Québec accusé d’avoir négocié de mauvaise foi avec un syndicat
Radio -Canada
2022-10-21 13:30:00
C’est la conclusion à laquelle est arrivé le Tribunal administratif du travail (TAT). Dans une décision rendue le 6 octobre, le juge Dominic Fiset a tranché en faveur du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP-FTQ) représenté par Me Laure Tastayre, qui reprochait au MSSS défendu par Me Camille Guay-Bilodeau de lui avoir imposé une modification au contenu d’une entente de principe intervenue le 15 octobre 2021.
L’entente portait sur le renouvellement du contrat de travail des RI-RTF représentées par le SCFP, qui sont liées au CIUSSS de la Capitale-Nationale représenté par Me Josée Potvin, au CIUSSS de l'Ouest-de-l'Île-de-Montréal représenté par Me Ève-Lyne H. Fecteau, au CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec et au CISSS des Îles.
Les ressources intermédiaires et de type familial sont des personnes physiques qui accueillent à leur lieu de résidence principale un maximum de neuf usagers qui leur sont confiés par un établissement public. Elles peuvent héberger des enfants et des adultes aux prises avec différents problèmes de santé mentale, de santé physique ou de comportement.
Rétroaction
L’entente de principe intervenue entre le SCFP et le MSSS prévoyait notamment le versement rétroactif de montants forfaitaires pour la période allant du 1er avril 2019 au 31 mars 2020, moment où la convention collective des RI-RTF est arrivée à échéance.
Le 22 décembre 2021, une porte-parole du MSSS a informé son vis-à-vis du SCFP que les montants forfaitaires ne seraient versés qu’aux ressources qui étaient toujours actives au 1er avril 2020, date correspondant au jour 1 de la nouvelle convention collective.
Le Tribunal mentionne que la porte-parole savait pourtant depuis la fin du mois d’octobre que le Ministère souhaitait réserver le versement des rétributions additionnelles aux ressources actives. Elle a attendu environ deux mois pour aviser le représentant syndical.
Ajout « inacceptable »
Ce dernier qualifie l’ajout d’« inacceptable » puisque jamais, durant les négociations, il n’a été question d’exclure les RI-RTF qui avaient cessé d’être liées par contrat avec le Ministère au 1er avril 2020.
L’ajout est d’autant plus problématique que les RI-RTF ont ratifié l’entente de principe au cours d’assemblées tenues dans les semaines précédentes sans qu’il ait été question de l’exception voulue par le MSSS.
« Ces contraintes-là n'avaient jamais été négociées ni même discutées à la table de négociation et ça privait un certain nombre de nos ressources de montants forfaitaires », raconte en entrevue à Radio-Canada Alexandre Prégent, conseiller syndical au SCFP.
Le SCFP ne réussit pas à convaincre le Ministère de revenir sur sa décision. Pour ce dernier, l’acceptation de l’ajout est une condition ''sine qua non'' à la signature de la nouvelle convention collective. Le juge administratif Dominic Fiset y voit une des manifestations de la mauvaise foi du MSSS.
« Le fait que le Ministère fasse un ''deal breaker'' de cette inopinée modification à la portée d’une disposition à incidence monétaire illustre sa mauvaise foi dans la négociation en vue du renouvellement de l’entente collective, note le magistrat. Cela est d’autant plus frappant que la porte-parole du Ministère est au courant depuis la fin du mois d’octobre 2021 de la portée qu’il donnera à cette disposition une fois que la nouvelle entente collective sera entrée en vigueur. »
Le juge relève également le refus du Ministère d’accepter la proposition du syndicat de signer la nouvelle convention collective « sous protêt », ou sous réserve, afin que sa signature au bas de l’entente ne soit pas interprétée comme un consentement à l’ajout litigieux.
« Cela constitue une autre manifestation de (la) mauvaise foi (du Ministère). À ce sujet, le Tribunal ne retient aucune faute de la part du SCFP : le refus du Ministère de signer « sous protêt » justifiait le SCFP de ne pas signer en prenant le risque qu’on invoque par la suite contre lui qu’il l’a signée sans réserve aucune », souligne Dominic Fiset.
Par conséquent, le juge ordonne au Ministère de soumettre sans délai au Conseil du Trésor la version administrative, en date du 22 décembre 2021, du texte découlant de l’entente de principe afin que celui-ci puisse décider s’il l’autorise ou non à conclure avec le SCFP une convention collective basée sur cette version.
À noter que le Tribunal ne peut contraindre le Conseil du Trésor à entériner la version administrative du texte « puisqu’il est souverain dans ce processus ».
Sous réserve que le Conseil du Trésor l’autorise à conclure une nouvelle entente collective sur la base de la version administrative du 22 décembre 2021, le Tribunal ordonne également au MSSS d’indemniser les RI-RTF pour le retard que sa conduite a occasionné dans le versement de toutes les sommes qui leur sont dues en application de la nouvelle entente collective.
« Par souci de précision, soulignons que le retard découlant de la mauvaise foi du Ministère couvre la période débutant le 22 décembre 2021 et se terminant à la date de la présente décision (6 octobre 2022) », peut-on lire dans le jugement du TAT.
Il appartiendra aux parties de négocier pour tenter de convenir de la réparation la plus appropriée. En cas de mésentente, le Tribunal pourrait être sollicité pour trancher le litige. À titre indicatif, il porte à l’attention des parties que « les tribunaux sont généralement enclins à ordonner le versement d’intérêts au taux légal lorsque des sommes dues sont versées en retard ».
Question de principe
Le conseiller syndical Alexandre Prégent dit que la décision du Tribunal a été accueillie « avec une grande satisfaction » au sein du SCFP.
« À la fin de la journée, ça ne touchait pas tant de membres que ça, puisque c'étaient des membres qui, de toute façon, étaient déjà à la retraite. Mais pour nous, c'était une question de principe. On devait aller faire ce combat-là », indique M. Prégent.
Il explique que le montant forfaitaire prévu dans l’entente de principe peut varier d’une ressource à l’autre en fonction du nombre d’usagers hébergés, de leur classification et des mois au cours desquels elle a travaillé. Pour certains, cela peut représenter une somme considérable.
« Dans le cas d’une ressource qui a travaillé presque un an, qui a le maximum d'usagers et que ceux-ci sont classifiés au niveau supérieur, on peut parler de quelques milliers, voire d'une dizaine de milliers de dollars », précise M. Prégent.
Feu vert
Le ministère de la Santé et des Services sociaux affirme avoir été autorisé par le Conseil du Trésor à conclure la nouvelle entente collective négociée avec le SCFP. Celle-ci est en vigueur depuis le 14 juillet 2022.
Le Ministère évalue à 720 le nombre de ressources qui auront droit à un montant forfaitaire. Si le versement de cette somme avait été réservé aux RI-RTF qui étaient toujours liées par contrat au Ministère en date du 1er avril 2020, 646 auraient touché une rétribution additionnelle. Cela signifie que la modification voulue par le MSSS aurait eu pour effet de priver 74 ressources du paiement forfaitaire.
Pour l’instant, le Ministère n’est pas en mesure de dire combien coûtera l’indemnisation des RI-RTF ordonnée par le Tribunal.
« Tel que le prévoit le jugement, les parties devront négocier et tenter de convenir de la réparation la plus appropriée », précise le MSSS dans un courriel à Radio-Canada.