La Cour suprême accorde une demande d’autorisation d’appel dans l’affaire Société canadienne des postes c. Michel Lépine

Ogilvy Renault
2008-03-12 10:10:00
Comme la plupart des provinces canadiennes disposent maintenant d’une législation sur les recours collectifs, il n’est pas rare de voir des définitions de groupe se chevaucher. À l’occasion de certains différends, le tribunal d’une province peut être appelé à autoriser un groupe national liant les résidents d’autres provinces.
Même si les tribunaux canadiens ont déjà autorisé des groupes nationaux par le passé, l’effet de ces décisions sur des recours collectifs en instance dans d’autres provinces a fait très rarement l’objet d’un litige puisque dans la vaste majorité des cas, les avocats des différentes provinces coordonnent entre eux le règlement et l’autorisation du recours collectif à des fins de règlement par les divers tribunaux visés.
Toutefois, dans l’affaire Postes Canada, les avocats du Québec ont refusé de participer au règlement national proposé négocié dans le cadre de recours collectifs similaires en Ontario et en Colombie-Britannique. C’est pour cette raison que les tentatives de faire déclarer exécutoire ce règlement au Québec se sont heurtées à une opposition. La décision de la Cour suprême du Canada d’autoriser un pourvoi dans ce dossier pourrait mener à l’élaboration de nouvelles directives sur le rôle des tribunaux canadiens à l’égard des recours collectifs nationaux au Canada et des principes juridiques qui les sous-tendent.
En 2000, Postes Canada a commencé à vendre un service d’accès à Internet au moyen d’une trousse conçue par la codéfenderesse, Cybersurf. Cette trousse se vendait 9,95 $ et Cybersurf s’est engagée à offrir un accès gratuit à Internet en échange de l’affichage constant d’annonces sur l’écran d’ordinateur des utilisateurs. Cet accès gratuit à Internet a été interrompu en 2001 et Cybersurf a informé les clients que des frais mensuels seraient dorénavant exigibles pour ce service. Trois recours collectifs ont été entrepris relativement à l’interruption de ce programme : un par M. Lépine au Québec (au nom des résidents du Québec), un par M. Paul McArthur en Ontario (au nom de tous les résidents du Canada, à l’exception de ceux du Québec) et un par M. John Chen en Colombie-Britannique (au nom des résidents de la Colombie-Britannique).
Au cours des années 2002 et 2003, des tentatives ont été faites pour régler ces recours collectifs, mais M. Lépine et ses avocats ont toutefois refusé l’offre de règlement. En juillet 2003, après avoir épuisé toutes les tentatives visant à régler le litige afin d’inclure les réclamations de M. Lépine, les avocats de Postes Canada et les demandeurs en Colombie-Britannique et en Ontario ont négocié un règlement conditionnel à son approbation par les tribunaux de la Colombie-Britannique et de l’Ontario. Ce règlement prévoyait que les groupes proposés dans les procédures seraient modifiés de sorte que le recours intenté en Colombie-Britannique inclurait uniquement les résidents de la Colombie-Britannique et que le recours intenté en Ontario inclurait tous les résidents du Canada, à l’exception de ceux de la Colombie-Britannique, mais incluant les résidents du Québec. Aux termes de ce règlement, les membres de chaque groupe auraient droit au remboursement du prix d’achat et à trois mois de services Internet gratuits.
La requête pour autorisation d’intenter un recours collectif déposée au Québec a dans l’intervalle suivi son cheminement et été entendue par la Cour supérieure du Québec du 5 au 7 novembre 2003. Elle a été mise en délibéré à cette date. M. Lépine a aussi été informé que le litige avait fait l’objet d’un règlement en Ontario et qu’une audience aurait lieu devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario pour approuver ce règlement, lequel devait lier les résidents du Québec. Les avocats de M. Lépine n’ont pas comparu en Ontario, mais ont avisé cette dernière par écrit que la Cour supérieure du Québec avait entendu la requête pour autorisation et que la décision avait été prise en délibéré.
Le 22 décembre 2003, alors que la cause du Québec était toujours en délibéré, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a approuvé le règlement négocié en Ontario. Cette approbation visait un groupe national (qui excluait la Colombie-Britannique mais incluait les résidents du Québec). L’approbation a donc été accordée, malgré le fait que la Cour avait été informée de l’état d’avancement des procédures au Québec.
Le lendemain, soit le 23 décembre 2003, la Cour supérieure du Québec a accueilli la requête de M. Lépine en vue d’autoriser le recours collectif. Le 21 février 2004, un avis a été publié dans divers journaux du Québec pour annoncer que ce recours avait été autorisé et qu’il serait déposé et signifié.
Le 7 avril 2004, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a autorisé et approuvé le règlement en ce qui concerne le recours déposé au nom des résidents de la Colombie-Britannique. Conformément aux ententes de règlement, des avis ont été publiés dans tout le Canada, y compris au Québec, en Ontario et en Colombie-Britannique, pour informer les membres du groupe du règlement intervenu en Ontario et en Colombie-Britannique, ainsi que de la procédure à suivre pour la présentation des réclamations.
Postes Canada a ensuite déposé auprès de la Cour supérieure du Québec une requête pour faire reconnaître et déclarer exécutoire le jugement de la Cour supérieure de justice de l’Ontario ayant approuvé le règlement, ce qui aurait entraîné comme conséquence le rejet du recours collectif entrepris au Québec en raison du principe de la chose jugée. La Cour supérieure du Québec a rejeté la requête de Postes Canada. En ce faisant, la Cour supérieure du Québec a cité de larges extraits d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario, Currie v. McDonald’s Restaurants of Canada Limited, et son analyse des exigences procédurales nécessaires avant de pouvoir reconnaître un jugement autorisant un recours collectif devant lier les membres non résidants. En particulier, la Cour traite abondamment de l’exigence qu’un avis adéquat soit donné. La Cour supérieure du Québec a conclu que la publication de l’avis relativement au recours du Québec et de celui concernant le règlement approuvé en Ontario était une source de confusion. Le fait que l’avis relativement au recours en Ontario, qui avait été publié conformément à l’approbation des tribunaux de l’Ontario, combiné au fait que ce dernier ne fournissait pas de renseignements pour informer les membres du groupe sur la façon de distinguer leurs droits aux termes des deux recours collectifs, ajoutait à cette confusion. Pour cette raison, la décision rendue en Ontario ne pouvait être déclarée exécutoire au Québec.
La Cour d’appel du Québec a confirmé la décision de la Cour supérieure du Québec. La Cour d’appel a estimé que la Cour supérieure de justice de l’Ontario aurait dû refuser d’exercer sa compétence sur les résidents du Québec et que l’avis du règlement projeté était insuffisant et source de confusion.
Elle a donc statué qu’il convenait que la Cour supérieure du Québec refuse de déclarer exécutoire le règlement approuvé en Ontario à l’égard des résidents du Québec. Invoquant l’article 3155(3) du Code civil du Québec, la Cour d’appel a statué que le défaut de donner un avis convenable constituait une violation des principes fondamentaux de procédure. Se fondant sur les principes de l’article 3155, la Cour d’appel a estimé que la Cour supérieure du Québec était justifiée de ne pas reconnaître la décision rendue en Ontario.
La Cour d’appel du Québec a aussi exprimé des questionnements quant aux raisons pour lesquelles la Cour supérieure de justice de l’Ontario, en raison du principe de courtoisie entre les provinces, n’avait pas refusé d’exercer sa compétence à l’endroit des résidents du Québec alors qu’elle avait fait preuve de courtoisie à l’endroit des résidents et de la Cour suprême de la Colombie-Britannique.
La décision de la Cour suprême du Canada d’autoriser le pourvoi semble signaler que cette dernière est intéressée à examiner la question des recours collectifs nationaux au Canada.
Reste à savoir si elle fournira des directives précises devant guider les tribunaux quant aux principes applicables aux recours collectifs nationaux ou si elle ne mettra l’accent que sur les faits particuliers de cette affaire.
Par Randy C. Sutton et Sylvie Rodrigue, d'Ogilvy Renault