Un pédophile repenti peut pratiquer le droit, dit un tribunal
Radio-canada Et Cbc
2024-11-19 10:15:04
Le Barreau tente d'empêcher un avocat de pratiquer le droit parce qu'il a admis avoir agressé sexuellement trois enfants il y a 15 ans…
Un avocat ontarien qui attend depuis cinq ans l'autorisation du Barreau de lui accorder un permis de pratique devra prendre son mal en patience malgré une nouvelle victoire devant les tribunaux. La Cour divisionnaire de l'Ontario a statué qu'il avait le droit de pratiquer le droit, même s'il a admis avoir agressé des mineurs en 2009. Or, le Barreau a déjà annoncé son intention de contester la décision devant le plus haut tribunal de la province.
L'avocat AA, dont l'identité est protégée par les tribunaux, a volontiers admis qu'il avait agressé à l'étranger trois mineurs, dont son propre enfant, sur une période de deux mois.
Le sexe des enfants n'est pas mentionné dans le jugement de la Cour divisionnaire daté du 29 octobre 2024 et dont Radio-Canada a obtenu copie.
Il y est toutefois écrit que les attouchements se sont faits au travers de leurs vêtements. C'est le père de l'un des deux enfants qui l'avait confronté, ébruitant ainsi l'affaire.
AA n'a toutefois jamais été accusé au criminel, à l'étranger comme au Canada. On ignore le pays dans lequel les agressions ont été commises.
Il était par la suite retourné au Canada, où il a reçu un « traitement thérapeutique » non identifié et où il a suivi un programme de réinsertion sociale.
AA souhaite devenir avocat, mais il se frappe contre un mur au Barreau ontarien depuis 2019.
Il a remporté trois victoires jusqu'à présent, dont deux devant des tribunaux administratifs internes de l'ordre professionnel des avocats et parajuristes ontariens.
Deux décisions antérieures favorables
Deux tribunaux administratifs avaient conclu que le comportement d'AA était « grave », mais qu'il avait rétabli sa réputation compte tenu de ses remords et de ses efforts de réinsertion, de l'absence de tout autre incident et du temps écoulé depuis 2009.
Des témoins indépendants avaient mentionné, lors des audiences, qu'AA était « une bonne personne morale », qu'il était rongé par les regrets et qu'il poursuivait toujours ses traitements cliniques et des thérapies de groupe.
Les deux tribunaux avaient donc décidé qu'AA pouvait obtenir un permis, mais à la condition de ne pas se trouver sans surveillance en présence de mineurs.
Le Barreau avait contesté devant la Cour divisionnaire la dernière décision du tribunal d'appel administratif, qui avait confirmé le premier jugement. L'audience avait eu lieu à la fin août à Toronto.
Le Barreau soutenait que l'instance d'appel avait commis une erreur en omettant de bien évaluer l'intérêt public et en particulier celui des enfants, en qualifiant la personnalité d'AA de « bonne personne morale » et en imposant « une condition inexécutable ».
Décision de la Cour divisionnaire
Dans son jugement, la Cour divisionnaire de l'Ontario écrit que la décision du tribunal administratif d'appel était « raisonnable » et que le risque au sujet des mineurs a bel et bien été pris en compte dans l'analyse.
Elle reconnaît que les enfants figurent au nombre des personnes les plus vulnérables de la société et que « leur protection doit être d'une importance primordiale ».
La Cour mentionne néanmoins que « la condition du premier tribunal administratif a été imposée en réponse à l’engagement volontaire d'AA de ne pas être en présence de mineurs sans surveillance », un engagement que l'avocat avait proposé à la Société d’aide à l’enfance et au Barreau.
La Cour reprend le compte rendu du tribunal d'appel administratif. « La preuve est claire : que ce soit par le biais d’un engagement formel ou non, AA a été disposé pendant de nombreuses années à éviter tout contact non surveillé avec des enfants ».
AA a donc respecté sa promesse et démontré la volonté et la capacité de se conformer à l'obligation de ne pas approcher des enfants sans surveillance.
Les deux instances administratives avaient en outre mentionné qu'AA pouvait être qualifié comme étant une personne moralement bonne à cause de son honnêteté et de la transparence dont il fait preuve.
La Cour divisionnaire ajoute que les avocats ne sont pas des médecins, qu'ils ont des relations différentes avec leurs clients et que le risque d'agression sexuelle est plus élevé dans un cabinet médical.
Le Barreau ne peut donc parler, selon elle, de « chaperon » pour soumettre AA à une surveillance comme on le ferait pour un médecin vis-à-vis d'un patient vulnérable en lui assignant une infirmière à ses côtés.
La Cour rejette par ailleurs la requête du Barreau de priver AA de son anonymat. Elle écrit qu'elle a choisi de ne pas interférer à ce sujet dans les décisions des deux tribunaux administratifs.
Le premier tribunal avait statué que l'anonymat d'AA permettrait de préserver les intérêts privés de ses enfants.
Le Barreau arguait toutefois que l'absence de transparence entourant l'identité de l'avocat empêchait de protéger l'intérêt du public.
Aucune date d'audience n'a encore été fixée pour entendre l'appel du Barreau, mais l'ordre précise dans un courriel qu'il compte aussi demander à la Cour d'appel de suspendre le jugement de la Cour divisionnaire en attendant que la cause soit à nouveau entendue.
AA n'a donc toujours pas l'autorisation de pratiquer le droit pour l'instant.