Êtes-vous dans une relation toxique avec votre client ?
Camille Dufétel
2023-02-23 14:15:00
Selon Maryse Audet, consultante en ressources humaines, coach, formatrice et conférencière montréalaise, cela peut aussi arriver à des avocats quand ils ont pour client… un « pervers narcissique ».
« On en entend de plus en plus parler et en fait, c’est en 1986 que des psychiatres ont mis en lumière ce qui constitue en fait une maladie mentale répertoriée dans le DSM-5 », explique-t-elle.
Il s’agit d’un manuel de classification des principaux critères permettant le diagnostic de troubles mentaux, qui s’adresse aux professionnels et qui est publié par l’Association Américaine de Psychiatrie.
Un des signes permettant de voir que la relation avec son client est de nature toxique, selon elle, est que ce dernier va chercher à contrôler le processus de l’avocat.
« Dans sa tête, il est au-dessus de la loi et de l’avocat, ajoute-t-elle. Il va avoir tendance à dominer, à faire ce que lui désire, à avoir toutes sortes d’arguments pour contourner l’avocat. »
Maryse Audet a notamment donné une conférence intitulée « Démasquer les relations toxiques » dans le cadre des Grands rendez-vous de la formation du Barreau du Québec, à Montréal, qui avaient lieu les 9 et 10 février.
Elle constate, notamment en droit familial, que les personnes narcissiques, qui ont vécu toute leur vie ainsi, peuvent avoir une vraie longueur d’avance sur l’avocat et la victime, et qu’elles « vont savoir bien utiliser le système ».
L’avocat peut aller jusqu’à l’épuisement professionnel face à ce type de client s’il embarque dans un rouage infernal à ses côtés et qu’il n’est pas prudent, juge-t-elle.
Avocats sous emprise
Selon l’experte, cela prend presque une expertise pour faire face à ce type de personnalité.
« Ces personnes peuvent avoir de l’emprise sur leur avocat si ce dernier n’est pas au courant que ce type de personnalité existe. L’avocat va alors embarquer dans leur jeu, qui consiste à se battre pour se battre et à causer des conflits. »
Maryse Audet constate en effet que quand on ne sait pas ce type de personne existe, on fait du mieux qu’on peut, on applique les marches à suivre, mais ce qu’on ne sait pas, c’est que ces personnes sont très stratégiques.
« Elles réfléchissent beaucoup et savent comment déjouer une situation ».
L’experte dit avoir déjà vu des avocats qui étaient tellement sous l’emprise de leur propre client, qu’ils se mettaient à parler comme lui.
Certains avocats peuvent d’après elle se mettre à faire des choses qu’ils ne feraient pas habituellement, devenir plus rigides, plus difficiles dans la négociation avec l’autre partie…
Actuellement, 2 à 3 % de la population mondiale serait diagnostiquée, mais l’experte croit qu’il y a beaucoup plus de pervers narcissiques.
« On ne peut pas les répertorier, car ce sont des personnes qui rapportent tout à l’expérience, ajoute-t-elle. Ce n’est jamais de leur faute. Consulter un thérapeute n’est évidemment pas leur premier réflexe. Gardons en tête qu’il y en a vraiment partout, et dans tous les domaines. »
Difficile de les reconnaître
Au premier abord, ces personnes sont séductrices, savent employer les bons mots, et savent aussi ce que l’on a besoin d’entendre, remarque-t-elle. D’où la difficulté pour l’avocat de réaliser qu’il a ce type de client.
« C’est possible de tomber dans le piège autant comme avocat que comme juge, note Maryse Audet. Ils sont charmants, ils vont mentir très régulièrement sans même que l’on puisse s’en rendre compte. »
L’experte précise aussi que ces personnes vont chercher elles-mêmes, et rapidement, à engager la relation d’affaires.
Elles vont aussi émettre des critiques « sans en avoir l’air ». « Elles font passer des messages pour rabaisser la personne et faire diminuer son estime d’elle-même, tout en la rendant dépendante à eux. »
Elles vont aussi, d’après Maryse Audet, vouloir avoir raison à tout prix, malgré ce que l’avocat essaie de leur expliquer. Et tarder avant de répondre à certaines demandes pour retarder un processus en cours, quitte à créer de l’angoisse chez l’autre partie…
Dès lors qu’il faut toujours négocier, expliquer les choses, faire de l’éducation auprès de son client, ce n’est pas bon signe.
Dans les mailles du filet
Voilà comment l’avocat, peu à peu, se fait prendre dans les mailles du filet. « Une fois qu’il se rend compte que quelque chose cloche, il est déjà pris ».
En somme, ces personnes utilisent l’ignorance de l’autre pour mieux les manipuler et cacher des informations, pointe la coach.
Ces personnes « divisent pour mieux régner », assure l’auteure de l’ouvrage « Les relations toxiques en amour et en affaires », paru en 2021 chez Béliveau Éditeur.
Même quand elles obtiennent ce qu’elles veulent au bout du compte, ce n’est parfois pas assez. Elles décident alors de revenir à la charge.
« Et si par exemple, c’est un client qui avait déjà un jugement, dans le cas par exemple du droit de la famille, il pourra faire de l’abus de pouvoir vis-à-vis de celui-ci. »
Voilà pourquoi, d’après Maryse Audet, plus on va lire et en savoir sur le sujet, plus on va reconnaître ces signes. L’un des plus importants étant nous-mêmes, car souvent, d’après l’experte, on sent au fond de soi que quelque chose ne va pas.
« On va le banaliser parce qu’on est occupé, mais quand on doute de quelque chose, il faut l’entendre et l’écouter, prendre un temps d’arrêt et être alerte ».
Comment réagir
« Cela s’est déjà vu que des avocats délaissent ce type de clients », assure la coach.
Et c’est d’ailleurs ce qui est conseillé avec ce type de personne, selon elle. Il faut couper les ponts, si cela est possible.
« Si l’avocat ne se sent pas respecté, que ça lui demande énormément d’énergie, ça peut être une solution de lui dire qu’il arrête », dit-elle. Mais elle estime que ce type de personne est susceptible de faire des plaintes au Barreau du Québec.
« Ces personnes cherchent la bataille, elles sont bien dans le conflit et dans le fait d’avoir raison, donc il faut être très stratégique avec elles ».
Avant d’en arriver là, il y a plusieurs façons de réagir, comme le fait de garder son client centré sur le sujet principal, parler au “on”, mettre ses limites et respecter ses besoins, oser éduquer son client, et prendre constamment des notes écrites lors de rencontres avec lui, assure Maryse Audet.