Arrêt Jordan: le DPCP fait appel!
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Jean-Francois Parent
2017-04-12 16:46:00

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) fait appel du jugement prononçant l’arrêt des procédures contre le Sri lankais d'origine, libéré la semaine dernière d'une accusation de meurtre au second degré, provoquant une tempête politique.
Un avis d'appel a été déposé à la Cour d'appel de Montréal.
Dans un très bref communiqué, le DPCP interjette appel de la décision du juge Alexandre Boucher, qui a ordonné un arrêt des procédures contre Sivaloganathan Thanabalasingham, accusé d’avoir égorgé sa jeune épouse, Anuja Baskaran, en août 2012.
La Couronne allègue que le juge Boucher a commis des erreurs de droit dans l'application de l'arrêt Jordan.
Le juge aurait « erré »
Prenant appui sur l'arrêt Jordan, le juge Boucher, de la Cour supérieure, avait estimé qu'un délai de 55 mois entre la mise en accusation et la tenue d'un procès est inconstitutionnel, et ainsi ordonné au ministère public de libérer l'accusé.
Le DPCP estime plutôt qu'il a erré en droit en ne déduisant pas du délai la période de l'enquête préliminaire, qui a dépassé ce qui était prévu, ce qui constituerait une « circonstance exceptionnelle ». Le juge Boucher aurait aussi erré en ne déduisant pas la différence entre la date retenue pour le procès et la date plus hâtive qui avait été offerte, un délai attribuable à l'accusé, selon le DPCP.
Il affirme aussi que le juge aurait dû « reconnaître le caractère moyennement complexe de l'affaire dans un district judiciaire renommé pour être aux prises avec des délais institutionnels problématiques ».
Le DPCP pointé du doigt par le juge
De son côté, le juge Boucher blâme le DPCP.
« Le temps démesurément long requis pour l'enquête préliminaire n'échappait pas au contrôle de la Couronne. Bien au contraire », écrit le juge Boucher, dans sa décision, vendredi. Il relève que le DPCP est en partie responsable des délais qui ont permis à l'accusé de bénéficier de l'arrêt de procédures.
Le juge a rejeté l'argument du DPCP voulant que les délais aient étés exceptionnels.
En fait, la Couronne n'a pas fait grand chose « pour réduire les longs délais institutionnels » inhérents à la justice criminelle et faire subir son procès à l'accusé dans des délais raisonnables, a constaté le juge.
L'avocat de l'accusé juge l'appel «normal »
L'avocat Joseph La Leggia, qui a défendu Sivaloganathan Thanabalasingham, juge normal que le DPCP fasse appel de la décision du juge Boucher. « Ils trouvent que le juge a erré, c'est leur droit », dit-il.
Comme la cause en question ne s'est pas conclue par un verdict, mais par arrêt de procédures, Me La Leggia (littéralement "la loi" en italien) ne voit que deux issues possibles: « Humblement, la Cour d'appel a le choix entre refuser l'appel ou ordonner un nouveau procès. »
N'ayant pas une grande expérience des appels, il doute qu'il sera celui qui représentera M. Thanabalasingham pour la suite des choses.
Quant au potentiel que le prévenu soit repris en charge par les services correctionnels, rien n'arrivera à moins que la Cour d'appel n'ordonne un nouveau procès.
« La règle de droit applicable en ces cas-là c'est que l'intimé bénéficie du statut qu'il avait au après le jugement », et donc il ne sera pas incarcéré par les Services correctionnels canadiens.
Ordre d’expulsion
Sivaloganathan Thanabalasingham n'a cependant pas goûté longtemps à l'air libre, puisque l'Agence des services frontaliers l'a incarcéré le jour même de sa libération, jeudi, le temps de statuer sur son éventuelle expulsion.
Il fait l'objet d'un ordre d'expulsion décrété lundi par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Son dossier doit être réévalué jeudi pour savoir s'il demeurera détenu en attendant la suite des procédures.
En rendant sa décision, la commissaire Diane Tordof a souligné le manque de collaboration de M. Thanabalasingam et son absence de remords en lien avec son historique de voies de fait et de violence conjugale.