15 milliards $ pour les victimes du tabac au Québec
La Presse Canadienne
2015-06-02 07:00:00
Dans une décision coup de poing de 276 pages, le juge a qualifié les actions des cigarettiers de "particulièrement répréhensibles", des actions "qui doivent être dénoncées et punies de la façon la plus sévère".
Ainsi, les fumeurs ou ex-fumeurs québécois atteints d'emphysème, du cancer du poumon ou du cancer de la gorge pourront obtenir des dommages moraux et punitifs, calcule le Conseil .
Il s'agirait de l'une des plus importantes poursuites en dommages au pays, une cause suivie de très près à travers le monde.
Le Conseil québécois sur le tabac et la santé, qui a porté la cause à bout de bras, a qualifié la décision d'"historique"
"Ces trois cigarettières ont menti à leurs clients pendant 50 ans et ont porté atteinte à leur droit à la vie. C'est une grande victoire pour les victimes et aussi pour la société en général", a fait savoir dans un communiqué André Lespérance, l'un des avocats de la poursuite.
Mais pour Lise Blais, le jugement est néanmoins amer.
L'un des deux recours été lancé par son mari, Jean-Yves Blais, peu avant qu'il ne décède d'un cancer du poumon en 2012, à l'âge de 68 ans.
La veuve était présente à la conférence de presse à Montréal organisée par le Conseil. Elle incite tout le monde à cesser de fumer.
"Votre santé est complètement détruite", a-t-elle dit en tenant fermement des photos de son mari décédé.
Les trois fabricants visés, Imperial Tobacco et JTI-Macdonald et Rothmans-Benson & Hedges, ont immédiatement annoncé leur intention d'aller en appel de ce jugement.
"Le jugement qui a été rendu aujourd'hui ignore la réalité, à savoir que les consommateurs adultes et les gouvernements étaient au courant des risques associés à l'usage du tabac depuis des décennies", a fait valoir Imperial Tobacco Canada, par voie de communiqué, un argument que fait aussi valoir Rothmans-Benson & Hedges après avoir lu le jugement.
Quant à JTI-MacDonald, elle a souligné dans une déclaration que les produits qu'elle vend sont légaux au Canada et qu'elle "se conforme à toutes les lois et à tous les règlements canadiens et québécois".
Entre ces trois joueurs de l'industrie, le juge blâme plus sévèrement Imperial Tobacco, notant que "sa conduite coupable a surpassé celle des deux autres".
"Elle était le leader de l'industrie sur plusieurs fronts, incluant celui de cacher la vérité _ et d'induire en erreur _ le public".
C'est pourquoi l'entreprise doit payer une plus grande part des dommages.
De plus, le juge ordonne aux entreprises de débourser dans les 60 jours un premier versement de plus d'un milliard $, afin d'indemniser les victimes selon des paramètres déterminés par la Cour, que la cause soit portée en appel ou non.
Le premier recours collectif avait été intenté au nom des victimes du cancer du poumon, du larynx, de la gorge et d'emphysème causés par des produits de tabac et le second pour les personnes dépendantes de la nicotine contenue dans les cigarettes.
Les fumeurs alléguaient que les cigarettiers connaissaient _ ou auraient dû connaître _ l'effet nocif de leurs produits sur la santé. Et que malgré cela, ils les ont vendus, avec l'aide de techniques de marketing élaborées. Tout cela sans informer le public des risques, disent-ils.
Le juge Riordan donne en partie raison aux fumeurs. Il rejette certaines de leurs prétentions, par exemple celle à l'effet que les entreprises auraient mis sur pied une stratégie de marketing pour transmettre de fausses informations sur leurs produits.
Il statue toutefois que les cigarettiers ont commis plusieurs fautes, en omettant de ne pas causer un préjudice à autrui et en n'informant pas leurs clients des risques et des dangers de leurs produits.
"Le entreprises ont engrangé des milliards de dollars au détriment des poumons, des gorges et du bien-être général de leurs clients", peut-on lire dans la décision.
"Si l'on permet à ces entreprises de s'en tirer indemnes, quel serait alors le message aux autre entreprises qui se trouvent aujourd'hui ou se trouveront un jour dans un conflit moral similaire?", demande le juge.
Il les blâme aussi pour leur silence sur les dangers de la cigarette alors qu'ils sont demeurés volubiles sur "l'incertitude scientifique" de ces dangers.
Les compagnies de tabac avaient appelé en garantie le gouvernement fédéral, pour qu'il prenne sa part de responsabilité puisqu'il a autorisé la vente des cigarettes, prélevant même des taxes substantielles. Le gouvernement fédéral a toutefois réussi à faire rejeter les actions contre lui en 2012.
Le procès avait débuté le 12 mars 2012 mais les procédures avaient été intentées dès 1998.
Soixante-seize témoins ont été entendus et environ 43 000 documents ont été déposés, selon le Conseil, incluant des notes internes et confidentielles des entreprises visées et des études démontrant que les fumeurs ne connaissaient pas ou ne comprenaient pas les risques liés à la cigarette.