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Lois unilingues en français: une possibilité au Québec?

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Edmund Coates

2016-01-06 11:15:00

Le Québec pourrait-il uniquement adopter ses lois en langue française ? Un avocat soutient que c’est une possibilité…
Edmund Coates est un avocat et jurilinguiste montréalais
Edmund Coates est un avocat et jurilinguiste montréalais
Selon certains juristes, le jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Caron offrirait une occasion importante pour le Québec. Ils y trouvent même un fondement possible pour que les lois de la province ne soient dorénavant adoptées qu’en français. L’obligation constitutionnelle d’adopter des textes anglais ne donnerait pas ouverture à des recours judiciaires, mais serait plutôt une obligation politique.

Cet avis est notamment défendu par l’avocat Éric Poirier, membre du Conseil supérieur de la langue française.

S’exprimant à titre personnel, dans Le Devoir du 3 décembre, Me Poirier cible l’arrêt Blaikie, rendu par la Cour suprême en 1979 : « (dans Blaikie) la Cour suprême concluait automatiquement à l’existence d’un recours judiciaire lui permettant d’invalider la (Charte de la langue française) dans la mesure où cette dernière contrevenait au bilinguisme législatif prévu dans la Constitution. Ainsi, jamais (la Cour) n’a-t-elle étudié la possibilité que la violation de la disposition constitutionnelle (l’article 133) obligeant le Québec à adopter ses lois en français et en anglais puisse donner droit à un recours politique plutôt que judiciaire.»

Dans l’affaire Caron, jugée en novembre dernier, la Cour suprême tranche qu’une proclamation de 1869 n’a pas légué un droit au bilinguisme législatif aux Albertains. Les juges majoritaires à la Cour préconisent un examen du contexte historique en matière constitutionnelle. Selon Me Poirier, une question de droit nouveau serait donc posée si le Québec demande à la Cour suprême de reconsidérer sa décision dans Blaikie et d’étudier le contexte historique de l’article 133.

Dans Blaike, la Cour devait répondre à des questions de fond, non des questions de forme :

1) Les articles 7 à 13 de la Charte de la langue française étaient-t-ils incompatibles avec l’article 133 de la Constitution ? (oui, selon la Cour) et

2) Est-ce que le Québec avait le pouvoir législatif de modifier l’article 133 ? (non, selon la Cour).

L’Assemblée nationale avait adopté les textes anglais et français de la Charte de la langue française, en conformité avec les exigences linguistiques de l’article 133. Ainsi, la Cour suprême n’avait pas à se pencher sur les recours disponibles dans le cas d’une violation de ces exigences. D’ailleurs, la Cour suprême s’était déjà penchée sur le contexte historique de l’article 133, dans l’affaire Jones de 1974.

C’est en 1985, dans le Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba, que la Cour suprême s’est prononcée sur le destin réservé à une loi dont l’adoption n’avait pas suivi les exigences de l’article 133. La Cour a étudié les débats menant à la Confédération, ainsi que les ébauches de l’article 133, pour conclure que les exigences de l’article étaient impératives. Dès l’époque de la Confédération, la Colonial Laws Validity Act se vouait à la nullité les lois incompatibles avec la Constitution.

Des exemples historiques

Me Poirier affirme qu’à l’époque de la Confédération, l’intention était de protéger la minorité anglophone québécoise par des recours politiques implicites et non des recours judiciaires. Il propose trois exemples. L’article 93(3) de la Constitution prévoit un recours au gouvernement fédéral, en matière d’écoles confessionnelles, pour la minorité catholique ou protestante d’une province. Cet exemple n’est pas pertinent, puisqu’il s’agit d’un recours prévu en termes exprès. D’ailleurs en Ontario, au Québec et dans les autres provinces, la langue ne déterminait pas la religion.

Me Poirier rappelle ensuite les exigences financières et foncières que la Constitution prévoyait pour les nominations à la chambre haute de la législature québécoise (le même seuil que pour les nominations au Sénat fédéral). Selon lui, les membres de la chambre haute devaient donc « provenir de façon disproportionnée de la communauté anglo-québécoise ». Cependant, vu le petit nombre de nominations possibles, ces exigences financières étaient des vétilles, par rapport à la nécessité de longues années d’action en faveur d’un parti politique et une fidélité inébranlable à ce parti. Durant les cents ans de son existence, la chambre haute a eu 165 membres (il y avait 24 places dans la chambre et ses membres étaient nommés à vie).

Me Poirier fait référence à la procédure spéciale qui était prévue pour l’adoption de lois modifiant la délimitation de certaines circonscriptions électorales (cette exigence se trouvait dans l’article 80 de la Constitution et a été abrogé en 1970). Aucun tribunal ne s’est prononcé sur cette disposition. Cependant, la Colonial Laws Validity Act exigeait que les législatures suivent les exigences de forme prévues dans leurs constitutions.

Tel est aussi l’enseignement de l’affaire Bribery Commissioner c. Ranasinghe, suivi par la Cour suprême dans le Renvoi manitobain et dans l’affaire Mercure. Selon la Cour suprême, la Colonial Laws Validity Act a été remplacée au Canada par l’article 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

D’ailleurs, le Québec suit ce modèle quand il impose des exigences de forme dans sa Charte des droits et libertés de la personne. L’article 52 de la Charte prévoit qu’aucune disposition d’une loi, même postérieure à la Charte, ne peut déroger à certains de ses articles « à moins que cette loi n’énonce expressément que cette disposition s’applique malgré la Charte ».

Pouvoir de désaveu

Enfin, Me Poirier nous rappelle l’existence du pouvoir de désaveu dans la Constitution de 1867. Cette procédure permettait au gouvernement fédéral d’annuler une loi provinciale, à l’intérieur d’un certain délai suivant son adoption. Pourtant, le pouvoir de désaveu fédéral s’appliquait à n’importe quelle loi provinciale. La Constitution donnait aussi un pouvoir de désaveu au gouvernement impérial, visant n’importe quelle loi fédérale. Donc l’argumentation de Me Poirier aurait exclue toute invalidation judiciaire des lois au Canada.

Lionel Groulx avertissait dans ses Mémoires : « Ceux-là seuls qui ignorent tout du métier d’historien, croient à l’histoire définitive ». Il est toujours possible qu’une nouvelle saga juridique puisse apporter des nuances à l’interprétation des droits linguistiques au Québec. Mais il y a lieu d’espérer que le respect mutuel, présent aussi à l’époque de la Confédération, inspirera aujourd’hui des solutions qui évitent ces conflits juridiques longs et coûteux.

Edmund Coates est un avocat et jurilinguiste montréalais.
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6 commentaires
  1. DSG
    It's about time
    I'm sick of these Quebec lawyers who practice here yet never write anything in French. Everything is in French, even the blogs, so why shouldn't the laws be solely in French? English people are jerks. They don't even make an effort to communicate in French even though they understand French. They'll read court proceedings in French, then respond in English. It looks foolish.

    • Anglo Lawyer
      Anglo Lawyer
      il y a 9 ans
      A Good Reason to Leave QC
      It's people like you who made me decide to leave Quebec after I graduated from law school. Being a Quebec resident, I got a law degree for approximately $6000, benefitted from generous government bursaries and subsidies throughout my studies, and all this without ever having contributed any real tax dollars to the Quebec economy. Now that I'm working full-time as a lawyer in Ontario, my taxes are being paid to a province other than the one that invested in my education. I still have an entire career ahead of me and all the taxes and spending power that is generated over a lifetime will not benefit the Quebec economy in any way. Sadly, my story is the same as all those people who grew up in Quebec and have decided to leave the province because of the anti-Anglophone sentiments and ever-limited career opportunities. My advice to Anglophone lawyers in Quebec: The opportunities outside Quebec are huge for lawyers who are perfectly bilingual. Please take your talents and abilities to "read court proceedings in French and then respond in English" to another province that will recognize your true potential.

    • smh
      Bait...
      Let's see who is dumb enough to take this (click) bait...and yes, I get the irony.

    • Isabelle
      Isabelle
      il y a 9 ans
      Malhonnête. And we all know it.
      Everyday many Canadians move from a province to another, usually for study/work opportunities, and they don't have to make a statement out of it.

      So get the heck over your oppressed-self, Mr. Anglo.

      And for some reason you don't factor in the "anti-Franco" sentiments of those who leave. Convenient, he? Or maybe you'll pretend that there is not such a sentiment? That the Anglo crowd is immune to hatred and intolerance, which - as we all know - is exclusive to the Quebecers of French decent?

      Also, have you considered that maybe, just maybe, many "non-Franco" are just not comfortable enough in French to have a fruitful career in a province where language laws or not, the vast majority of the people speak French as first language?

      You should keep this kind of dishonest comments for the Globe&Mail or MacLeans or Star's comments sections. You'll be in godd company.

    • DSG
      Ok
      I appreciate your concerns but couldn't you have made an effort to write this comment in French. A little effort goes a long way you know.

      By the way, see the comment below.

  2. Claude Laferrière
    Claude Laferrière
    il y a 9 ans
    Avocat
    Bonjour,

    Comme je l'expliquais dans mon billet sur Droit-inc.com,l'arrêt Caron va nous ramener au Comité judiciaire du Conseil privée...lol C'est la Cour suprême qui a ouvert toutes grandes ses propres portes.

    http://www.droit-inc.com/article16846-Les-decisions-de-la-CSC-sont-elles-appelables

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