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Bataille sur les frais de défense entre assureurs en responsabilité : l’assuré n’est pas un pion

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Vikki Andrighetti

2024-06-25 11:15:46

Vikki Andrighetti, l'auteure de cet article. Source: RSS
Vikki Andrighetti, l'auteure de cet article. Source: RSS
Focus sur un arrêt de la Cour d’appel du Québec en matière de droit des assurances…

Dans l’arrêt récent Intact Compagnie d’assurance c. Lavoie, la Cour d’appel du Québec a conclu qu’un assuré qui était déjà entièrement défendu par certains de ses assureurs responsabilité civile n’avait pas l’intérêt juridique requis pour exiger qu’un autre de ses assureurs contribue aux frais de défense.

Cette décision appuie la position selon laquelle un assureur ne peut se servir d’un assuré comme « instrument » pour obliger un autre assureur à défendre cet assuré lorsque ce dernier n’a pas d’intérêt direct et personnel quant au sort de la demande.

Plutôt, une entente intérimaire ou finale sur le partage des frais de défense entre les assureurs ou une demande de jugement déclaratoire distincte pourrait être la façon la plus appropriée de résoudre le litige.

Contexte

L’assuré, Réal Lavoie, est le fondateur de la « Famille Marie-Jeunesse » (« FMJ ») ainsi qu’un défendeur dans une action collective instituée par des anciens membres de la FMJ en lien avec des allégations d’abus physique, psychologique et spirituel sur une période de 40 ans. Plusieurs assureurs couvraient la responsabilité civile de la FMJ durant cette période.

Si certains de ces assureurs ont accepté de défendre Lavoie, Intact Compagnie d’assurance (« Intact ») a reconnu son obligation de défendre la FMJ, mais a nié couverture à l’égard de Lavoie sur la base de l’exclusion pour faute intentionnelle se trouvant dans sa police, plaidant que l’acte d’abus allégué était inhérent au dommage, et conséquemment, intentionnel.

La décision de première instance

Tel que rapporté dans un de nos bulletins précédents, la Cour supérieure du Québec avait accueilli la demande de Lavoie relative à l’obligation de défendre d’Intact (la « Demande de type Wellington »), obligeant ainsi cette dernière à contribuer aux frais de défense de l’assuré.

La Cour supérieure avait déterminé que Lavoie pouvait être responsable sans qu’il y ait faute intentionnelle et qu’il pouvait alors y avoir couverture sous la police d’Intact, déclenchant ainsi l’obligation de défendre d’Intact.

La Cour supérieure avait également rejeté l’argument d’Intact selon lequel elle était en droit de mandater un nouvel avocat pour défendre l’assuré, le cas échéant. Intact plaidait que les avocats mandatés par les autres assureurs pour défendre l’assuré s’étaient placés en situation de conflit d’intérêts en agissant à l’encontre d’Intact dans le cadre de la Demande de type Wellington.

Intact a porté cette décision en appel.

La décision de la Cour d’appel

La Cour d’appel a infirmé la décision de la Cour supérieure au motif que Lavoie n’avait pas l’intérêt juridique nécessaire pour déposer une Demande de type Wellington contre Intact, tel que requis par l’article 85 du Code de procédure civile du Québec.

La Cour a conclu que, comme la défense de Lavoie était déjà entièrement assumée par d’autres assureurs sans contribution de sa part aux frais de défense, Lavoie n’avait plus d’intérêt personnel ou direct à exiger qu’Intact contribue aux frais de défense.

La Demande de type Wellington a été vue comme une tentative par d’autres assureurs d’impliquer Intact pour des raisons financières. Selon la Cour, il s’agissait du mauvais véhicule procédural pour résoudre toute question afférente à la contribution et au partage des frais de défense entre les assureurs.

La Cour d’appel a décrit les types de véhicules procéduraux pouvant être utilisés par les assureurs pour résoudre entre eux les réclamations quant à la contribution aux frais de défense.

La Cour indique que ces recours peuvent être exercés dès que les premiers frais de défenses sont dépensés.

Vu l’absence d’intérêt personnel de l’assuré, l’appel d’Intact a été accueilli. Il n’était, dès lors, pas nécessaire pour la Cour de se prononcer sur les autres questions soulevées, incluant la question de savoir si Intact avait ou non l’obligation de défendre et, dans l’affirmative, si Intact avait le droit de mandater un nouvel avocat considérant que l’avocat mandaté par les autres assureurs avait agi à l’encontre de ses intérêts dans le cadre de la Demande de type Wellington.

À retenir

Cet arrêt contient des enseignements utiles pour les assureurs et les assurés en ce qui concerne la manière d’exercer leurs droits et leurs recours lorsque plusieurs assureurs ont potentiellement une obligation de défendre l’assuré.

À ce titre, le litige entre l’assuré et les parties adverses n’est peut-être pas le forum approprié pour débattre des enjeux entre les assureurs impliqués. Une entente sur le partage des frais de défense, une action distincte pour le remboursement des frais de défense ou une demande de jugement déclaratoire devrait plutôt être considérée.

Il demeure toutefois que chaque dossier doit être analysé en fonction de ses faits et enjeux spécifiques. Dans ce cas précis, les facteurs ayant mené la Cour à conclure que l’assuré n’avait pas l’intérêt personnel pour exiger qu’Intact mette en œuvre son obligation de défendre incluaient :

L’assuré n’assumait et ne faisait face à aucun frais de défense personnellement; Il n’y avait rien pour indiquer que les faits liés à la période d’assurance d’Intact auraient entraîné des efforts et des frais de défense supplémentaires en sus de ceux déjà couverts par les autres assureurs;

Aucune réserve de droits n’avait été émise par les autres assureurs (impliquant qu’il n’y avait aucun risque que les frais de défense soient en partie non-couverts); L’assuré n’aurait aucunement été avantagé si la Demande de type Wellington avait été accordée; La Demande de type Wellington était strictement à l’avantage des autres assureurs.

Ceci laisse entendre que les dossiers où l’assuré conserve un intérêt personnel à ce qu’un assureur participe à sa défense, par exemple lorsque l’assuré pourrait avoir à assumer personnellement une partie des frais de défense non-couverts par les autres assureurs, pourraient justifier une approche différente de celle adoptée par la Cour d’appel dans ce cas précis.

À propos de l’auteure

Vikki Andrighetti est associée au sein du groupe droit des assurances chez RSS. Sa pratique porte principalement sur la couverture d’assurance, le litige civil et la résolution de différends.

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