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Barrick Gold tente d’éviter un procès au Canada

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Radio-canada Et Cbc

2024-10-18 14:15:42

Depuis 2022, Barrick Gold est poursuivie en Ontario par une vingtaine d’Autochtones de Tanzanie, les Kurias. Source : Radio-Canada / La Presse canadienne / Nathan Denette
Depuis 2022, Barrick Gold est poursuivie en Ontario par une vingtaine d’Autochtones de Tanzanie, les Kurias. Source : Radio-Canada / La Presse canadienne / Nathan Denette
Une minière contestée par des Autochtones tente d'éviter un procès sur le sol canadien.



Alors que Barrick Gold est poursuivie en Ontario pour des allégations de violences en rapport avec ses activités en Tanzanie, elle estime que les tribunaux canadiens n’ont pas la compétence dans cette affaire. À Toronto, elle a défendu son point de vue lors de trois jours d’audiences cette semaine.

Les avocats de la minière canadienne Barrick Gold ont maintenu une ligne de défense claire devant la Cour supérieure de l’Ontario : selon eux, les plaignants brossent un tableau inexact de la réalité sur le terrain de la mine d'or de North Mara et du système juridique tanzanien.

Depuis 2022, Barrick est poursuivie en Ontario par une vingtaine d’Autochtones de Tanzanie, les Kurias, installés près de sa mine d’or de North Mara. Cette mine se trouve dans le nord du pays, près de la frontière avec le Kenya.

La mine North Mara, au nord de la Tanzanie

Selon la poursuite, Barrick Gold serait liée à des allégations de violence, et le lien qu’elle entretiendrait avec la police locale serait problématique. Elle fait notamment référence à la mort d’au moins 77 personnes aux alentours et à l'intérieur de la mine lors d’affrontements avec la police tanzanienne. Son but consiste à rendre Barrick responsable de ces violations des droits de la personne.

Barrick Gold estime que la cour ontarienne n’est pas compétente pour juger cette affaire civile et c’est ce point qui a été débattu du 15 au 17 octobre.

« La mauvaise défenderesse dans la mauvaise juridiction »

Devant le juge Edward Morgan, l’avocat principal de Barrick, Kent Thomson, a répété ce que la minière a toujours dit sur toutes les plateformes et devant tous les forums : cette cause concerne des Tanzaniens pour des faits allégués en Tanzanie, et c’est sa filiale, North Mara Gold Mine Limited (NMGML), qui se trouve sur place.

Barrick Gold possède 84 % de la mine de North Mara par le truchement de cette filiale, les 16 % restants appartenant au gouvernement tanzanien.

Selon l’avocat,« le petit bureau de Barrick à Toronto » n'a aucun lien avec la gestion ou l'exploitation de la mine de North Mara et n'y participe pas. Le siège de la minière se trouve en effet à Toronto.

Joe Fiorente, un des avocats des plaignants, a balayé cet argument du revers de la main lors de sa plaidoirie : « Barrick est une créature de la loi canadienne. Sa raison sociale est définie par le droit canadien ».

Cependant, de son côté, Me Thomson a évoqué le cas de Loblaws, poursuivie après l’effondrement de l’usine de fabrication de vêtements du Rena Plaza au Bangladesh, en 2013, qui avait fait plus de 1000 morts.

La question clé était similaire à celle discutée devant le juge Morgan à Toronto et, finalement, la Cour suprême avait décidé de ne pas entendre l’affaire.

Par ailleurs, les avocats de Barrick ont insisté sur le fait que ce sont plutôt la police tanzanienne et la filiale de Barrick, North Mara Gold Mine Limited, qui devraient éventuellement être poursuivies.

« C'est la police tanzanienne qui, prétendument, a tiré, tué, blessé et torturé. Gardez cela à l'esprit », a encore insisté Me Thomson.

Cela étant, il faut noter que les deux cabinets qui représentent les Autochtones dans ce dossier ont déjà gagné d’importantes batailles dans des causes similaires.

Ainsi, en 2017, ils sont parvenus à convaincre la Cour d’appel de la Colombie-Britannique à propos d’une autre minière enregistrée au Canada, Tahoe Resources, qui plaidait le même argument, à propos d'allégations de violences à l’encontre de Guatémaltèques à proximité de sa mine Escobal. La minière a finalement opté pour un règlement hors cour en 2019.

Joe Fiorante n’a pas manqué de revenir sur ce dossier.

La responsabilité de Barrick et ses liens avec la police

Pour les avocats des plaignants, Barrick reste au sommet de la chaîne de prise de décisions. Ainsi, « les cadres de Barrick ont été directement impliqués dans les accords avec les forces de police tanzaniennes (…). Bien que Barrick ne soit pas une partie formelle des accords avec la police tanzanienne, elle est intimement impliquée ».

Selon Cory Wanless, un autre avocat qui représentait les plaignants, « les empreintes digitales de Barrick se trouvent partout » sur ces ententes.

Mark Bristow, président-directeur général de Barrick Gold. Source : Getty Images / Aamir Qureshi
Mark Bristow, président-directeur général de Barrick Gold. Source : Getty Images / Aamir Qureshi

Dans sa plaidoirie, il a insisté sur le fait que ces accords ont été revus et approuvés par Mark Bristow, le PDG de Barrick, ainsi que par d’autres cadres supérieurs de Barrick et non pas par sa filiale. Leurs signatures figurent au bas de l’entente.

« Me Thomson (un des avocats de Barrick,NDLR) a dit quelque chose que j'ai trouvé alarmant en affirmant que le rôle de la police est de protéger les employés de North Mara et de protéger les biens de North Mara », a poursuivi Me Wanless.

« Ce n'est pas une description de la police à laquelle je souscris », mentionne Corey Wanless.

Me Wanless a pris de longues minutes pour démontrer le devoir de diligence de Barrick en se basant sur les politiques internes et affichées de la minière elle-même.

Les avocats des plaignants ont rappelé que c'est Barrick, et non sa filiale locale, qui affirme avoir une politique de « tolérance zéro pour les violations des droits de la personne partout où elle est active ».

Pour ces raisons, ils estiment que « ces politiques placent la responsabilité du respect des droits de la personne et des normes de sécurité au plus haut niveau de la structure de l'entreprise ».

« Il ne suffit pas de dire : "Nous faisons toutes ces choses", il faut se demander : "Est-ce que vous les avez effectivement faites?" », ajoute Corey Wanless.

Quelle justice en Tanzanie?

Selon Barrick Gold, l’argumentaire des avocats des plaignants remettrait en question la capacité de la justice tanzanienne de traiter cette cause. À de nombreuses reprises, Me Thomson a rappelé qu’il n’y avait aucune preuve en ce sens.

« La Tanzanie possède un système de justice bien établi, impartial et indépendant », explique Me Kevin Thomson, l’avocat des défendeurs.

Durant l’audience, Steven Frankel, un autre avocat de Barrick, est même allé jusqu’à donner des exemples de procédures tanzaniennes qui n’existent pas en Ontario. Il a aussi rappelé que ce n’est pas parce qu’un système judiciaire est différent « qu’il faut le regarder de haut ».

De leur côté, les avocats des plaignants ont régulièrement répété que le système tanzanien prive les plus démunis d’un accès à la justice. Les Kurias font partie des populations les plus pauvres, selon les avocats, surtout depuis que les compagnies minières se sont installées sur leur territoire, dans le nord de la Tanzanie.

Joe Fiorante a commencé sa plaidoirie en citant justement le témoignage d’une femme kuria dont le fils aurait été assassiné par ce que les avocats et les plaignants nomment « la police de la mine ».

« Je n’ai pas confiance dans le système de justice tanzanien. Et même si j’avais confiance en cela, je n’aurais pas assez d’argent pour me payer un avocat. Mon argent, je le garde pour subvenir aux besoins de mes enfants », a-t-il fait valoir en citant cette femme.

Barrick Gold a plusieurs mines d'or dans le monde, dont celle de North Mara, en Tanzanie. Source : Radio-Canada / Barrick Gold
Barrick Gold a plusieurs mines d'or dans le monde, dont celle de North Mara, en Tanzanie. Source : Radio-Canada / Barrick Gold

Dans leur résumé, les avocats des plaignants ajoutent que les « tribunaux de la Tanzanie n'offrent pas (…) de forum plus équitable ni plus efficace que celui de l'Ontario » et que ce pays n’est tout simplement pas équipé pour traiter des dossiers complexes de ce type, citant à ce sujet le responsable du plus grand bureau d’aide juridique de la Tanzanie.

« Si cette cause n'est pas entendue en Ontario, elle ne le sera pas du tout », dit Joe Florante.

Notons qu’aucune poursuite civile n'a été déposée devant les tribunaux tanzaniens en rapport avec les tirs de la police à North Mara et qu’aucun policier n’a été inculpé à ce jour.

Toutefois, les avocats de Barrick soutiennent que les plaignants n’ont jamais apporté la preuve d’avoir ne serait-ce qu’essayé de poursuivre sa filiale NMGML ou la police tanzanienne en cour en Tanzanie.

Le climat qui règne en Tanzanie a aussi été soulevé par les avocats des Kurias. Ils citent notamment un expert qui a expliqué que « les avocats (tanzaniens) font fréquemment l'objet de représailles lorsqu'ils représentent des clients jugés défavorables par les puissants ». En 2023, l'Association du Barreau canadien a elle-même dénoncé le « harcèlement et la détention d'avocats en Tanzanie ».

« Corruption » ou « injustice », ce ne sont que des « suppositions », plaident pour leur part les avocats de Barrick.

Un procès monstrueux

Comme la poursuite porte sur plusieurs allégations de meurtres et de blessures, Me Thomson assure que le nombre de témoins à interroger ou encore le nombre de preuves à recueillir rendraient l’affaire très complexe. « Imaginez le volume de preuves nécessaire pour chaque cas. Ce serait un dossier monstrueusement complexe », a-t-il dit.

« (M. le juge), vous voyez-vous, vous-même ou un de vos collègues, devoir trancher cette question complexe de droit tanzanien alors qu'il y a 50 juges en Tanzanie qui pourraient facilement le faire? Cela impose à ce tribunal une charge qu'il ne devrait pas accepter », a soutenu Steven Frankel, avocat des défendeurs.

Me Frankel est aussi revenu sur les interrogatoires de plusieurs témoins menés par son équipe en Tanzanie. Il a évoqué des problèmes d’organisation compliqués, étant donné l’éloignement géographique de la région où se trouve la mine.

Il a ajouté que « même ceux qui parlent anglais » avaient des problèmes « de prononciation ». Si les langues officielles de ce pays sont le swahili et l'anglais, davantage de Tanzaniens parlent le swahili.

« Ces barrières linguistiques ne se poseraient tout simplement pas en Tanzanie, et ce, en raison de la capacité des tribunaux tanzaniens à accepter des témoignages en swahili », a dit Me Frankel.

Les avocats ont aussi soulevé la question du décalage horaire entre la Tanzanie et le Canada. « Quel juge de cette cour voudrait se lever à 3 h du matin pour participer à un procès virtuel avec des témoins qui font appel à trois interprètes swahilis de Tanzanie? », ont-ils lancé.

D’ailleurs, selon Me Thomson, il sera extrêmement difficile de réunir tous les témoins, y compris les policiers tanzaniens, car « il est peu probable que la police tanzanienne permette à des dizaines d'agents de prendre congé ».

Le délai avec lequel la décision du juge Morgan sera rendue n’est pas connu.

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