de l’expression!
2. Quels sont les plus grands défis professionnels auxquels vous avez fait face au cours de votre carrière?
J’ai eu plusieurs beaux défis dans ma carrière :
Notamment, celui du dossier de la CECO. Je venais à l’époque de quitter le ministère fédéral de la Justice. Je connaissais donc le droit criminel et je n’avais pas été en pratique privée depuis suffisamment longtemps pour avoir des conflits d’intérêts. Je représentais avec d’autres la CECO, une commission d’enquête sur le crime organisé, qu’on attaquait judiciairement. Nous sommes allés plusieurs fois en Cour d’appel et en Cour suprême dans ce dossier, des procédures ayant été prises pour annuler la commission elle-même et contester l’étendue de son pouvoir de condamner quelqu’un en matière criminelle.
L’affaire Faber fut un autre dossier très stimulant : on y attaquait la constitutionnalité de la Loi sur les coroners, une loi provinciale, au motif qu’il s’agissait de juridiction fédérale. Notre argument était celui voulant que la loi relevait de l’administration de la justice et qu’il s’agissait donc de juridiction provinciale. Or, une semaine avant l’audition, nous apprenions que le mémoire n’avait pas été produit!! Après un changement d’avocats in extremis, nous avons obtenu une permission de produire le mémoire de façon tardive, avons plaidé le lundi suivant et… avons gagné la cause devant la Cour suprême!
Enfin, parlons du dossier des contrats secrets en matière l’électricité. En effet, les contrats avec les alumineries étaient à l’époque gardés secrets, au motif qu’agir autrement pourrait donner cours à de la concurrence déloyale. Nous étions ce jour-là en train de plaider à ce sujet devant la Commission d’accès à l’information, et un de mes collègues se trouvait dans le corridor attenant, à l’extérieur de la salle d’audience. Un certain Monsieur Morin, de Radio-Canada, aborde alors mon collègue et lui demande son avis sur l’interprétation à donner à une clause du contrat avant d’aller en ondes…Le contrat même dont on voulait empêcher l’accès, il l’avait en main! Mon associé est alors venu m’en souffler mot en salle d’audience. « Regarde son manteau, il faudra bien qu’il vienne le chercher avant de quitter », que je lui ai dis. De fait, Monsieur Morin entre en salle d’audience peu après. Je l’interpelle alors immédiatement en expliquant au tribunal qu’il s’apprêtait à divulguer le midi même, en ondes, le contenu du contrat que nous cherchions à maintenir confidentiel! Nous avons obtenu une ordonnance sur-le-champ!!
3. Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?
Ce que je voudrais se résume par les mots souplesse et efficacité :
Supposons, par exemple, que je suis en cour de pratique et que nous ne pouvons procéder comme il manque un juge: la remise peut être fixée pour 2-3 mois plus tard, ce qui ne fait pas beaucoup de sens pour un simple incident dans la cause. De la même façon, une requête visant à obtenir la permission de produire 15 pages de factum de plus peut prendre des heures, et bien sûr coûter très cher aux clients. Pourtant, un coup de fil entre les parties et monsieur le juge pourrait certainement permettre de régler les choses beaucoup plus efficacement. C’est cette rigidité, en faut, que je voudrais voir disparaître si je le pouvais.
Par ailleurs, je dis souvent que ‘émotion + précipitation = erreur’. L’instantanéité de notre système peut en effet parfois conduire à des erreurs. Un moment de réflexion, ça ne nuit pas! ‘Si, comme avocat, tu dois penser un peu au courriel que tu viens de recevoir, alors penses-y, et réponds donc le lendemain s’il le faut’. J’ai toujours dit à mes clients que le temps le plus payant pour eux était non pas quand j’étais occupé à ‘grafigner du papier’ ou à envoyer des lettres ici et là, mais quand je regardais par la fenêtre et que je réfléchissais, seul, à sa cause à la recherche de la bonne idée.
4. La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
Je crois qu’elle est pire, en grande partie à cause de la médiatisation à outrance et parce que ce qui vend du papier, c’est la focalisation sur le négatif. Ça ne peut évidemment faire autrement que de créer une image négative. Un autre facteur contributif est ce principe de proportionnalité: je suis de ceux qui croient que, même s’il s’agit d’une petite cause, il faut y mettre tout son cœur et tenter de la gagner, sans faire de différence quant aux montants et au temps investi, comme ils n’ont rien à voir avec les enjeux en cause.
5. Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière et voulant être un avocat de litige réputé, comme vous?
D’abord, il faut écouter son client et faire très attention à l’aspect humain chez nos clients, qu’il s’agisse d’individus ou de grandes corporations.
Il faut aussi se soucier des détails, car c’est à cause d’eux qu’on se fait prendre par surprise. Si vous n’avez pas noté l’importance d’un simple courriel ou d’un petit détail, il se peut que cela vous saute en plein visage en salle d’audience. Pour être un bon plaideur, il faut connaître son dossier par cœur.
Il faut aussi se méfier du réflexe nous incitant à donner une opinion trop rapidement. À mon avis, il n’y a rien de plus inquiétant pour un client que de se faire répondre immédiatement. Il vaut mieux dire : ‘la question est intéressante, je vérifie et te reviens dans une demi-heure’. Il faut, tout simplement, s’accorder une marge de réflexion.
Enfin, prenez garde à ce que vous dites, question de ne pas regretter de vous faire citer deux ans plus tard quant à quelque chose que vous avez déjà dit en salle d’audience!
En vrac…
• Le dernier bon livre qu’il a lu – L’Étranger (auteur : Albert Camus), qu’il vient d’ailleurs de relire.
• Le dernier bon film qu’il a vu – Des dieux et des hommes (réalisateur : Xavier Beauvois).
• Sa chanson fétiche – Il n’y a pas d’amour heureux (Georges Brassens).
• Son expression ou diction préféré – « Il est trop facile de faire de l’esprit quand on est méchant »
• Son péché mignon – La gourmandise!
• Son restaurant préféré – Le Mas des Oliviers (Rue Bishop, Montréal)
• Le pays où il aimerait retourner : La Grèce, pour visiter le musée de l’Acropole et les Iles Grecques.
• Le personnage historique qu’il admire le plus (et pourquoi?) - Churchill, pour sa capacité de rassembler tout un peuple, et pour le courage indomptable dont il a fait preuve. Le tout, en affirmant dans sa campagne électorale qu’il n’avait rien d’autre à offrir sauf du sang, de la sueur et de la douleur.
• S’il n’était pas avocat, il serait…un homme de science. Ça le fascine, tout simplement!
Me Gérald R. Tremblay est associé du groupe de litige chez McCarthy Tétrault au bureau de Montréal.
La pratique de Me Tremblay est axée principalement sur le droit civil, le droit des sociétés, le droit commercial et le droit de l’environnement, ainsi que sur les litiges en matière de recours collectif, de droit constitutionnel et de droit administratif.
Me Tremblay a plaidé d’importantes causes en libelle diffamatoire. Il a plaidé devant les tribunaux d’arbitrage dans des causes de droit du travail et de droit commercial et a agi comme conseiller auprès de tribunaux d’arbitrage international. Il a aussi agi à titre de président de tribunaux d’arbitrage en matière de différends commerciaux.
Me Tremblay est un ancien membre de l’Association canadienne de taxe foncière, Inc. ainsi que de la Ligue de sécurité du Québec. Il a été président de l’Institut national canadien pour les aveugles (INCA) – Division du Québec, pour la campagne de levée de fonds 2003 et a été pendant longtemps membre de son conseil d’administration. Il est membre de l’Union Internationale des Avocats, fellow de l’American College of Trial Lawyers et membre du Conseil consultatif de l’Institut du Canada au Woodrow Wilson Center (Washington D.C.). Il a été premier président du Comité permanent de lutte à la toxicomanie (gouvernement du Québec) créé à la suite du rapport du Comité Bertrand dont il était également membre. Il a été, pendant de nombreuses années, délégué du gouvernement du Canada à la Conférence sur l’Uniformité du droit et membre du Comité consultatif sur l’assistance juridique à l’Europe centrale et à l’Europe de l’Est. De plus, au Barreau de Montréal, Me Tremblay a été président du comité « Administration de la justice civile » et président du Comité de liaison avec la Cour d’appel du Québec. Il a été président du sous-comité du Comité sur la déontologie sur les conflits d’intérêts (Barreau du Québec). Il a été nommé représentant du Barreau du Québec au sein du Comité national de la Fédération des professions juridiques du Canada sur les conflits d’intérêts. Il a en outre participé à plusieurs activités du Barreau et de la magistrature.
Me Tremblay a par ailleurs publié des articles et donné des conférences sur divers sujets dont l’outrage au tribunal, les recours collectifs, les recours des actionnaires opprimés, la responsabilité civile des conseillers juridiques, les tribunaux et les médias.
Me Tremblay figure dans le répertoire Guide to the Leading 500 Lawyers in Canada (édition 2005) à titre de chef de file dans les domaines des recours collectifs, du litige commercial des entreprises, du litige en valeurs mobilières ainsi que dans le domaine de la responsabilité des dirigeants et des administrateurs. Il occupe une place importante dans le répertoire Canadian Legal Lexpert Directory, un guide complet des principaux cabinets d’avocats et avocats au Canada, où il figure à titre de chef de file dans les domaines du litige – recours collectifs, droit commercial et des sociétés, droit public et valeurs mobilières – et de la responsabilité professionnelle. Dans la dernière édition du répertoire Best Lawyers in Canada, il est inscrit à titre de chef de file dans les domaines suivants : droit administratif et public, litige en recours collectifs, litige en droit commercial et en droit des sociétés, responsabilité des dirigeants et des administrateurs, litige en valeurs mobilières et, finalement, droit de la diffamation et des médias. Il figure également parmi les meilleurs plaideurs du monde dans le 2005 Guide to the World’s Leading Litigation Lawyers du Legal Media Group. Il est inscrit dans l’édition 2005 de la publication PLC Which Lawyer, dans le domaine du règlement des différends.
Me Tremblay figure dans les éditions 2005 et 2006 du répertoire American Lawyers Guide to the Leading 500 Lawyers in Canada, publié par Lexpert, à titre d’avocat chef de file dans les domaines des recours collectifs, du litige commercial des entreprises, du litige en valeurs mobilières et de la responsabilité des dirigeants et des administrateurs. En octobre 2005, son nom figurait sur la liste des « Top 100 Canada-US Litigators » publiée dans leFinancial Post et il a été nommé avocat de l’année en litige « survie de l’entreprise à risque » à Montréal dans l’édition 2011 de la revue Best Lawyers in Canada.
Me Tremblay a reçu un baccalauréat ès arts de l’Université Laval (Québec) en 1964 et a obtenu un certificat d’études économiques et sa licence en droit de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa en 1967. Il a été admis au Barreau du Québec en 1968. En 1969, il a obtenu un diplôme d’études supérieures en droit public de l’Université d’Ottawa. Il a été secrétaire juridique à la Cour suprême du Canada de 1967 à 1969. Il a été nommé conseil de la reine en décembre 1987, est devenu membre de l’Ordre du Canada en décembre 2003 et Officier de l’Ordre national du Québec en juin 2005, a reçu le titre d’avocat émérite en mai 2010, est présentement vice-président de la Fédération des ordre professionnels de juristes du Canada ainsi que Président de la Commission ‘’Avenir de l’avocat’’ de l’Union Internationale des Avocats.
Me Tremblay a été Bâtonnier du Québec de 2008 à 2009.