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Facebook visé par deux poursuites antitrust

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Camille Laurin-Desjardins

2020-12-14 13:15:00

La Commission de la concurrence américaine et 48 États accusent Facebook d’avoir eu recours à des pratiques anticoncurrentielles… Droit-inc en a discuté avec un spécialiste.
L’avocat Daniel Martin Bellemare. Photo : LinkedIn
L’avocat Daniel Martin Bellemare. Photo : LinkedIn
Après Google, c’est maintenant le tour de Facebook. Le géant des médias sociaux est visé non pas par une, mais par deux poursuites, aux États-Unis, pour avoir utilisé des pratiques anticoncurrentielles.

La Commission de la concurrence américaine, ou la Federal Trade Commission (FTC), qui par ailleurs, semble connaître des soucis financiers en ce moment – est-ce que cela va lui nuire, dans cette giga-poursuite? – ainsi que 48 États américains exigent que Facebook se départisse d’Instagram et de WhatsApp, achetées en 2012 et en 2014.

Droit-inc a discuté de ces deux recours avec l’avocat Daniel Martin Bellemare, membre des Barreaux du Québec et du Vermont, pratiquant à son compte dans le domaine de la concurrence, notamment.

Droit-inc : Que pensez-vous de ces deux poursuites? Ça ressemble au recours intenté contre Google?

Daniel Martin Bellemare : Oui… et je trouve que ça frappe même encore plus fort que l'autre!

Pourquoi?

Dans les deux poursuites, les deux demandeurs demandent d’entrée de jeu que Facebook se départisse de deux entreprises : Instagram et WhatsApp. C'est la pierre angulaire de la cause d’action.

Et dans le cas de la poursuite intentée par les 48 États américains, ça va plus loin que ça. Non seulement ils fondent leur recours sur Sherman Act (la loi fédérale sur la concurrence), Section 2, la même disposition que le gouvernement américain a invoquée contre Google, soit « monopolization », c'est-à-dire maintenir une position dominante sur le marché en ayant recours à des agissements anticoncurrentiels… Mais ils fondent leur recours également sur Clayton Act (une loi qui vient compléter Sherman Act), Section 7, qui est une disposition qui régit les fusions d'entreprises, du point de vue de la concurrence. C'est une autre disposition de la législation fédérale américaine sur la concurrence.

Et j'ai l'impression que les 48 États américains ont également fondé leur recours sur cette disposition-là pour se prémunir d'un éventuel échec sous Sherman Act,Section 2. Autrement dit : ils ne prennent pas de chance.

Pourquoi y a-t-il deux poursuites? Quelle est la différence entre les deux?

Les deux poursuites sont quasi identiques. D'ailleurs, elles sont intentées devant le même tribunal, de sorte qu'il ne serait pas surprenant qu'éventuellement, il y ait réunion d'action dans les deux…

Les causes d’action sont identiques, et les redressements demandés sont également les mêmes : que Facebook se départisse d'Instagram et de WhatsApp.

Quand va venir le moment de déterminer quel est le juge qui va entendre l'affaire, je suis pas mal certain qu’éventuellement, il va y avoir réunion de ces deux causes d'action.

Mais pourquoi la FTC et les 48 États américains ont intenté leurs propres procédures? Je n'ai pas de réponse à cette question-là.

Ce sont deux poursuites assez costaudes… Qu’est-ce qu’on reproche à Facebook?

Oui, effectivement, comme la poursuite contre Google...

L’infraction de monopole a deux éléments : d'abord, il faut détenir une position dominante, c'est-à-dire être dans une position de « market power ». Ce que ça veut dire, c'est qu'il faut qu'une entreprise soit dans une situation où elle peut décider unilatéralement de monter le prix d’un service ou d’un produit sans tenir compte de la réaction de ses concurrents.

Deuxièmement, il faut que la situation de « market power » ait été acquise ou maintenue via des agissements anticoncurrentiels. Parce qu'avoir une position dominante ou un monopole, d'un point de vue économique, il n'y a rien de mal à ça, si c’est parce que le bien ou le service est supérieur à celui que ses ex-concurrents offraient sur le marché. C'est ça le but de la libre concurrence : en mettant les entreprises en concurrence les unes contre les autres, on établit un rapport de force entre ces entreprises qui les amène à diminuer leurs coûts de production et à offrir les plus bas prix et les meilleurs produits ou services.

Mais là, ce qui est reproché à Facebook, c'est d'avoir maintenu la position dominante qu'ils ont depuis 2011 en ayant recours à des agissements anticoncurrentiels, notamment l'acquisition d’Instagram et de WhatsApp.

Dans les deux poursuites, il semble y avoir un consensus à l'effet que Facebook a acquis une position dominante sur le marché en raison d’un rendement supérieur… Le problème, c’est qu'on dit qu’à partir du moment où ils ont acquis cette position dominante, ils l’ont maintenue grâce à des agissements anticoncurrentiels…

La raison pour laquelle ils ont acquis ces deux entreprises, selon la poursuite, c'était justement pour empêcher des entreprises de leur faire concurrence, d'éliminer des concurrents actuels, et aussi d'empêcher des concurrents potentiels d'entrer sur le marché et de leur faire concurrence. Il y avait un double objectif d'éliminer la concurrence, prétend-on.

D'ailleurs, dans les poursuites, on cite des extraits de courriels de Mark Zuckerberg où il évoque clairement cela...

Absolument. Ils ont fait une enquête assez sérieuse pour recueillir des preuves… pour tenter de démontrer que les deux acquisitions effectuées visaient effectivement non pas à permettre à Facebook de pouvoir mieux concurrencer ses rivaux, mais plutôt de les éliminer. Et c’est là toute la distinction.

C'est pour ça que les deux poursuites contre Facebook et la poursuite contre Google sont si volumineuses… c'est parce qu'on réfère constamment à des extraits de la preuve documentaire recueillie dans le cadre des enquêtes, où les dirigeants des entreprises tiennent des propos qui semblent indiquer que leur intention, c'était de maintenir la position dominante qu'ils détenaient, via des agissements anticoncurrentiels.

On avance même dans les poursuites que ces pratiques anticoncurrentielles affectent la protection des données personnelles des utilisateurs?

Les deux préjudices à la concurrence qui sont invoqués, c'est que les utilisateurs des réseaux sociaux se voient offrir une qualité de service qui est inférieure, et des garanties aussi inférieures en matière de respect de la vie privée, parce qu'il n'y a pas de concurrence.

Et pour ceux qui font de la publicité sur Facebook, selon les deux demandeurs, ils paient un coût plus élevé, et ils ont une qualité de service inférieure à celle à laquelle ils auraient droit sur un marché concurrentiel.

Ce sont des poursuites assez étoffées... Les autorités américaines ont-elle de bonnes chances d'avoir gain de cause?

Comme dans le cas de Google, c'est éminemment un débat de faits. Est-ce que le juge va arriver à la conclusion qu'il y a une preuve prépondérante?

Pour ce qui est des accusations de « monopolization », dans les trois poursuites, la question sera : le juge qui va entendre l'affaire va-t-il être convaincu que la preuve documentaire déposée, la preuve d'experts, la preuve économique sur la position dominante des entreprises... démontrent qu'il y a une infraction?

Aussi, ça sera très intéressant de voir la défense que Facebook va déposer dans ces deux dossiers-là. D'ailleurs dans l'affaire Google, la défense est prévue pour le 21 décembre... Ça sera fondamental de voir quelle défense ils vont offrir pour tenter de réfuter toute cette preuve documentaire, et d'une certaine façon, de réfuter leurs propres propos!
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