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Recours collectif contre une fonderie et le gouvernement du Québec

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Radio -canada

2023-10-24 10:15:00

Des citoyens tentent d'obtenir des dommages-intérêts de la Fonderie Horne et du gouvernement du Québec « pour leur avoir porté préjudice ».
Mes Caroline Perrault et Eloïsa Larochelle. Sources: Facebook et Siskinds Law Firm
Mes Caroline Perrault et Eloïsa Larochelle. Sources: Facebook et Siskinds Law Firm
Cette demande d'action collective, obtenue par Radio-Canada, sera déposée en Cour supérieure. Des milliards de dollars sont en jeu.

Les demandeurs sont défendus par le cabinet d'avocats Siskinds Desmeules, qui a mené le recours collectif contre le Mouvement Desjardins à la suite du vol de données. Le cabinet d'avocats a aussi obtenu, en 2020, le paiement de dommages-intérêts à des citoyens de Shannon, près de Québec, qui craignaient pour leur santé après avoir consommé de l'eau contaminée pendant des années.

Me Karim Diallo, un des trois avocats qui défendent les citoyens de Rouyn-Noranda, compte appliquer « presque à 100 % » la recette qui a fonctionné dans le dossier de Shannon. Ils ne tenteront pas d'établir un lien de causalité entre les émissions polluantes de la Fonderie Horne et les maladies (« excessivement difficile », hors de tout doute), mais miseront sur la crainte que les citoyens ont d'être malades, le stress occasionné et les troubles de voisinage.

« Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’atteinte physique, corporelle, qu’il n’y a pas de dommage (...) Il y a un préjudice moral, il y a une atteinte à leur bien-être et à leur sécurité. Et ça, ce sont des droits qui sont protégés par les chartes », ajoute Me Diallo.

Les autres avocats représentant les demandeurs sont Mes Caroline Perrault et Eloïsa Larochelle.

Les demandeurs du recours collectif sont d'ailleurs deux résidents de Rouyn-Noranda, Julie Fortier et Miguel Charlebois, qui ne sont pas malades. Tous deux sont des parents qui craignent pour leur santé et pour celle de leurs proches.

Fonctionnement du recours collectif

La Cour supérieure doit dans un premier temps autoriser la demande d'exercer une action collective. Si c'est le cas, un juge tranchera ensuite le bien-fondé du recours et déterminera les dommages-intérêts que les personnes admissibles peuvent réclamer.

Si le recours est autorisé, toute personne résidant ou ayant résidé, à un moment ou un autre, à Rouyn-Noranda, depuis 1991, sera automatiquement inscrite, à moins de demander d'en être retirée. Une simple preuve de résidence suffira à réclamer l'argent, s'il y a lieu.

Un résident du quartier Notre-Dame peut potentiellement réclamer un maximum de 528 000 $ et un résident du reste de la ville : 322 500 $.

Avec une population actuelle dans le périmètre urbain de la municipalité (J9X) de 23 500 personnes, dont plus de 2500 dans le quartier Notre-Dame, les montants totaux des réclamations en cas de victoire des citoyens pourraient atteindre plusieurs milliards de dollars.

Pourquoi remonter à 1991 et pas avant? « Parce que l’information et les données les plus solides que nous avons, c’est le rapport de la santé publique qui nous dit que les personnes qui ont habité là à partir de 1991 sont à risque », répond Me Diallo.

Les arguments des demandeurs

Selon la demande d'action collective, les membres du groupe « ont été exposés à leur insu, depuis plusieurs décennies (et le sont toujours à ce jour), à un cocktail de contaminants toxiques et cancérigènes émanant de la Fonderie Horne beaucoup plus important que les autorités gouvernementales et la compagnie ne le laissaient croire ».

Le recours allègue « la Fonderie Horne a commis et commet toujours une faute en agissant de façon insouciante, imprudente et négligente au détriment de la santé et de la qualité de vie de la population de Rouyn-Noranda et au détriment de la qualité de l’environnement ».

Le recours allègue que la Fonderie Horne a commis et commet toujours une faute en agissant de façon insouciante, imprudente et négligente au détriment de la santé et de la qualité de vie de la population de Rouyn-Noranda et au détriment de la qualité de l’environnement.

« Les membres du groupe ne devraient pas avoir à vivre avec le risque accru et avéré de développer un cancer ou d’autres maladies, pas plus que tout autre citoyen québécois (...) Il n’existe aucune justification rationnelle et raisonnable à ce que les membres du groupe soient traités comme des citoyens de seconde classe, ayant un droit moindre à un environnement de qualité », peut-on lire dans un extrait de la demande d’action collective.

Les demandeurs reprochent au gouvernement du Québec de ne pas les avoir informés adéquatement et en temps opportun sur l’étendue de la contamination à laquelle ils étaient exposés afin qu’ils puissent réagir à la menace.

« Ce risque accru et avéré et la crainte qui en découle doivent être compensés, tout comme les troubles et inconvénients », peut-on lire dans le document déposé au palais de justice.

Le gouvernement du Québec a-t-il commis une faute historique?

Le texte du recours rappelle que dès 1979, des rapports du gouvernement du Québec évoquaient « un excès de décès à Rouyn-Noranda », notamment par des cancers du poumon et des maladies respiratoires. Le taux d'arsenic dans les cheveux des enfants était de deux à trois fois plus élevé chez ceux qui vivaient près de la Fonderie par rapport à ceux vivant ailleurs.

En 2004, un groupe de travail interministériel recommandait même de diminuer les émissions d'arsenic dans le quartier Notre-Dame à 10 nanogrammes par mètre cube (10 ng/m3) et d'établir un plan pour atteindre la norme québécoise de 3 ng/m3.

Malgré cela, le 26 octobre 2007, le ministère de l'Environnement donnait une attestation à l'usine pour émettre jusqu'à 200 ng/m3 d'arsenic.

« Le gouvernement du Québec va à l’encontre des recommandations de ses propres comités aviseurs et des objectifs et obligations découlant de la Loi sur la qualité de l'environnement », lit-on dans la demande d’action collective.

En 2019, la santé publique régionale considère que des actions concrètes doivent être mises en place immédiatement afin que la population ne soit plus exposée de façon chronique aux émissions.

Malgré cela, la Fonderie Horne remet un plan, à la fin de l'année 2019, « qui ne présente aucune cible chiffrée (et) minimise les résultats du Rapport de biosurveillance », allèguent les demandeurs.

En 2021, le gouvernement ramène la limite pour l'arsenic émis par la Fonderie à 100 ng/m3, toujours 33 fois la norme québécoise.

« Tant la Fonderie Horne que le gouvernement du Québec ont été au fait de cette exposition pendant toute la période visée par le recours et ont fait défaut de prendre les mesures qui s’imposaient afin de protéger les membres du groupe des effets néfastes d’une telle exposition ».

En 2022, des données de santé publique démontrent que la population de Rouyn-Noranda a :
  • une espérance de vie jusqu'à 6,6 ans de moins que la moyenne québécoise;

  • une plus forte proportion de bébés de faible poids;

  • une plus forte prévalence de cancer du poumon et de maladie pulmonaire que dans le reste du Québec.

Radio-Canada révélait alors que certaines de ces données étaient connues depuis plusieurs années, mais leur publication a été retardée par l'ex-directeur national de santé publique Horacio Arruda.

Selon le recours collectif, c'est véritablement à l'été 2022, avec la forte médiatisation du dossier, que les citoyens ont pris la pleine mesure des risques auxquels ils s'exposent. Des parents avouaient alors regretter d'avoir eu des enfants à Rouyn-Noranda.

Malgré tout, en août 2022, le gouvernement du Québec, sous pression, décide d'exiger que la Fonderie Horne atteigne une limite d'arsenic dans l'air de 15 ng/m3, soit cinq fois la norme québécoise, et seulement d'ici 5 ans.

La Fonderie Horne s'est-elle enrichie sur le dos de la santé des citoyens?

Selon les allégations des demandeurs, « en n’investissant pas dans des mesures pour réduire ses émissions de contaminants toxiques et cancérigènes depuis des décennies, la Fonderie Horne a ainsi pu comprimer des dépenses pourtant essentielles pour la santé de la population de Rouyn-Noranda et qui auraient dû être essentielles à la poursuite de ses activités industrielles ».

Le document allègue que « la Fonderie Horne et ses actionnaires se sont enrichis et s’enrichissent encore au détriment de la santé des membres du groupe ».

Samedi, à l'occasion d'une manifestation de mères inquiètes devant le bureau du premier ministre François Legault à Montréal, la Fonderie Horne a rappelé qu'elle compte investir plusieurs centaines de millions de dollars pour réduire son empreinte environnementale.

Gros plan sur les deux demandeurs qui portent le dossier

Julie Fortier, 43 ans, est la mère d'un enfant de 8 ans. Elle vit dans le quartier Notre-Dame. Ce n'est qu'en 2022 qu'elle a pris conscience des risques pour sa santé et celle de sa famille. La demandeuse évoque « de l'angoisse, de l'anxiété et une privation de liberté ».

Depuis l'an dernier, elle se demande toujours si elle doit sortir, si elle doit ouvrir ses fenêtres.

« La crainte d’être malade est hyper présente », ajoute Julie Fortier.

La résidente évoque les « gestes simples » pour réduire l'exposition aux contaminants, recommandés par la santé publique qui sont, pour elle, « une privation de la jouissance libre et paisible de son domicile et de son quotidien ».

Le guide de la santé publique recommande aux résidents de réduire autant que possible les allées et venues des animaux entre l’intérieur et l’extérieur du domicile, de laver fréquemment les planchers et les comptoirs, et de passer régulièrement un aspirateur muni d’un système de filtre HEPA, pour se prémunir contre les poussières contaminées qui entrent dans les maisons.

Miguel Charlebois, 43 ans, l'autre demandeur, voit dans cette situation une « injustice flagrante ». Le père de famille se sent « pris au piège » dans cette ville où ses proches ont toutes leurs attaches.

« J'avais confiance dans le gouvernement pour protéger notre santé », raconte-t-il à Radio-Canada, mais il a commencé à douter quand la publication de données a été retenue par la santé publique nationale.

Quand il sort, il se demande toujours ce qu'il respire et est agacé de se répondre qu’il ne le saura que plus tard, quand les données de qualité de l’air seront rendues publiques.

« Je ressens ces doutes, cette crainte, toutes les fois où je vais poser mon regard sur les cheminées (de la Fonderie) », dit-il.

Le résident craint aussi pour la perte de valeur de sa maison, alors que Rouyn-Noranda est l’une des seules villes au Québec où le prix des maisons a diminué.

« Là où les branches législative et exécutive de l’appareil gouvernemental laissent tomber les citoyens qu’ils représentent, ceux-ci n’ont d’autre alternative que de s’adresser aux tribunaux afin d’obtenir une réparation des torts qu’ils subissent », lit-on dans le recours collectif.

Il y aura une séance d'information publique au sujet du recours collectif, le 16 novembre, au Petit Théâtre du Vieux Noranda.
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