« La fois où j’ai eu peur de mon client »
Martine Turenne
2017-05-29 15:00:00
« Je défends des gens parfois horribles, mais il faut aller au-delà de du sentiment de répulsion. Ce sont d’abord des personnes qui sont poursuivies par un État. Et mon travail est de les défendre », raconte-t-elle, alors qu’elle était de passage à Montréal afin de visiter son cadet, étudiant à McGill.
Son prochain procès concerne un homme accusé d’avoir agressé sexuellement sa fille. Elle aura la délicate tâche de questionner une adolescente de 15 ans…« On ignore si ce qu’elle dit est vrai, il n’y a pas de preuves. Les agressions sont survenues il y a plusieurs années. » Comme avocate, dit-elle, elle est très suspicieuse. « Je doute de toutes les accusations déposées contre quelqu’un. »
Elle a défendu des centaines de petits délinquants, mais aussi des terroristes accusés d’avoir voulu faire sauter l’aéroport JFK, des assassins, des agresseurs sexuels.
Mais parfois, la délicate femme de 59 ans, mère de trois grands enfants, a eu la chair de poule…
Un homme terrifiant
Un jour, elle était commise d’office pour un homme déjà condamné pour kidnapping et pour meurtre. « J’avais lu dans le journal ce qu’il avait fait. » Il avait violé une femme, lui avait couru après dans la rue alors qu’elle tentait de s’échapper, puis lui avait tiré dessus.
Toni n’avait pas de bons échos de l’avocat précédent, ce qui la rendait très nerveuse. « On m’avait dit: ‘ne reste pas près de lui’. »
L’homme était déjà en prison pour ce meurtre. Mais on avait réussi, grâce à une trace d’ADN, à faire une corrélation entre lui et une autre affaire, où une femme agressée avait pu s’enfuir et porter plainte.
La couronne souhaitait que l’accusé participe à une séance d’identification. « Mais il refusait d’y aller, raconte Toni Messina. On m’a demandé d’insister auprès de lui. »
Toni Messina rencontre son client directement devant sa cellule. Ils sont séparés l’un de l’autre seulement par des barreaux. L’homme n’était pas si grand, mais costaud, avec un œil qui partait dans une autre direction que l’autre. L’avocate ne sait trop lequel regarder. « J’étais nerveuse, même s’il était menotté, derrière les barreaux. »
- Bonjour, je suis votre avocate, commence-t-elle.
Elle lui pose quelques questions qui restent sans réponse, puis lui explique ce qui va se passer, qu’il faut qu’il se rende à la salle d’interrogatoire volontairement, sinon les forces de l’ordre vont le faire. L’homme reste silencieux. Au moment où l’avocate se lève pour partir, il lui dit qu’il ne va pas coopérer avec la police. Puis, en une fraction de seconde, il saute de sa chaise et se retrouve à seulement quelques centimètres d’elle, les mains accrochées aux barreaux.
D’instinct, Toni Messina recule. L’accusé lui dit : «Qu’est-ce que vous pensiez, que j’allais vous étrangler ?» Elle lui explique que c’était une simple réaction, mais il rétorque : « comment pouvez-vous être mon avocate si vous avez peur de me parler ? »
C’était un bon point...
Quelque temps plus tard, l’accusé a demandé un nouvel avocat. Il en a eu trois autres par la suite, avant de décider de se représenter lui-même.
« Quand ils sont derrière les barreaux, normalement, ils sont moins dangereux, car on les médicamente, dit Me Messina. Mais il arrive que la peur prenne le dessus. »
Voulez-vous me donner un câlin?
Un jour, alors qu’elle est enceinte, elle reçoit un appel de la procureure pour représenter un voleur. Le hic: il avait tailladé, avec un couteau, le visage d’une femme enceinte...
- Tu dois être habituée à ce genre de bonhomme, lui dit la procureure.
Eh! bien non. Toni Messina demande à la juge d’être relevée et à son grand étonnement, celle-ci accepte. « Mon instinct me disait de ne pas prendre cette cause. »
Une autre fois, elle représentait un accusé afro-américain, un homme très imposant, visiblement perturbé et agressif, qui avait volé et menacé avec un couteau une femme dans le métro. « Il a été trouvé coupable. C’est le genre de gars qui va prendre 12 ans et quand il va sortir, il va peut-être tuer quelqu’un. Mais alors que je l’interrogeais, il m’a dit : voulez-vous me donner un câlin? Je l’ai fait. Il était énorme... Mais ça été OK... »
Si la majorité de ses clients ont des problèmes de santé mentale, seule la minorité est violente. Et Toni Messina ne refuse à peu près jamais une cause, aussi abjecte fusse-t-elle. « Jamais je me suis dit: ‘non, je ne vais pas toucher à cette cause en raison de ce que l’accusé a fait’, hormis quand j’étais enceinte. Il y a des avocats qui le disent, mais je ne comprends pas ça. C’est comme un médecin qui refuse d’aider une personne qui a tenté de se suicider, car elle n’est pas d’accord avec son geste. Ça n’a pas de sens. »
Savoir compartimenter sa vie
Depuis le temps, elle a appris à bien délimiter son travail du reste de sa vie. Elle est au tribunal tous les jours. Alors que les causes impliquant des petits vendeurs de drogues formaient près de 80% de sa pratique, au début de sa carrière, ce sont les agressions sexuelles, le trafic humain et la prostitution qui occupent davantage les tribunaux ces temps-ci.
Et toujours des criminels violents. Récemment, elle a réussi à faire innocenter un de ses clients. Il risquait la prison à perpétuité. « Je lui ai dit: ‘José, tu aurais pu aller en prison pour la vie. Ne retourne pas à l’héroïne’. »
Il a appelé son avocate la semaine dernière. « Il m’a dit : ‘je vais bien’. »
Et s’il dérape à nouveau? Et s’il tue quelqu’un?
« Je me dirais que j’ai fait mon travail, qui consistait à le défendre. Mais pour arriver à penser ainsi, il faut savoir bien compartimenter sa vie. »