Comment frauder un cabinet

Marie Pâris
2013-11-19 15:00:00

Eddie Liu demanda un jour un congé d’un an pour préparer son examen du Barreau, qu’il avait déjà raté une première fois. Sa demande lui fut accordée par ses patrons-bonnes fées.
L’associé-directeur du cabinet se souvient même avoir personnellement encouragé l’assistant et lui avoir souhaité bonne chance dans sa quête: «Eddie Liu a travaillé avec nous pendant treize ans. C’était un assistant senior et il n’a jamais commis un seul faux-pas. Nous sommes encore stupéfaits de ce qu’il a fait...»
Falsification de signatures
Ce qu’il a fait? (Là, vous êtes tellement pris dans mon histoire que même si l’alarme incendie du cabinet se déclenche, vous allez rester pour lire jusqu’au bout. Donc je reprends) Ce qu’il a fait? Voler 92 millions de dollars à un gros client - la compagnie de clé USB et carte mémoire SanDisk Corp.
En 2002, l’entreprise américaine avait autorisé le cabinet d’avocats à ouvrir un compte de trading pour y déposer des actions de sociétés taïwanaises dans lesquelles SanDisk détenait une participation.
En juillet 2003, pas moins de 183 millions d’actions ont été déposées dans le compte sur lequel Lee and Li détenait une procuration. La signature des associés était remplacée par un sceau, et Eddie Liu l’a utilisé pour falsifier des documents et autoriser le transfert d’actions vers différents comptes de courtage qu’il avait ouverts à Taïwan et à Hong Kong.
Il a par la suite vendu ces titres pour 92 millions de dollars, qu’il a ensuite convertis en diamants et traveller chèques.
Les associés de Lee and Li ont découvert la fraude le 13 octobre suivant, soit quatre jours seulement après que Liu eut quitté le cabinet pour son congé - dont il ne reviendrait jamais.
Pas d’assurance responsabilité professionnelle
Alors que le cabinet n’avait pas d’assurance de responsabilité professionnelle, les 40 chevaliers du cabinet décidèrent d’un plan pour rembourser SanDisk intégralement, en puisant dans leurs économies personnelles et en effectuant gratuitement des services juridiques.
À ce jour, ils ont pratiquement terminé de payer l’entreprise américaine. Encore un an et ils pourront tourner la page sur la plus grosse malversation jamais entreprise envers une compagnie américaine.
Ni vu ni connu
Pendant ce temps, Eddie Liu se cache dans une contrée lointaine - certains disent qu’il est en Chine. Il est l’un des fugitifs les plus recherchés de Taiwan, et l’argent volé reste introuvable. Le cabinet avait embauché des détectives privés pour tenter de lui mettre la main au collet, sans succès.
Lee and Li s’en sort malgré tout mieux que jamais, et reste le meilleur cabinet d’avocats de Taiwan, avec des clients comme Apple Inc., Microsoft Corp., ou, étonnament, SanDisk.
La morale de l’histoire, dix ans après les événements, c’est l’associé-directeur qui l’a trouvée: «Quand j’y repense maintenant, je me dis que finalement tout cet argent en valait la peine. Depuis cette histoire, le cabinet s’est vraiment remis en question, et il en avait besoin». La sagesse asiatique, sans doute...