Ouvrir son cabinet après deux ans de pratique?
Pierre Arcand
2019-10-17 14:15:00
Bonjour Monsieur Arcand,
J'exerce comme avocat dans un cabinet de petite taille depuis près de deux ans. L'ambiance de travail y est agréable et mes dossiers sont motivants. Le problème est le suivant : après mon stage, il fut convenu que ma rémunération se ferait sur la base de commissions or j'ai constaté que cet engagement n'est pas toujours respecté et je déplore le manque de transparence à ce niveau.
J'envisage donc sérieusement de quitter ce bureau et d’ouvrir mon propre cabinet. Connaissant mon caractère réservé et peu « vendeur », je me demande si c'est une bonne idée. Merci d'avance pour vos conseils.
Réponse :
Cher lecteur,
Dans votre situation, ma première question est la suivante : est-ce que votre entente sur les commissions est claire et ce, tant au niveau des pourcentages que pour les autres conditions comme la source des mandats, les honoraires non facturés et les comptes en souffrances ?
Si ce n’est pas le cas, il serait important de préciser ces aspects de votre rémunération. J’ai de la difficulté à concevoir que votre employeur soit malhonnête (bien que cela existe). La majorité du temps, il s’agit d’un malentendu généré par des zones grises dans l’entente souvent verbale. Vous connaissez sans doute l’expression « cordonnier mal chaussé »… Elle s’applique souvent dans le domaine juridique.
Si l’entente est claire et que votre employeur ne la respecte pas, vous n’avez aucun intérêt à rester associé de quelque façon que ce soit avec ce dernier. Quelqu’un qui n’est pas intègre sur la rémunération de ses employés ne doit pas l’être dans de nombreux autres aspects de sa pratique. Mais est-ce que vous devez partir demain matin ? Pas nécessairement.
C’est bien beau de dire que vous êtes malheureux et avoir raison de l’être, mais ce n’est pas un motif pour vous placer dans une situation pire que celle que vous voulez quitter. Votre première démarche devrait être d’essayer de trouver un autre cabinet dans lequel poursuivre votre pratique. Je sais que ce n’est pas évident mais vous n’êtes pas en situation d’urgence et plusieurs petits cabinets sont très ouverts à des candidats acceptant une rémunération basée sur des commissions. Gardez cependant votre emploi tant et aussi longtemps que vous n’aurez pas trouvé mieux et ce pour deux raisons. Premièrement pour le bien-être de votre situation économique, et deuxièmement parce qu’un candidat sans emploi est souvent moins attirant pour un employeur.
Je vous suggère de rechercher un autre cabinet avant de penser à démarrer votre cabinet. Considérant votre expérience limitée, cette option devrait être votre situation de dernier recours.
Pourquoi ? Parce qu’à mon avis, deux années d’expérience ne sont pas suffisantes pour partir en solo, à plus fortes raisons pour un juriste réservé et peu vendeur comme vous vous décrivez. Démarrer un cabinet présente de nombreux défis tant professionnels qu’économiques mais le plus grand défi est de développer sa clientèle.
J’ai certains doutes sur vos chances de succès considérant votre personnalité. Il n’est pas donné à tous d’être un développeur et c’est souvent de courir au désastre que d’essayer de changer sa nature profonde.
Ceci étant dit, si aucun cabinet ne vous ouvre ses portes et que vous ne pouvez plus endurer votre employeur, je vous conseille de rechercher une société de partage de dépenses (association nominale) plutôt que de partir en solo. Si vous choisissez bien ladite société, vous pourriez être très surpris de ce qu’elle pourra vous apporter.
Les avantages par rapport à une pratique solo sont importants. La société vous permet d’éviter l’isolement, d’avoir un vrai bureau et d’avoir des collègues qui peuvent vous conseiller dans des dossiers complexes. Mais l’apport le plus important, et c’est pourquoi je vous mentionne de bien choisir la société que vous joignez, est la référence de dossiers ou encore les mandats ponctuels dans les dossiers de vos collègues.
Vous n’aurez jamais de garantie d’un certain nombre de références ou mandats, il ne faut pas rêver. Cependant il y a moyen de maximiser vos chances d’en obtenir en appliquant les principes suivants :
1- Identifiez un ou plusieurs domaines de pratique qui vous intéressent et joignez une société dans laquelle certains avocats œuvrent dans des domaines connexes ou complémentaires.
2- Joignez une société dans laquelle il y a peu ou pas de jeunes juristes afin de maximiser les chances que les plus seniors vous impliquent dans leurs dossiers.
3- Choisissez une société dans laquelle il existe une certaine stabilité au niveau du roulement des participants.
4- Évitez une société vous imposant de trop lourds coûts fixes, vous n’avez pas besoin d’un plancher en marbre dans la salle d’attente.
5- Demandez à rencontrer un maximum d’associés avant de prendre votre décision et prenez le temps de leur poser des questions sur leur pratique.
6- Finalement, ne vous engagez pas pour une longue période, idéalement signez une entente renouvelable sur de courtes périodes afin de vous garder une porte de sortie si vous déchantez rapidement.
En terminant, je vous rappelle que même si vous choisissez avec justesse la bonne société nominale, vous devrez quand même développer votre propre clientèle car vous ne pourrez pas survivre seulement avec les références de vos collègues.
Vous devez être motivé et convaincu de connaître du succès parce que si vous ne l’êtes pas, vous ne convaincrez personne et votre développement de clientèle sera très laborieux.
Je vous souhaite une bonne semaine et bonne chance pour la suite de votre carrière.
La Question au Recruteur
Chaque semaine, le recruteur juridique Pierre Arcand répond à une question posée par vous, chers lecteurs.
La Question au Recruteur de la semaine est choisie parmi toutes celles reçues sur le site. Toutes les questions sont bonnes pour autant qu’elles concernent votre carrière de juriste.
Sur l'auteur
Pierre Arcand s'est spécialisé en recrutement juridique après avoir pratiqué le droit pendant une douzaine d'années. Ayant été associé au sein de cabinets boutiques ainsi que d'un important cabinet de Montréal, il connaît bien la communauté juridique et les enjeux reliés à la pratique du droit tant en cabinet qu'en entreprise. Arcand et Associés, une entreprise spécialisée dans le recrutement de cadres et de professionnels, a été fondée en 1999. Pierre Arcand et son équipe apporte un soutien professionnel tant aux entreprises qu'aux cabinets qui cherchent à recruter les meilleurs candidats disponibles.
Jobless
il y a 9 ansMe Arcard,
Vos conseils quoique bien intentionnés, ne s'appliquent pas dans la réalité qu'est le marché des emplois juridiques en ce moment.
-Trop d'avocats sur l'île de Montréal
-Trop de finissants qui veulent pratiquer sur l'île de Montréal
-Trop d'offres d'emplois demandant une expérience de 5-6 ans dans un domaine spécifique = ce qui est carrément impossible d'obtenir pour un jeune avocat
-Trop d'avocats âgés qui restent en poste pour continuer de payer leur train de vie
Avec tous ces éléments, cela donne un marché d'emploi complètement à l'avantage des employeurs:
-Sociétés d'avocats qui refusent de payer un salaire + avantages, préférant procéder par commissions et facturation directe au client et qui demandent à des jeunes avocats d'assumer les frais de bureaux
- Sociétés d'avocats qui prennent des stagiaires leur payant des salaires dérisoires et leur donnant des mandats où ils n'apprendront rien d'utile pour finalement les pousser à la porte, une fois le stage complété
Mon conseil pour le lecteur est de devenir indispensable pour son employeur en devenant une partie intégrale de la pratique et des dossiers dans lequel il agit. Ensuite il pourra exercer de la pression sur l'employeur pour se garantir un salaire et des avantages.
Trop souvent, les jeunes avocats se font avoir par des plus séniors qu'ils méprennent pour un "mentor" qui veillera à leur développement. Quand autant de jeunes avocats crèvent de faim, il est clair que les séniors y voient une possibilité de profiter.
Me(e)
il y a 5 ansJe ne vois nulle part dans la question que le candidat en question exerce sur l'île de Montréal…
Par ailleurs, les frais de se partir à son compte sont élevés. Pensez à votre logiciel de comptabilité, votre loyer, logiciels autres (Aliform, Soquij, etc), frais du photocopieur, cotisation au barreau, formation, achat de vos livres, embauche d'une secrétaire ou pire, devoir tout faire soi-même (aller à la poste, à la banque, déposer ses procédures, faire ses endos, appeler l'huissier, faire les suivis d'envoi, répondre au téléphone, faire votre comptabilité, vos rapports de taxes, etc) La pratique du droit deviendra marginale en début de pratique, donc moins d'argent et moins d'expérience pertinente en droit.
J'ai l'impression que c'est votre seule porte de sortie. Pensez à postuler en région, il y a plein de cabinets qui seraient ravis de vous avoir!