La loi 62 pourrait être attaquée pour imprécision
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Radio -Canada
2017-11-17 09:30:00

La loi doit d'ailleurs se retrouver devant les tribunaux vendredi : une première contestation judiciaire a été déposée le 7 novembre dernier dans le but de faire invalider son article 10, qui prévoit que les services gouvernementaux doivent être livrés et reçus à visage découvert. On y allègue que la loi viole les droits protégés par les chartes, dont l'égalité et la liberté de religion.
Vendredi, il est prévu que l'avocate chargée de cette contestation demande une suspension temporaire de cet article 10, en attendant un débat judiciaire en profondeur et un jugement.
Pour ceux qui contestent la loi, l'imprécision est un argument de plus à faire valoir, estiment Patrick Taillon et Louis-Philippe Lampron, tous deux professeurs de droit constitutionnel à l'Université Laval.
Une loi doit être claire, pour que les citoyens sachent comment agir, tout comme les employés de l'État et des municipalités qui l'appliquent, dont les chauffeurs d'autobus et les agents de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ), entre autres, fait valoir le professeur Taillon. « Si la règle est tellement imprécise que le fonctionnaire pourrait l'appliquer en fonction de ses propres caprices, ce serait une manifestation de l'imprécision. »
Autrement dit, elle ne doit pas être vague au point de favoriser l'arbitraire.
Pour le professeur Lampron, l'imprécision de la loi est tout à fait plaidable dans le cas de la Loi sur la neutralité religieuse.
Pour lui, son caractère vague « est une faille constitutionnelle ».
«À partir du moment où la ministre dit une chose et son contraire, ça apparaît être un indice important qu'il y a un problème avec la loi », dit Louis-Philippe Lampron.
Il peine d'ailleurs à voir comment la loi fonctionne et juge qu'elle comporte de graves problèmes.
Mais selon le professeur Taillon, les femmes musulmanes se couvrant entièrement le visage ont plus de chances de gagner avec l'argument de discrimination religieuse, car la jurisprudence sur cette question est « particulièrement forte ».

De plus, les déclarations contradictoires de la ministre ne vont pas aider sa loi à résister aux attaques légales.
« Les déclarations confuses de la ministre, c'est quand même pertinent dans l'évaluation de l'imprécision de la loi », juge M. Taillon.
M. Lampron va plus loin.
« Considérant l'état actuel de la loi et les commentaires... on va dire confus, pour être généreux, de la ministre de la Justice sur sa propre loi, il semble qu'il y ait un problème dans la structure même de la loi », dit-il.
Le 24 octobre, Mme Vallée a déclaré que la Loi sur la neutralité religieuse ne forcera personne à avoir le visage découvert pour toute la durée d'un trajet en autobus. Le passager aura juste à se découvrir en entrant pour s'identifier.
La semaine précédente, elle avait dit que pour prendre l'autobus, « il faut avoir le visage découvert, tout le long du trajet ».
Les partis d'opposition ont ensuite dit que les contradictions de Stéphanie Vallée sur l'application de la Loi sur la neutralité religieuse de l'État constituent un outrage au Parlement.
Difficile l'invalidation pour imprécision?
« C'est assez rare » qu'une loi soit invalidée parce qu'elle est trop imprécise, indique M. Taillon en entrevue.
Et selon les deux juristes, prouver l'imprécision n'est pas simple. « C'est un bon fardeau », dit le professeur Lampron.
Il ne s'agit pas simplement de voir si un citoyen ordinaire la comprendra ou non : selon la Cour suprême, une loi sera invalidée pour ce motif si elle manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire, c'est-à-dire de permettre à un juge de trancher quant à sa signification.
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Catherine McKenzie, l'avocate qui a rédigé la contestation de la loi au nom de ses clients, le Conseil national des musulmans canadiens, l'Association canadienne des libertés civiles et une citoyenne québécoise musulmane portant le voile intégral, n'a pas voulu commenter la possibilité de présenter cet argument étant donné que les tribunaux sont déjà saisis de l'affaire.
Elle ne l'a pas allégué dans sa procédure pour le moment, mais on y retrouve tout de même quelques mentions d'imprécision, dont une section intitulée « incompréhension publique subséquente ».