Ils s'engagent pour la santé mentale des juristes
Diane Poupeau
2019-04-25 14:40:00
La question est d'importance. À tel point que le Barreau du Québec a lancé l'an passé une étude sur les déterminants de la détresse psychologique et du bien-être dans la profession.
Des étudiants de l'Université McGill n'ont pas attendu que le Barreau prenne ce sujet en main pour s'engager. En 2016, avec leur équipe, Shannon Snow et John George Boynton Payne ont créé Ju(ri)stes en santé (Healthy legal minds) dans le but de promouvoir un changement de culture vers une meilleure santé mentale au sein de la Faculté de droit de l'Université.
« Notre travail a été inspiré par notre environnement immédiat, a expliqué Shannon Snow à Droit-Inc. Quand j'étais en première année, il y avait un comité de santé mentale de l'Association des étudiants. Mais nous avons constaté que les investissements pour le bien-être des étudiants étaient faits sans preuve des causes de leur mal-être ».
Le collectif entend donc proposer des solutions basées sur des données factuelles. Pour ce faire, il lance une étude scientifique sur les causes de la détresse psychologique à la Faculté. Cette étude, la première du genre au Québec, a été financée par l’Association des étudiant.e.s en droit.
Un problème bien plus étendu
L'étude est menée début 2017 avec des psychologues. La moitié des étudiants y prennent part et ses résultats sont parlants.
Deux étudiants sur trois ont ainsi indiqué connaître des problèmes de santé mentale, problèmes qu'ils n'avaient pas avant de commencer leurs études. La moitié d'entre eux affirment que leur expérience en droit à McGill a un impact négatif sur leur bien-être.
Pire, près de 20 % des répondants ont admis qu'ils avaient eu des pensées suicidaires au moins une fois au cours des trois mois précédant l'étude.
Quatre facteurs pourraient expliquer que les étudiants en droit souffrent d'une santé mentale précaire : la culture de la performance, une charge de travail inégale couplée à un manque de clarté quant aux attentes des enseignants, la discrimination et l'intimidation, ainsi qu'un accès restreint aux services de santé mentale.
« J'imagine que la situation de McGill n'est pas exceptionnelle », commente Shannon Snow. Selon elle d'ailleurs, tous les membres de la communauté juridique pourraient être concernés.
La crainte de la stigmatisation
À cette dernière cause s'ajoute la crainte d'être stigmatisé. « Parfois, les gens ont conscience d'avoir un problème, mais ils renoncent à demander de l'aide par crainte de la stigmatisation », explique Shannon Snow.
L'initiative de Shannon Snow et John George Boynton Payne porte ses fruits. « Les membres de l'administration de la Faculté et les associations étudiantes utilisent ce rapport pour prendre des décisions financières sur le bien-être ».
Depuis, un poste de conseiller en bien-être intégré à la Faculté a été créé. Un programme de mentorat a également été mis en place cet hiver.
Parallèlement, Ju(ri)ste en santé a lancé l'année dernière une campagne de communication autour de la santé mentale. Les photos représentent des mains de juristes, « à cause de la stigmatisation » explique Shannon Snow, tenant un objet qui leur permet de préserver leur santé mentale.
« Nous pensons maintenant à une autre campagne qui parlerait plus ouvertement des besoins des juristes et des étudiants dans ce domaine », a indiqué Shannon Snow.
« Les cabinets ont un rôle majeur à jouer »
Le message porté par ces étudiants se diffuse. Au début du mois d'avril, Shannon Snow et John George Boynton Payne ont participé à la première conférence organisée par l'Association du Barreau canadien autour de la santé mentale.
« Nous avons utilisé cet événement pour voir quelles parties de notre travail reçoivent le plus d'attention. Par exemple, il y a beaucoup de demandes pour avoir des données locales sur la santé mentale, que ce soit dans les facs, les barreaux ou les cabinets », explique Shannon Snow.
Mais l'étudiante en appelle à plus d'implication de l'ensemble de la communauté. « On ne peut faire ça seuls, les institutions ont un rôle majeur à jouer », souligne-t-elle.
« Les barreaux, avec leur visibilité et leur rapport avec leurs membres, seraient bien avisés d'investir dans le bien-être des étudiants, qui sont de futurs avocats. Il faut aussi que les employeurs s'intéressent à ce qui se passe dans les facs de droit, les cabinets ont un rôle majeur à jouer ».