Manque « criant » de juges à la Cour supérieure à Gatineau
Radio-canada Et Cbc
2024-03-08 10:15:41
Une association d’avocats dénonce le manque « criant » de juges en Outaouais…
L’Outaouais vit avec un manque « criant » de juges à la Cour supérieure du Québec, plaide l’Association des avocates et avocats en droit de la famille de l'Outaouais (AADF), qui interpelle les gouvernements du Québec et du Canada pour que les choses changent. En attendant, « ce sont les citoyens qui paient les frais ».
« Nous avons perdu trois juges (sur un total de cinq) en l’espace de trois mois. Deux de ces juges sont surnuméraires, ce qui équivaut à deux postes vacants », a écrit la présidente de l’AADF, Me Sylvie D. Lalonde, dans une lettre envoyée cet automne au ministre fédéral de la Justice, Arif Virani. Depuis, le dossier n'a pas évolué, selon l'association.
C’est le gouvernement fédéral qui doit procéder à la nomination des postes à pourvoir étant donné que la Cour supérieure du Québec est de juridiction fédérale. Pendant ce temps, ce sont des juges établis à Montréal qui se relaient pour traiter les dossiers en Outaouais.
Par le biais d’une longue déclaration écrite, l’attachée de presse du ministre Virani a rappelé que « les provinces sont chargées d’établir des cours supérieures sur leur territoire » et que « l'amélioration de l'efficacité de nos tribunaux ne dépend pas d'un seul facteur ».
« La justice pénale relève de la responsabilité conjointe du gouvernement fédéral et des provinces. Les gouvernements provinciaux sont responsables de l'administration de la justice ».
Avocate en droit de la famille et membre de l’AADF, Me Kim Beaudoin rappelle qu’il s’agit d'« un problème de longue date qui ne peut plus durer ».
« Je suis avocate depuis 2000, et depuis 2000, on dit qu’il n’y a pas assez de juges en Outaouais. La population a grandi, les responsabilités de la Cour supérieure aussi. Ça devient de plus en plus criant ».
Selon l’AADF, à l'heure actuelle, il y a « entre 400 et 500 dossiers » en droit de la famille à Gatineau, où l’on traite régulièrement de questions comme la gestion de la garde d’un enfant et la pension alimentaire lorsqu’un couple se sépare.
« Ailleurs au Québec, (ces dossiers sont traités) tous les jours, ou au moins deux fois par semaine. Ici, c’est une fois aux deux semaines. C’est donc dire que ça peut prendre plusieurs mois afin de régler des questions urgentes », explique Me Beaudoin, qui précise que les conséquences ne sont pas seulement sur le système de justice, mais aussi sur les personnes au cœur de ces causes.
Pour éviter que les dossiers s’accumulent et traînent trop en longueur, les juges acceptent de siéger plus longtemps « pour entendre les dossiers urgents qui n’ont pas été entendus », indique l’avocate.
« Les juges vont demander au personnel (du palais de justice) de travailler après 16h30 pour entendre d’autres dossiers» . Cependant, cette solution ne peut pas être utilisée à long terme, dit-elle : « Nous étirons l’élastique comme ça ne se peut pas ».
Elle ajoute: « On a l’écoute de nos juges, mais on est en train de les brûler ».
Cinq nouveaux juges demandés
Pour l’AADF, « il est impératif que les mesures nécessaires soient mises en place, non pas pour uniquement remplacer les juges qui nous quittent pour leur retraite, mais pour créer cinq postes supplémentaires (...) pour combler les besoins tant au niveau civil que criminel », a écrit Me Sylvie D. Lalonde dans sa missive envoyée au ministre Arif Virani.
Me Lalonde a également contacté le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, la semaine dernière. Elle lui demande également de modifier son récent projet de loi 54, dans lequel il vise l’ajout de sept nouveaux juges à la Cour supérieure du Québec, mais aucun en Outaouais.
Pourtant, la juge en chef de la Cour supérieure du Québec, Marie-Anne Paquette, reconnaît le manque de juges au palais de justice de Gatineau, où les magistrats sont aussi appelés à traiter des dossiers à Maniwaki et à Campbell's Bay.
« Cette situation est plus que préoccupante. Ce déficit de juges a un impact négatif sur l’accès à la justice pour les citoyens de l’Outaouais », a-t-elle indiqué dans une première déclaration écrite à Radio-Canada.
De son côté, la directrice des communications du cabinet du ministre de la Justice du Québec, Élisabeth Gosselin, a tenu à préciser dans une déclaration écrite à Radio-Canada que la création des sept nouveaux postes « fait suite à des travaux menés en collaboration avec la direction de (la Cour supérieure du Québec) et respecte les demandes exprimées par cette dernière ».
En réponse à cette déclaration, Mme Paquette a tenu à apporter un certain bémol. Selon elle, « la Cour supérieure (du Québec) et le ministère de la Justice avaient identifié d’importants besoins de nouveaux postes de juges en Outaouais » lorsque les deux parties échangeaient sur le sujet.
« Toutefois, le Ministère nous a fait savoir que d’autres facteurs devaient être considérés, notamment les espaces nécessaires pour accueillir les nouveaux juges et le manque de salles d’audience. Ce n’est pas nouveau et c’est connu de tous depuis longtemps : il y a de gros enjeux liés aux infrastructures au palais de justice de Gatineau », mentionne Marie-Anne Paquette.
En réaction à cela, la directrice des communications de M. Jolin-Barrette a précisé que « nous avons d’abord défini conjointement des critères d’évaluation afin de déterminer les régions prioritaires où seraient créés les nouveaux postes ». Elle a aussi rappelé que le nombre de postes créés et les régions identifiées « ont été validés avec la direction de la Cour avant d’être intégrés au projet de loi 54 ».
« Nous sommes bien conscients que la région de l’Outaouais fait face à des défis particuliers et nous continuons de travailler avec les acteurs du milieu pour nous assurer que les citoyennes et citoyens ont accès à des services de justice efficaces et humains », ajoute Élisabeth Gosselin.
Une fois de plus, la Cour supérieure du Québec n'est pas tout à fait en accord avec la déclaration du cabinet de M. Jolin-Barrette.
Elle confirme s'être entendue avec le ministère sur le nombre de nouveaux postes à créer au Québec, mais elle insiste sur le fait que « la répartition régionale des postes a été décidée par le ministère, à la lumière des besoins des différentes régions et d’autres éléments, dont la disponibilité des infrastructures nécessaires ».