Jacques Larochelle en croisade pour l'ex-juge Delisle
Agence Qmi
2013-12-22 10:25:00
Débouté en Cour suprême la semaine dernière, Me Jacques Larochelle ne baisse pas les bras. Aux côtés du juge à la retraite depuis le dépôt des accusations, le réputé plaideur de Québec a décidé de poursuivre le combat, et ce, tout à fait gratuitement.
«Je suis convaincu de l’innocence de M. Delisle. Il me l’a toujours affirmé, la preuve le démontre, je suis absolument convaincu, jusqu’au fond du coeur: c’est une erreur judiciaire. J’ai proposé à M. Delisle de continuer la lutte à titre de bénévole pour tâcher d’obtenir la reconnaissance par le ministre fédéral de la Justice qu’il s’agit d’une erreur judiciaire. Il a accepté et c’est ce que je vais faire», explique-t-il.
Une disposition du Code criminel permet en effet de recourir à cette mesure exceptionnelle lorsque tous les moyens légaux ont été utilisés. S’il juge qu’il y a apparence d’erreur judiciaire, le ministre de la Justice peut ordonner un nouveau procès ou alors renvoyer l’affaire à la Cour d’appel.
«C’est un pouvoir de faire grâce. De suspendre ou d’empêcher même l’application régulière de la loi criminelle», précise Me Larochelle.
Preuve balistique
L’essentiel du dossier, selon lui, est que «la thèse de la Couronne est impossible», puisque la preuve technique présentée au procès ne correspond pas aux taches de suie et de cendres retrouvées sur le corps de Nicole Rainville. Et cet élément lui importe beaucoup plus que les mobiles financiers et amoureux invoqués par la poursuite.
À ses yeux, l’affaire est «mathématique», «évidente» et, croyait-il, «facile»: différents éléments de la preuve balistique de la poursuite traduisent d’une «impossibilité scientifique» et devaient éliminer automatiquement le doute raisonnable. «Ce que j’appelle l’absurdité de la preuve balistique n’a jamais été senti ni compris, du début jusqu’à la fin.»
Pas écouté
Me Larochelle a le sentiment que personne ne s’est vraiment attardé à ces considérations techniques.
«La Couronne n’en a même pas parlé dans sa plaidoirie. Tout le monde l’a poussée sous le tapis. Comme si la logique scientifique, la rigueur, la raison avaient beaucoup moins d’importance que les intuitions fondées sur les émotions ou encore le fait qu’il avait une maîtresse, déplore-t-il.
«Avez-vous l’impression de ne pas avoir été écouté, Me Larochelle?» «Oui!», répond-il sans hésiter.
«J’ai l’impression que ce que je disais n’était pas entendu, qu’on ne comprenait pas ce que je disais.
«Du début à la fin, mon discours était essentiellement rationnel et c’est comme si ce discours scientifique, dans un dossier qui soulève les passions, frappait un mur de surdité qui fait qu’on ne l’entend pas ou ce n’est pas déterminant, ça ne paraît pas important.»
Chose certaine, Me Larochelle compte maintenant tout faire en son pouvoir pour être entendu auprès du ministre. «Ma résolution de combattre pour M. Delisle est intacte, sans aucune modification. Et en ce qui concerne le système judiciaire, je constate que, selon moi, clairement, il a fait une erreur.
«Mais qu’est-ce que vous voulez, personne n’est infaillible et je vais lui donner une dernière chance de reconnaître cette erreur. Même si j’échoue, même s’il ne veut pas la reconnaître, j’aurai au moins, moi, la conscience tranquille», termine-t-il.
Q Pourquoi ne pas avoir fait témoigner Jacques Delisle?
«C'est un dossier où mon client et, on pensait qu'il n'y avait pas de risque. Je ne peux pas révéler les motifs pour lesquels M. Delisle a décidé de ne pas témoigner, peut-être qu.un jour il va m'autoriser à le faire et là je pourrai entrer dans le détail. Mais je peux vous dire ceci: la question de M. Delisle est "Me Larochelle. est-ce qu'il y a, jusqu'à présent, une preuve hors de tout doute de ma culpabilité?" je lui ai donné ma réponse et elle me paraît toujours vraie et évidente: "Non".
Q Auriez-vous pu penser que ce dossier serait si compliqué?
«Jamais. Pour moi, c’était un dossier où la thèse de la Couronne était tellement absurde que ça ne devrait poser la moindre difficulté de la faire reconnaître. Et ça a été le dossier le plus difficile de ma carrière. Il y a tellement de causes qui influent sur les affaires judiciaires lorsqu’elles deviennent médiatisées. Il y a tellement de causes impondérables qui surviennent et qu’on ne peut pas prévoir. Ça, je l’ai appris aussi. Que même si mes pronostics étaient extrêmement confiants et que ça me semblait un dossier très facile, je me suis complètement trompé et c’est devenu avec le temps un dossier extrêmement difficile.»
Q En quoi Ce dossier est-il différent des grAndes CAuses que vous Avez plaidées?
«Au début, je pense que l’humeur populaire ou le climat était soit indifférent, soit légèrement favorable. J’avais plutôt des signes de sympathie. Et pour une raison que je ne m’explique pas encore et que peut-être je ne m’expliquerai jamais, en cours de procès, j’ai senti que l’humeur tournait. Je retrouvais une espèce de climat d’hostilité un peu semblable à celui que j’avais vécu dans le dossier de M. [Robert] Gillet. Je n’ai jamais connu ce climat d’hostilité dans les dossiers de «figures connues du crime officielles».
Q Comment Jacques Delisle a-t-il réagi à l’annonce de la décision de la Cour suprême?
«Je lui ai parlé depuis que c’est arrivé, c’est horrible. C’est très très difficile. Ces souffrances soulèvent pour moi l’indignation parce qu’elles sont imméritées, mais aussi la pitié, parce qu’elles sont extrêmes. Personne dans sa famille, chez ses amis, dans son entourage, personne ne doute de son innocence. Parce qu’ils sont au courant du dossier, mais aussi parce qu’ils le connaissent intimement, ils sont tous absolument convaincus que cet homme n’a jamais pu poser ce geste. Jamais, jamais, jamais, ils en sont absolument convaincus.»
Q Avec du recul, auriez-vous présenté votre preuve différemment?
«Non, je ne regrette pas de l’avoir fait parce que, à mon humble avis, elle ne me nuit pas du tout. Mais elle a été, je pense, mal perçue selon les commentaires que j’ai eus du public. Tout ce qu’on retenait, c’était des âneries – si vous me permettez l’expression – vraiment des bêtises. Il n’y avait pas de justesse dans la perception que le public a eue. Le public n’était pas là. Il se nourrissait d’informations qui lui étaient communiquées, j’imagine, par les médias. Or, apparemment, celles qui étaient défavorables à la défense frappaient plus que celles qui lui étaient favorables.»
Q Jacques Delisle n’avait donc pas à témoigner pour prouver son innocence?
«On a un dossier qui est rationnel et logique et il est sûr. Si on embarque dans le dossier émotif, allez-vous plaire aux jurés, comment allez-vous vous en tirer, il y aura certainement des questions qui vont feront mal paraître. On peut toujours poser des questions à un témoin qui le font mal paraître. Va-t-on gagner ou perdre sur ce dossier chanceux, émotif? Je ne le sais pas. C’est un terrain glissant. Pourquoi perdre une certitude fondée sur la raison et la logique qu’est la science, pour embarquer sur un terrain émotif, un peu glissant, vaseux, dans lequel on ne sait pas trop comment on va performer?»