Fraude alléguée d'un champion de l'action collective
Jean-francois Parent
2018-03-20 15:00:00
Ainsi en a décidé la Cour suprême du Canada, qui a rejeté la demande d'autorisation d'appel logée par le cabinet saskatchewanais.
Le Merchant Law Group est l'un des demandeurs les plus prolifiques en action collective au Québec. Il est à l'origine, à lui seul, de plus de 10 % des 596 demandes déposés en Cour supérieure dans les 15 dernières années.
En décembre dernier, une analyse de Droit-Inc révélait que le MLG avait déposé, au Québec, 62 demandes en autorisation depuis 1998.
L’homme d’affaires, ex-politicien et avocat de 5ème génération Tony Merchant, 74 ans, est l’associé-directeur et fondateur du cabinet, créé en 1986.
Ottawa demande 25 millions de dollars
Face au plus haut tribunal du pays, MLG demandait l'autorisation de faire invalider un jugement de la Cour d'appel de la Saskatchewan, rendu l'an dernier. La décision visée permettait à Justice Canada de poursuivre le cabinet en dommages et de lui réclamer le remboursement de 25 millions de dollars d'honoraires versés sur la foi de documents dont la probité a été mise en doute.
MLG, spécialisé dans les actions collectives, avait obtenu un règlement avoisinant les 2 milliards de dollars en 2005 dans l'affaire des victimes des pensionnats autochtones. Le différend entre MLG et la couronne canadienne dure depuis plus d'une décennie. Pour l'essentiel, les plaideurs du la Procureure générale du Canada, Karen Jones, Mitchell R. Taylor et Kelly Keenan, allèguent que l'entente de règlement d'honoraires intervenue entre la gouvernement canadien et MLG doit être annulée.
À l'époque du versement, en 2005, des inquiétudes avaient été émises par Ottawa quant au nombre réel d'heures travaillées par MLG pour sa représentation de quelque 5 000 demandeurs issus des pensionnats autochtones.
Un accord entre les deux parties stipulait cependant que jusqu'à 25 millions pouvait être versé à MLG sans vérification. Mais voilà que Ottawa découvre plus tard que MLG aurait gonflé ses factures, allègue le ministère canadien de la Justice dans une requête déposée en 2015.
Les allégations contenues dans la requête, dont Droit-Inc a obtenu copie, sont lapidaires : en soumettant des heures factices, en antidatant certains comptes d'honoraires, et en alléguant notamment des journées travaillées de plus de 24 heures dans certains cas, MLG s'est rendue coupable de fausse représentation et de fraude.
D'où la poursuite déposée par Justice Canada.
Des comptes gonflés
Un rapport juricomptable de Deloitte, commandé par Ottawa, a révélé en 2013 que MLG avait effectivement gonflé ses comptes d'honoraires, base de la nouvelle poursuite. « Une large proportion des heures facturées ont été gonflées, dupliquées ou encore simplement inventées », soutient Ottawa.
La poursuite a été rejetée en première instance, en 2015. La Cour du banc de la Reine de la Saskatchewan avait en effet estimé que peu importe si les comptes d'honoraires soumis étaient faussés, Ottawa s'était engagé à payer. D'autant que la preuve ne permettait pas de conclure à une perte de la part d'Ottawa, qui devait de toute façon verser des honoraires à MLG.
Cette décision a été invalidé par la Cour d'appel de la Saskatchewan l'an dernier. Elle infirme le jugement de première instance dans sa totalité. Même si le règlement de 25 millions $ a été autorisé « alors que le Canada savait que de fausses représentations étaient possibles (…), que les tribunaux, reconnaissant que des faux documents avaient été produits, ont néanmoins ordonné le versement des honoraires à trois reprises (..) parce que les 25 millions $ sont un montant juste et raisonnable », le fait que la manipulation comptable ait été découverte après le versement des honoraires justifie l'autorisation d'intenter la poursuite.
La Cour d'appel autorisait donc Ottawa à intenter son recours contre MLG.
C'est cet appel, rendu en août dernier, que le MLG a tenté de faire invalider par la Cour suprême, tentative qui vient d'être rejetée.
Le procureur de MLG, Gordon J. Kuski, de McDougall Gauley, à Saskatoon, n'a pu être joint par Droit-Inc. Cependant, dans la presse locale, il soutient que les erreurs imputées à MLG sont en fait le résultat d'une conversion des systèmes comptables. Il soutient que les actions de Justice Canada relèvent de l' « abus de procédures ».
Un cabinet très critiqué
Ce n'est pas la première fois que MLG essuie des remontrances de la part des magistrats, dont certains ont déploré les pratiques du cabinet.
L'automne dernier, le juge Louis Gouin, de la Cour supérieure réduisait de moitié les honoraires réclamés par MLG pour son travail dans l'action Major c. Zimmer.
Selon le juge Gouin, le « Tribunal a clairement exprimé et manifesté, tout au long de l’audition de la demande, son insatisfaction quant à la façon dont le Cabinet Merchant a rempli, jusqu’à date, ses obligations et responsabilités ». Les questions du Tribunal à cet égard ont été « éludées ou sont demeurées tout simplement sans réponse ».
Le juge Gouin ajoute: « Le Cabinet Merchant n’est nullement proactif dans sa gestion (...), ne réagissant pas lorsque c’est le temps, ou le faisant lorsque forcé de le faire, ou encore à la dernière minute ou trop tard et, en plus, pour des motifs ambigus ou sans conviction, semblant plus soucieux de son propre intérêt que de celui des membres du Groupe (…) ».
Le tribunal enlevait ainsi au MLG le dossier Major c. Zimmer, estimant que « ceci ne peut pas et ne doit pas durer plus longtemps ». Il est « plus qu’approprié » de retirer la gestion du Cabinet, « le lien de confiance étant définitivement rompu », écrit le juge.
« Conduite préoccupante »
En 2008, en Colombie-Britannique, la Cour d'appel condamnait le Merchant Law Group à rembourser plus de 75 000 dollars à un de ses anciens clients.
Dans sa motivation, la Cour d'appel estime que « tout professionnel du droit trouverait que la conduite (du Merchant Law Group) dans cette affaire est des plus préoccupante ». Le cabinet a ainsi perçu des honoraires substantiels après avoir dupé son client, estime la Cour d’appel, et ce, sans égard au conflit d'intérêt dans lequel il se trouvait.
Un reportage du magazine Law Times relatait des mécontentements similaires exprimé dans trois décisions ontariennes rendues en 2015.
Dans Bancroft-Snell c. Visa Canada Corporation, le juge de la Cour supérieure Paul Perell évoquait la possibilité d'une convention d'honoraire « illégale » établie par MLG pour justifier le refus de la cour de l'approuver.
Dans McCallum-Boxe c. Sony, c'est au tour du juge Edward Belobaba de qualifier les actions du cabinet comme étant « l'antithèse » de ce que représenterait le meilleur intérêt de ses clients. Puis, le comportement de MLG dans Kutlu c. Laboratorios Leon Farma S.A., est considéré par le juge Perell, encore lui, comme « offensant ».
Un habitué des litiges
Une recherche dans les registres publics montrent que Tony Merchant et son cabinet ont souvent maille à partir avec les autorités.
Ainsi, depuis le début des années 2000, Tony Merchant a bataillé près d'une dizaine de fois contre le barreau saskatchewanais, qui l'a souvent cité à comparaître pour des comportements dérogatoires à l'honneur.
Il a écopé de cinq sanctions disciplinaires imposé par le barreau de la Saskatchewan.
L'associé-directeur du Merchant Law Group est également titulaire de comptes bancaires dans les paradis fiscaux. La CBC, membre du Consortium journalistique international qui a dévoilé l'identité de 450 Canadiens dont les noms figurent dans les Panama Papers, a ainsi révélé en 2013 que Tony Merchant avait déposé 1,7 million de dollars dans des fiducies anonymes dans les Îles Cook et aux Bermudes.
Sa femme, l'ex-sénatrice libérale Pana Merchant, est elle aussi visée par des recours. En novembre dernier, l'Agence du revenu du Canada déposait une requête pour lui réclamer quelque 350 000 en impôts non payés. L'ARC conteste également des déductions de 1,3 million soumises pour des pertes encourues par l'ex-sénatrice, qui a pris sa retraite au printemps 2017.
L'une des fiducies de Tony Merchant inscrites dans les Panama Papers a été établie au nom de Pana Merchant, toujours selon la CBC, qui cite les Panama Papers.
Par ailleurs, la CBC dit avoir retracé une douzaine de litiges opposant Tony Merchant aux autorités fiscales fédérales. Dans plusieurs cas, le fisc mettait en doute la légitimité de certaines déductions fiscales, notamment pour une Jaguar ou l'achat de billets à des galas, faites par Tony Merchant dans l'exercice de ses fonctions.