La qualification d’une « transaction » dans le contexte d’une action collective
Paul Blanchard Et Gabrielle Baracat
2024-05-27 11:15:17
Focus sur la décision Deschênes c. Johnson & Johnson inc. rendue par la Cour supérieure.
Introduction
L’un des objectifs du Code de procédure civile (« C.p.c. ») est la prévention et le règlement des différends et des litiges. De plus en plus, les parties se tournent vers des modes privés de règlement pour mettre fin au litige qui les oppose, notamment afin d’éviter les désagréments et les délais d’un procès et de favoriser l’indemnisation rapide des demandeurs. Cette réalité est la même dans le cadre d’actions collectives, lesquelles sont de plus en plus nombreuses au Québec.
Toutefois, lorsque les justiciables décident de faire appel au mode procédural particulier qu’est l’action collective, le tribunal est investi de la mission de protéger les intérêts des membres absents au nom desquels l’action collective est introduite. C’est dans ce contexte que les tribunaux sont appelés à autoriser le désistement à l’action collective (art. 585 C.p.c.) et à approuver toute transaction visant son règlement (art. 590 C.p.c.).
Dans la décision Deschênes c. Johnson & Johnson inc., la Cour supérieure est appelée à qualifier une entente confidentielle intervenue au stade de la demande d’autorisation d’une action collective, afin de déterminer s’il s’agit d’une transaction nécessitant l’approbation du tribunal au sens de l’article 590 C.p.c.
I– Les faits
Le fond du litige concerne des mailles chirurgicales utilisées dans le cadre de chirurgies de cures herniaires, lesquelles étaient fabriquées, distribuées et vendues par les défenderesses.
En juin 2017, la demanderesse a déposé une demande pour être autorisée à exercer une action collective au nom « des résidents du Québec à qui on a implanté un dispositif de maille pour réparer une hernie par laparoscopie de marque PHYSIOMESH des défenderesses, sur le marché canadien du 29 septembre 2010 au 26 mai 2016, et qui ont subi des dommages découlant de l’implantation de ces dispositifs, de même qu’au nom des membres de leur famille ayant subi des dommages par ricochet ».
Au moment du dépôt par la demanderesse de sa demande, plusieurs actions collectives avaient déjà été intentées à travers le Canada à l’encontre des défenderesses et d’autres fabricants, distributeurs et vendeurs de dispositifs de mailles similaires.
Le dossier devant la Cour supérieure du Québec avait été suspendu en 2017 à la demande des parties en faveur d’une demande d’action collective introduite en Ontario. Depuis, plusieurs articles et reportages avaient fait état de l’introduction des actions collectives à travers le Canada. Dans toutes les provinces, les parties avaient tenté d’évaluer le groupe visé avec l’aide des assureurs provinciaux de soins de santé, et de calculer l’indemnité totale qui pourrait potentiellement être réclamée à titre de dommages.
À l’issue de cet exercice, seulement 52 membres putatifs à travers le Canada s'étant vus implanter une maille des défenderesses s’étaient manifestés. La demanderesse était la seule membre connue au Québec au moment de sa demande initiale pour être autorisée à se désister de la demande d’autorisation d’exercer une action collective.
Après des négociations impliquant les défenderesses et les avocats du groupe impliqués dans les diverses actions collectives, une entente confidentielle a été conclue entre les parties, conditionnelle à l'obtention de désistement devant les tribunaux de plusieurs provinces, dont le Québec.
En novembre 2022, la demanderesse a donc déposé une première Demande pour obtenir la permission de se désister, en vertu de l'article 585 C.p.c. À ce stade, le tribunal n'avait pas accès à l'entente, et n’en savait que ce qui était divulgué dans les déclarations sous serment déposées au soutien de la Demande pour obtenir la permission de se désister, lesquelles révélaient :
- L'entente prévoit que les réclamations individuelles des membres connus des avocats du groupe (incluant la demanderesse) soient réglées à l'amiable, sur une base individuelle, à même un montant global négocié entre les parties, lequel n'est pas dévoilé au tribunal.
- Les indemnités aux membres sont allouées proportionnellement aux dommages subis, en échange de la signature d'une quittance du membre et de l'assureur de soins de santé provincial (RAMQ).
- Les défenderesses s'engagent à tenter de régler à l'amiable les réclamations de membres qui pourraient se dévoiler dans un délai de 180 jours suivants le jugement à intervenir sur la Demande pour permission de se désister.
- L'entente prévoit que le désistement ne prendra effet que 90 jours suivant la publication de l'avis de désistement, et que pendant cette période, le délai de prescription sera suspendu pour permettre à un autre membre du groupe de prendre un recours s'il ne désire pas se prévaloir de la possibilité de régler son dossier sur une base individuelle.
- L'entente ne prévoit aucune quittance au nom d'un membre putatif qui ne réglerait pas sa réclamation individuelle.
- Un avis aux membres sera diffusé concernant le désistement.
- Les avocats du groupe n'ont reçu aucune indemnité pour leurs honoraires.
La Demande pour obtenir la permission de se désister a été contestée par le Fonds d'aide aux actions collectives, au motif que l'entente constituait une transaction qui devait être approuvée par le tribunal en vertu de l'article 590 C.p.c.
La demanderesse et les défenderesses ont plaidé d'une même voix que l'entente ne constituait pas une « transaction » quant à l'action collective, et qu'elle n'avait donc pas à être approuvée par le tribunal, qui devait seulement se pencher sur l'opportunité d'accorder ou non le désistement en vertu de l’article 585 C.p.c.
Un premier jugement sur la question intervient le 8 décembre 2022, par lequel la Cour supérieure conclut que, selon la preuve présentée à ce stade, l’entente confidentielle est une transaction, et qu’un désistement est donc impossible. L’honorable Donald Bisson laisse toutefois la porte ouverte à revisiter cette question, dans l’éventualité où de la preuve additionnelle était présentée.
C’est dans ce contexte qu’en juin 2023, une deuxième Demande pour obtenir la permission de se désister est déposée par la demanderesse, accompagnée de preuve additionnelle. À ce stade, l’entente confidentielle entre les parties est aussi transmise au juge, sous pli cacheté, et n’est pas versée au dossier de la Cour. La décision commentée porte sur cette deuxième demande.
II– La décision
Par sa décision du 28 septembre 2023, le juge Bisson se penche à nouveau sur la qualification qu’il convient de donner à l’entente confidentielle entre les parties, aux fins de déterminer si le test applicable à la demande de la demanderesse est celui de l’article 585 C.p.c. concernant le désistement, ou celui de l’article 590 C.p.c. concernant les transactions entre les parties. En référant largement à sa décision du 8 décembre 2022, le juge Bisson rappelle le droit applicable en la matière.
Au stade de l’autorisation d’une action collective, chaque membre demeure libre de s’exclure et de régler individuellement sa réclamation. Lorsque le tribunal est appelé à se prononcer sur une demande visant le désistement à une action collective (art. 585 C.p.c.), son rôle se limite à 1) s'assurer que le désistement ne cause pas de préjudice aux membres putatifs du groupe envisagé et 2) qu'il ne porte pas atteinte à l'intégrité du système de justice.
Au-delà de cette analyse, le juge n'a pas à décider si le désistement est opportun et, ainsi, n'a pas à évaluer la suffisance des raisons qui le motivent. Lorsqu’une demande vise plutôt l’approbation d’une transaction (art. 590 C.p.c.), le tribunal doit s’assurer qu’elle est juste, raisonnable et équitable, et qu’elle répond aux meilleurs intérêts, non seulement du représentant, mais de l’ensemble des membres du groupe qui seront liés par l’entente. Ainsi, la qualification de l’entente prend toute son importance, puisque c’est celle-ci qui déterminera le test à appliquer par le tribunal.
Le tribunal rappelle également qu’une transaction aux termes de l’article 2631 du Code civil requiert les éléments suivants :
- un objectif de mettre fin à un litige existant ou d’éviter un litige anticipé entre les parties ;
- des concessions ou des réserves réciproques ; et
- une entente sur les éléments essentiels qui n’est pas contraire à l’ordre public.
Quant au désistement, il s'agit d'un acte unilatéral du demandeur qui met également fin à l'instance. Ces rappels étant faits, le tribunal se penche sur la qualification de l’entente confidentielle, et détermine qu’elle ne constitue pas une transaction au sens de l’article 590 C.p.c.
D’abord, bien que la demanderesse et les autres membres putatifs à travers le Canada reçoivent de l’argent en échange de la signature d’une quittance, la preuve démontre que l’entente confidentielle ne vise aucunement le règlement de toute l’action collective ni le cas de tous les membres potentiels. Aucune quittance n’est donnée au nom des personnes qui pourraient éventuellement se présenter comme ayant subi un préjudice en raison de l’implantation d’une maille des défenderesses.
La Cour conclut quant à la qualification de l’entente confidentielle :
(…)bien que l’entente confidentielle à la base du désistement ait l’apparence d’une transaction, il ne s’agit finalement pas d’une entente de règlement nationale des actions collectives liées aux Mailles herniaires PHYSIOMESH ni au sens habituel, ni au sens de l’article 590 C.p.c. En effet, le but visé par l’article 590 C.p.c. est de faire approuver une transaction pour donner une protection aux membres absents qui se trouvent à donner une quittance, parfois même sans savoir qu’ils sont visés par une action collective. Ce n’est pas le cas ici.
(Nos soulignements)
De plus, la preuve démontre que les parties ont pris tous les moyens disponibles pour retracer des membres potentiels du groupe, notamment en effectuant de la publicité exhaustive au regard de l’action collective et de son objet. Malgré ces démarches exhaustives, seulement trois membres putatifs au Québec ont pu être identifiés. Au surplus, les parties ont fait la preuve qu’il ne serait pas possible de retracer autrement les membres putatifs à l’action collective ; il est seulement possible de les identifier s’ils se manifestent d’eux-mêmes.
Le tribunal juge à cet effet que l’effort et les tentatives faites par les parties pour retracer des membres potentiels représentent une garantie suffisante au soutien de la prétention de la demanderesse qu’il ne vaut plus la peine de continuer la procédure d’autorisation de l’action collective en l’absence de membres potentiels qui ne seraient pas indemnisés en vertu de l’entente confidentielle.
Ayant déterminé que l’entente n’était pas une transaction, le tribunal se prête à l’exercice d’évaluer l’opportunité du désistement en vertu de l’article 585 C.p.c. Le juge Bisson note qu’il y aurait absence de préjudice pour les futurs réclamants puisque l’avis de désistement serait approuvé par la Cour et publié dans plusieurs médias et journaux, permettant ainsi aux membres putatifs de se manifester et de régler individuellement leur réclamation. De plus, s’ils le préfèrent, l’entente prévoit qu’ils pourront intenter leur propre recours à l’égard des défendeurs dans un délai de six mois après le jugement.
L’entente confidentielle prévoit aussi la suspension du délai de prescription jusqu’à 90 jours suivant la date de publication de l’avis de désistement, permettant ainsi aux autres membres putatifs qui désirent entreprendre un recours judiciaire de le faire. Finalement, le tribunal ajoute que, puisque seulement trois personnes au Québec avaient été identifiées au moment de la conclusion de l’entente, il serait disproportionné d’obliger les parties à mener une action collective d’envergure.
Ainsi, le tribunal conclut que les critères pour que le désistement soit permis sont satisfaits, et il accueille la deuxième demande de la demanderesse en ce sens.
III– Le commentaire des auteurs
La décision commentée offre un excellent survol du droit applicable quant à la qualification d’une transaction dans le contexte d’une action collective.
De manière générale, une entente sera qualifiée de « transaction » au sens de l’article 590 C.p.c. lorsqu’elle réglera le sort des réclamations de l’ensemble des membres du groupe, et prévoira une quittance même au nom des membres qui n’auraient pas été identifiés. La décision rappelle également les critères à appliquer par la Cour supérieure lorsqu’elle est appelée à permettre un désistement en vertu de l’article 585 C.p.c., ou à approuver une transaction en vertu de l’article 590 C.p.c.
Par ailleurs, cette décision laisse entrevoir de nouvelles possibilités pouvant mener à la résolution d’une demande d’autorisation d’exercer une action collective. Bien qu’il était déjà établi que la demande d’autorisation d’exercer une action collective n’empêche pas un membre putatif de régler individuellement sa réclamation et de donner quittance au défendeur, les tribunaux ont jusqu’à présent été plus réticents à permettre un désistement qui impliquerait le versement d’une somme d’argent au demandeur.
Alors que le demandeur ne doit pas nécessairement justifier devant le tribunal sa décision de se désister, il doit lui offrir suffisamment d’information pour lui permettre de s'assurer que le désistement ne cause pas de préjudice aux membres putatifs du groupe et qu'il ne porte pas atteinte à l'intégrité du système de justice. Dans ce contexte, le demandeur s’empressera généralement de rassurer le tribunal qu’il ne reçoit aucune somme d’argent en contrepartie du désistement.
La décision commentée présente donc une évolution intéressante de la jurisprudence à cet égard. Malgré cette ouverture, il est à prévoir que la qualification d’une entente impliquant le versement d’une somme d’argent au demandeur demeurera hautement circonstancielle. Il suffit de se rappeler qu’il aura fallu deux tentatives à la demanderesse dans le cas commenté pour obtenir la permission de se désister de sa demande d’autorisation d’exercer une action collective.
Dans le cadre de sa première décision, le tribunal mentionne d’ailleurs qu’une entente qui lierait un nombre suffisant de membres potentiels pourrait être qualifiée de transaction nécessitant l’autorisation du tribunal, selon la proportion du groupe que cela représente. Au-delà de cette qualification, il serait également possible pour le tribunal amené à se prononcer sur l’opportunité d’un désistement de conclure que le versement d’une somme d’argent au demandeur porte atteinte à l’intégrité du système de justice.
Là encore, tout sera question de circonstances. Finalement, faut-il le rappeler, toute cette discussion a comme trame de fond la question qui demeure quant à l’application des articles 585 et 590 C.p.c. au stade de l’autorisation d’une action collective, laquelle n’est toujours pas limpide. D’ici à ce que la Cour d’appel se prononce sur cette question, la Cour supérieure continuera certainement d’appliquer ces articles au stade de l’autorisation, avec les adaptations qui s’imposent.
Peu importe la solution au litige présentée par les parties, les tribunaux continueront d’apporter une importance particulière au respect de l’ordre public, à la protection du groupe visé et à l’intérêt de ses membres, particulièrement ceux absents au litige.
Conclusion
Les modes de règlements des différends étant une partie intégrante du processus judiciaire en matière d’action action collective, il est important de considérer divers facteurs lors de la rédaction de transactions ou d’entente entre les parties. Le facteur central à ces ententes, aux yeux de la Cour, demeurera les intérêts des membres du groupe exclus de l’entente ou absents au litige, et l’intégrité du système de justice. Toutefois, une certaine flexibilité demeure, et des circonstances particulières pourraient mener à l’élargissement de l’éventail de possibilités disponibles aux parties désirant régler le litige qui les opposent.
À propos des auteurs
Paul Blanchard est associé au sein du cabinet McCarthy à Montréal. Sa pratique couvre notamment le litige commercial, impliquant entre autres des enjeux liés au droit de l’environnement, au droit de la construction et au droit immobilier. Il pilote également plusieurs dossiers de litige civil dans une grande variété de domaines, y compris la responsabilité professionnelle et médicale.
Gabrielle Baracat travaillait pour le cabinet McCarthy au sein du groupe litige.