Il y a trop d’avocats au Québec, dit le Jeune Barreau
Martine Turenne
2016-02-16 15:00:00
« On entendait de plus en plus de plaintes. On voyait qu’il y avait un problème, dit Me Caroline Larouche, présidente du JBM. Ce sondage a confirmé nos appréhensions. »
Le portrait qui se dégage du «Rapport final sur la situation de l’emploi chez les jeunes avocats au Québec», réalisé conjointement avec le Jeune Barreau de Québec, ainsi que l’Association des jeunes barreaux des régions, est morose: davantage se disent insatisfaits.
La course aux stages est ardue, décrocher un emploi par la suite, encore plus. Le salaire a diminué. Il est encore moins élevé pour les jeunes femmes, qui forment 70% de la cohorte, et pour les jeunes issus de communautés culturelles. Le marché change, et l’offre ne répond plus à la demande.
Et surtout, il y a tout simplement trop d’avocats en Québec.
Mieux informer… pour décourager?
Est-ce l’effet Suits, voire Ruptures, et de toutes ces séries télé qui montrent la réalité des avocats sous un jour glamour et prospère? Le fait est que les écoles de droit débordent. « Les jeunes ont une image d’avocats stars. Or, ça n’est plus ça», dit Me Larouche.
Ils doivent donc être mieux informés sur la réalité de la situation de l’emploi, recommande le JBM. « Cela permettra aux futurs étudiants de faire un choix éclairé quant à leur cursus universitaire », est-il écrit.
« Le rapport confirme que la situation de l’emploi s’est détériorée. Mais les attentes des jeunes ne le reflètent pas », dit Me Larouche. « Avec le Jeune Barreau, on va dans les universités. Les étudiants ne connaissent pas ce qui se passe en dehors des grands bureaux. Un sur quatre parle de pratiquer le droit international. Or, seulement 1% va le faire…»
Ces jeunes ont leurs premières désillusions lorsque vient le temps du stage: environ 25 % de moins qu’il y a dix ans trouveront un stage avant la fin de leur formation professionnelle à l’École du Barreau du Québec.
Ces stages sont moins bien payés – le salaire hebdomadaire en dollars ajustés à l’inflation a diminué de 16%- quand il n’est pas gratuit, un phénomène en hausse. Le JBM demande d’ailleurs au Barreau du Québec de prendre position contre leur non-rémunération.
Enfin, à la fin de ce stage, il y a maintenant 54 % de plus d’avocats qui se retrouvent sans emploi, par rapport au sondage de 2004-2008.
Pas étonnant qu’il y a aujourd’hui 40% plus de répondants qui disent « non » lorsqu’on leur demande si leurs attentes étaient réalistes par rapport au marché du travail.
« Raisonner le contingentement »
Depuis 20 ans, le nombre d’avocats a augmenté de 98 %, contre 15% pour la population, peut-on lire dans l’étude. Bon an, mal an, quel que soit le nombre d’inscrits, environ 80% des étudiants réussissent leur examen de l’École du Barreau du Québec.
Le Québec compte 326 avocats pour 100 000 habitants, contre 339 en Ontario, et 275 en Alberta. La moyenne canadienne est de 252. « Il y a 396 avocats par 100 000 habitants aux États-Unis, dit Me Larouche. La situation est tellement problématique que certaines facultés de droit doivent fermer. »
Avant d’atteindre ce point de non-retour, le JBM demande que l’École du Barreau du Québec maintienne un équilibre de 275 avocats par 100 000 habitants. Pourquoi un tel ratio? « On s’est collé à l’Alberta. »
Cela signifie qu’au lieu du 80% de jeunes qui passent leur Barreau, il pourrait n’y en avoir que 60%, voire 50%. Par souci d’équité, le Jeune Barreau recommande que cette « phase raisonnée du contingentement » n’entre en vigueur que dans trois ans.
Innover dans l’enseignement
Il y a non seulement trop d’avocats, mais ceux qui en ont besoin font de moins en moins affaire avec eux. Les tribunaux de première instance ont vu leur clientèle fondre au cours des 30 dernières années : le nombre de dossiers inscrits est passé de 246 000 en 1980 à 118 890 en 2011.
Délais, perte de confiance généralisée envers le système, abus de procédures… « Il y a une inadéquation entre l’offre et la demande, dit Me Larouche. Le citoyen a d’autres attentes auxquelles son avocat ne répond pas. »
Pour y pallier, il faut enseigner le droit de manière différente, « afin de tenir compte des nouvelles réalités du marché ». « On est encore dans les cours magistraux, déplore Caroline Larouche. Les Facultés pourraient faire preuve de plus de créativité. »
Tous les participants à l’étude ont souligné que la médiation et la justice participative étaient les voies de l’avenir, et qu’elles devraient avoir une place importante dans les programmes universitaires.
« Les programmes d’enseignement doivent refléter la diversité des pratiques et le changement dans la demande juridique. Si l’avocat n’innove pas, le décrochage judiciaire continuera », peut-on lire dans l’étude.
Le jeune avocat, un futur entrepreneur
Un avocat sur trois travaille dans un bureau qui compte moins de dix avocats, voire un seul, lui-même. Le jeune avocat sera encore plus appelé à gérer lui-même son bureau, sa comptabilité et son marketing. « Il n’y a pas de cours de gestion et d’entrepreneuriat dans le cursus en droit, alors que c’est devenu nécessaire », dit Caroline Larouche.
Le Jeune Barreau de Montréal souhaite aussi une meilleure communication dans le monde juridique : ministre de la Justice, bâtonnier du Québec, doyens et directeur de l’École du Barreau du Québec doivent se rencontrer régulièrement afin de coordonner leurs stratégies. « Il ne semble pas y avoir d’échanges efficaces d’information quant à ce que chacun veut faire », lit-on dans l’étude.
Bref, il reste beaucoup de travail à faire, conclut Me Larouche. « Ça va chialer, c’est certain. »
Notamment avec la baisse du ratio d’avocats. « On souhaite que ça soit une prise de conscience collective. Il faut que tous les acteurs mettent la main à la pâte, qu’ils prennent leurs responsabilités et qu’ils appliquent les recommandations. »
Pour lire le rapport au complet, c’est ici.