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Le Barreau doit faire marche arrière

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Mathieu Hébert

2018-04-23 14:15:00

Plusieurs avocats (*) remettent en cause la poursuite entamée par les barreaux contre le gouvernement...
Mathieu Hébert, avocat, conseiller en gestion immobilière
Mathieu Hébert, avocat, conseiller en gestion immobilière
Ils ont signé cette tribune qui a été publiée dans Le Devoir.

La supériorité législative d’une norme constitutionnelle n’emporte pas nécessairement sa supériorité morale. C’est précisément ce qu’oublie le Barreau du Québec en s’appuyant sur une norme aux relents coloniaux pour défendre la bilinguisation institutionnelle du processus de rédaction législative à l’Assemblée nationale du Québec.

En s’appuyant sur l’article 133 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique qui sert de charpente constitutionnelle au Canada, le Barreau fait un geste politique dont l’opportunité est hautement discutable, alors que sa mission première demeure la protection du public. En ayant recours à des fonds fédéraux visant à défendre les minorités linguistiques pour promouvoir la bilinguisation institutionnelle au Québec, cela renforce le sentiment de politisation de l’enjeu. En conséquence, nous croyons que le Barreau devrait s’abstenir d’utiliser les tribunaux pour faire de l’activisme politique.

La minorité anglophone du Québec a des droits linguistiques qui sont garantis constitutionnellement et c’est tant mieux. L’objet de cette lettre n’est pas de remettre en question ces droits, mais plutôt de dénoncer le fait qu’un organe qui a pour mission de défendre le public fasse de l’activisme politique par l’entremise d’un recours juridique. Le Barreau ne peut ignorer la nature hautement politique et polémique de la norme sur laquelle il s’appuie. Tenter de se dédouaner avec un discours purement légaliste ou plaider l’ignorance n’est pas suffisant.

Pour bien comprendre ce dont il retourne, il faut savoir que, lors de la fondation du Canada moderne, il était explicite que seule la minorité linguistique anglaise du Québec méritait une protection constitutionnelle forçant l’adoption des lois en anglais et en français. L’article 133 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique est éloquent par son silence qui évite de conférer des protections équivalentes aux minorités francophones hors Québec. Cette absence de protections s’est perpétuée lors de la croissance territoriale du Canada, à l’exception notable du Manitoba qui, lorsqu’il s’est joint à la fédération en 1870, prévoyait une obligation de bilinguisme législatif.

Or, l’obligation de bilinguisme du Manitoba fut rapidement ignorée face au phénomène de minorisation linguistique des francophones, puis réinstaurée près d’un siècle plus tard, en 1985, à la suite d’un jugement de la Cour Suprême. C’est précisément ce jugement sur lequel devra s’appuyer le Barreau pour promouvoir le bilinguisme institutionnel dans la rédaction législative au Québec. Il est important de se rappeler que l’article 133 de la Constitution est celui qui a servi à faire invalider les articles de la loi 101 qui visaient à faire des lois adoptées en français les seules lois ayant une valeur légale au Québec.
Il est aussi à noter qu’en 2015 la Cour suprême du Canada a reconnu qu’aucune obligation constitutionnelle n’obligeait l’Alberta et la Saskatchewan à adopter leurs lois dans une autre langue que l’anglais.

Une norme aux relents coloniaux

Il y a certes eu des progrès en matière de protection des droits linguistiques des minorités francophones au niveau provincial. Néanmoins, hormis l’exception du Nouveau-Brunswick qui a vu ses protections enchâssées dans la Constitution lors du rapatriement de cette dernière et hormis celle du Manitoba, il est faux de prétendre que toutes les minorités linguistiques de langues officielles sont constitutionnellement égales au Canada.

Cet état de fait est le témoignage que l’article 133 de notre Constitution est une norme aux relents coloniaux hautement polémiques. Cette dimension politique de la norme sur laquelle s’appuie le Barreau ne peut être ignorée dans les facteurs qui ont mené à une prise de décision que l’on peut qualifier d’activisme juridique.

Autrement, bien que la question soit intéressante d’un point de vue juridique, le Barreau a jusqu’à présent échoué à démontrer comment cette imposante procédure produirait des retombées en matière de protection du public. Un anecdotique écart interprétatif en matière d’utilisation du cellulaire au volant ne semble pas mettre en danger le public et justifier d’entamer une procédure massue visant à déclarer inconstitutionnels, inopérants, nuls et sans effet des pans entiers du corpus législatif québécois.

Enfin, il existe des programmes permettant d’aider les groupes de défense des droits des minorités linguistiques, et c’est sain dans une société démocratique comme la nôtre.

Cela dit, nous nous expliquons mal comment le Barreau de Montréal a pu se qualifier pour obtenir 125 000 $ du Programme d’appui aux droits linguistiques fédéral alors que la défense des minorités linguistiques ne fait pas partie de sa mission première. Ces sommes devraient être utilisées à bon escient par un groupe qui a pour mission la défense des droits des minorités linguistiques et non par un organisme de protection du public comme le Barreau.

Pour tout ce qui précède, nous espérons que le Barreau reviendra à sa mission première de protection du public et laissera à d’autres le soin de mener les combats politiques de défense des droits des minorités linguistiques.

(*) La lettre est cosignée par Me Maxime Gauthier, Me Jean-François Trudelle, Me Guillaume Rousseau, Me Ariel Thibault, Me Julie Tremblay, Me Maxime Laflamme, Me Stéphane Brassard, Me Félix Martineau, Me Damien Pellerin, Me Hugo De Koulen, Me Frédérique Saint-Jean, Me Alexandre Thériault-Marois, Me Dominique Goudreault, Me Maxime Laporte, Me Nicolas Cléroux, Me François Alexandre Guay, Me François Côté, Me Nicolas Bucci, Me Valérie Costanzo, Me Patrice Labonté, Me Stéphane Lapointe, Me Denis Royal.

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