Coupable d’une infraction criminelle et congédié
France Rivard
2013-11-04 11:15:00
La question intéressante ici est la suivante: Est-ce que l'article 10 de la Loi sur le système correctionnel du Québec, qui prévoit la destitution automatique d’un agent des services correctionnels reconnu coupable d’un acte criminel, en l'absence de circonstances particulières justifiant une autre sanction, contrevient à l'article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne ?
L’article 18.2 de la Charte interdit notamment de «congédier (…) ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu'elle a été déclarée coupable d'une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n'a aucun lien avec l'emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon».
D’entrée de jeu, il est à noter que le libellé de l’article 10 de la Loi sur le système correctionnel du Québec est identique à celui de l’article 119 de la Loi sur la police. Il faut savoir également que la jurisprudence est abondante relativement à ce dernier article, alors que ce n’est pas le cas en ce qui concerne l’article 10 de la Loi sur le système correctionnel du Québec.
La jurisprudence
Le syndicat a tenté de convaincre l’arbitre de ne pas suivre les décisions des tribunaux supérieurs, qui ont établi que l’article 119 de la Loi sur la police ne contrevenait nullement à l’article 18.2 de la Charte. Il prétendait que les principes dégagés de la jurisprudence relative à l’article 119 de la Loi sur la police ne doivent pas s’appliquer aux agents des services correctionnels en application de l'article 10 de la Loi sur le système correctionnel du Québec.
Le syndicat a particulièrement fait valoir que les extraits des échanges du ministre de la sécurité publique avec des députés à la commission parlementaire sur l’étude du projet de loi concernant les pouvoirs plus restreints des agents des services correctionnels à titre d’agents de la paix démontraient que la situation des policiers était différente de celle des agents correctionnels.
La tentative du syndicat a échoué devant le poids de la jurisprudence fortement majoritaire concernant l’article 119 de la Loi sur la police, dont fait partie l’arrêt de Cour d'appel Association des policiers provinciaux du Québec c. Sûreté du Québec. La majorité, composée des juges Nuss et Brossard, a conclu que l'article 119 de la Loi sur la police ne contrevenait pas à l'article 18.2 de la Charte. L’arbitre a mentionné qu’il se sentait lié par cette décision majoritaire, qui est finale puisqu’il n’y a pas eu d’appel à la Cour suprême.
Du même coup, l’arbitre St-Arnaud a écarté la sentence arbitrale sur laquelle s’appuyait le syndicat et qui avait été rendue par M. Pierre A. Fortin dans Québec (Sécurité publique) (Gouvernement du) et Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec), où il avait été décidé, au contraire, que l’article 10 de la Loi sur le système correctionnel du Québec était inapplicable puisqu’il violait l’article 18.2 de la Charte.L’arbitre avait adopté une opinion similaire à la dissidence exprimée par le juge Pelletier, de la Cour d’appel, au sujet de l’article 119 de la Loi sur la police.
Les pouvoirs des policiers et des agents correctionnels
Plutôt que de s’attarder aux extraits des échanges entre le ministre de la sécurité publique et des députés à la commission parlementaire au sujet des pouvoirs des agents des services correctionnels, l’arbitre retient plutôt que :
- Les agents correctionnels ont des pouvoirs de fouille très larges
- Ils font partie du système judiciaire et de l’administration de la justice
- Ils assurent le suivi de l’application des décisions judiciaires en matière pénale et criminelle
- Ils ont un rôle très important dans la réinsertion sociale des détenus
- Cette mission a été confiée par le législateur
En terminant, je rappelle que la jurisprudence ne foisonne pas de décisions rendues sur l’article 10 de la loi. On n’y retrouve que la décision dont je vous ai entretenus et celle dont l’opinion a été écartée par le présent arbitre. Rien du côté des tribunaux judiciaires.
À ce jour, aucune révision judiciaire ne semble poindre à l’horizon.
Sur l’auteure
Me France Rivard travaille à SOQUIJ depuis 2000, ayant occupé à ses débuts un poste de conseillère à la clientèle. Depuis 2001, elle est conseillère juridique en droit du travail, contribuant à la rédaction des Express dans les domaines de l’arbitrage de griefs, des normes du travail et des droits et libertés de la personne et publiant des articles sur ces sujets dans AZIMUT (Banque Doctrine). Avant de se joindre à SOQUIJ, elle a été recherchiste à la Cour d’appel puis avocate en pratique privée. Enfin, elle détient une maîtrise en droit de la santé de l’Université de Sherbrooke.