« Jongler avec plusieurs balles »
Dominique Tardif
2014-12-03 14:15:00
Je suis entouré, dans ma famille immédiate, de plusieurs professionnels, mais pas d’avocat. J’ai étudié en sciences de la santé au Cégep Vanier. Un entraîneur de basketball qui était aussi avocat m’a à l’époque engagé au sein de son cabinet pour travailler comme court runner pendant les étés. J’ai ainsi eu la chance de me voir expliquer des dossiers et d’aller à la cour chaque jour. Il m’arrivait aussi d’aller en salle d’audience pour voir ce que les avocats y faisaient lorsque j’attendais pour un dossier ou un autre, et je trouvais cela bien intéressant.
J’ai ensuite fait un baccalauréat à McGill en sciences politiques et histoire, en pensant au droit pour la suite des choses. Après mes études de droit, j’ai complété mon stage au sein du contentieux de Future Electronics, et j’ai toujours continué à travailler à l’interne par la suite. J’aime travailler sur plusieurs facettes du droit pour un seul et même client.
Même si mon père aurait bien voulu que je devienne médecin, il semble quand même bien fier de son fils aujourd’hui!
2. Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière ?
Mon plus grand défi fut chez MEGA Brands. Lors de mon arrivée en 2008, la compagnie faisait face à une difficile conjoncture, attribuable à une acquisition faite trois ans auparavant. La restructuration de l’entreprise a eu lieu en 2010 et les litiges se sont poursuivis jusqu’à leur règlement en 2011-2012. Nous faisions face à plusieurs poursuites en responsabilité de produits, à des allégations de délits d’initiés, à des recours collectifs et, tout cela, avec une dette énorme. C’était comme ‘un tsunami d’événements’, et il fallait jongler avec bien des balles dans les airs en même temps !
Nous avons finalement procédé à une restructuration de capital vraiment unique par plan d’arrangement, de façon à préserver la valeur pour les actionnaires, et avons réglé les litiges un par un. J’étais seul aux affaires juridiques à ce moment, aidé d’une avocate qui s’occupait, comme secrétaire corporatif adjoint, du conseil d’administration, et travaillant étroitement avec une très petite équipe composée notamment du chef de la direction et du chef de la direction financière. Tous ces efforts ont permis de positionner favorablement la compagnie pour une acquisition par Mattel, leader mondial de l’industrie, en avril 2014.
3. Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit ?
J’éliminerais les heures facturables ! Comme entreprise, nous cherchons constamment à réduire les dépenses et à mieux prévoir les coûts, ce qui est difficilement conciliable avec une méthode de facturation à l’heure. J’aimerais que les cabinets puissent fournir des prix fixes pour des tâches qui sont plutôt régulières. Je conviens que la chose est peut-être plus difficile à faire en litige, mais il existe là aussi des moyens d’établir des objectifs. J’ai, pour ma part, eu du succès en matière de prix fixes avec plusieurs cabinets. Je crois que cela vaut par ailleurs la peine pour les cabinets de procéder ainsi, sachant que nous recherchons à développer des relations à long terme avec eux.
4. La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis ?
Je pense qu’elle est égale à ce qu’elle était à mes débuts en pratique, et qu’elle n’est par ailleurs pas si mauvaise que cela ! Tout dépend de la perception de qui. Les gens n’ayant jamais été mis en contact avec des avocats n’ont peut-être pas grand-chose de bon à dire à leur sujet, mais d’autres, pour lesquels l’avocat a su faire toute la différence dans leur dossier, auront des commentaires fort positifs à leur égard. Cela dépend aussi de la position dans laquelle la personne s’est trouvée : dans un litige, une personne est heureuse du dénouement, alors que l’autre ne l’est souvent pas.
Il existera toujours des avocats sans scrupule, comme dans les autres métiers et professions. La majorité des avocats sont cependant sérieux, font preuve d’intégrité et croient en ce qu’ils font. Oscar Wilde disait : Quand on parle de vous, c’est affreux, mais il existe pire, soit quand personne ne parle de vous ! Les nombreuses blagues sur les avocats ne sont peut-être donc pas si pires qu’elles ne le paraissent!
5. Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière et voulant devenir chef des affaires juridiques, comme vous ?
D’abord, il faut se donner le temps de bien comprendre l’industrie, la business dans laquelle on travaille, la façon dont l’entreprise vend ses produits et le marché dans lequel la compagnie évolue. Une fois cela fait, on est beaucoup mieux placé pour comprendre les risques qui sont ou non acceptables pour l’entreprise, de façon à devenir un véritable conseiller d’affaires et non plus seulement un conseiller juridique.
Il faut également développer sa capacité à résumer et à décortiquer les situations complexes. En effet, les gens d’affaires n’ont ni le temps ni la patience d’entendre de longs discours théoriques ou de lire de longues opinions juridiques. La règle est donc de savoir donner des avis juridiques rapidement et avec confiance. En d’autres mots : make it easy!
Enfin, il faut toujours trouver des solutions et se bâtir une réputation de solutionneur de problèmes. Lorsqu’on propose des solutions, il vaut mieux les accompagner de leurs chances de succès. Offrir une probabilité de succès de 50% n’est pas une solution ! Faire l’exercice d’évaluer les probabilités permet de vérifier que ce qu’on suggère est adéquat. À titre d’exemple, dans les deux premières semaines suivant le début de mon emploi chez MEGA Brands, le vice-président des finances de l’entreprise devait subir un interrogatoire au sujet d’une requête déposée avant mon arrivée. Deux heures après le début de l’interrogatoire, les choses n’allaient pas bien du tout. J’ai alors discuté plus en profondeur du dossier avec lui et en ai conclu que cette requête avait été déposée alors qu’elle n’aurait tout simplement pas dû l’être : les chances de succès étaient très minces et n’avaient probablement pas été prises en compte. Peser le pour et le contre permet, à mon avis, de mieux choisir ses batailles.
En vrac…
• Les derniers bons livres qu’il a lus – Flash Boys (auteur : Michael Lewis) et David & Goliath (auteur : Malcolm Gladwell).
• Le dernier bon film qu’il a vu – Djanjo Unchained (réalisateur : Quentin Tarantino)
• Sa chanson fétiche – Mr. Jones (de Counting Crows)
• Son expression ou diction préféré – ‘What’s the solution?’
• Son péché mignon – Le chocolat!
• Son restaurant préféré – Elounda (Boulevard Marcel Laurin à ville Saint-Laurent)
• Le pays qu’il aimerait visiter – L’Afrique du Sud
• Le personnage historique qu’il admire le plus (et pourquoi?) –Franklin Delano Roosevelt, président des États-Unis pendant la grande dépression et la 2e guerre mondiale. Il a ‘tout vécu’, et a su créer bien des choses qui subsistent encore aujourd’hui, dont l’État providence et les lois sur la sécurité sociale.
• S’il n’était pas avocat, il serait… enseignant au secondaire ou au cégep, comme son père. Il se considère chanceux d’avoir pu être influencé et guidé, chaque année, par un professeur, et aimerait pouvoir le faire à son tour, ne serait-ce que pour un seul des trente enfants qui composent une classe.
Il a également négocié des ententes de licences avec les plus grands noms du monde de divertissement tels que Disney, Nickelodeon et Universal Studios, ainsi qu’avec les chefs de file des jeux vidéo tels que Microsoft Studios, Activision et Ubisoft. Ses efforts ont positionné l’entreprise comme une cible intéressante pour Mattel, le leader mondial de l’industrie des jouets, qui a fait l’acquisition de MEGA Brands en 2014. Avant de se joindre à MEGA Brands, Me Girgis était conseiller juridique chez Future Electronics, un chef de file mondial de la distribution de composantes électroniques.
Me Girgis est membre du Barreau du Québec depuis 1998 et a été l’un des finalistes de la catégorie Chef des affaires juridiques de l’année des Prix ZSA des conseillers juridiques du Québec en novembre 2014.