Embauchez-moi, je promets de ne pas travailler trop dur
Ian Hu
2019-08-07 14:15:00
Je fais plus d’argent que je ne l’aurais jamais imaginé, j’ai une bonne réputation, une carrière qui aurait fait la fierté de mes parents…
Mais voilà que je suis là à rédiger un mémoire dont je me fiche pas mal, pour un client qui peut me jeter comme un vieux mouchoir.
Est-ce là la rançon du succès ?
Laissez-moi vous parler de la façon dont je pratique le droit.
Je délègue. J’assigne des tâches à mes adjoints dès le début d’un dossier, tâches que je détaille avec précision.
Je paie bien mon monde, et je les respecte.
J’accomplis mes tâches dans les délais, et quand je n’y arrive pas, c’est surtout parce que les échéanciers que je m’impose sont bien plus serrés que ceux que mes dossiers exigent.
Je ne travaille pas les fins de semaine, je n’en ai pas besoin.
Si je dois rater un événement important dans ma vie personnelle, c’est parce que ma journée a été un échec : je gère mon temps, plutôt que de laisser mes dossiers le faire.
Je fais suffisamment de recherches pour monter un dossier, pas plus, pas moins. Pas question de passer des heures sans fin à débusquer tous les petits détails d’une cause, parce que LE détail en question n’apporte rien à ma plaidoirie, 99 % du temps.
Ce sont les faits qui permettent de gagner une cause. Pas le droit.
Je dis ça, mais si voulez que je passe des heures et des heures à trimer pour vous, je vais le faire. Mais vous allez me payer en temps double, car ces heures me font souffrir.
J’utilise CanLII parce que c’est gratuit et que ça marche bien. Je n’ai jamais perdu une procédure à cause d’une recherche mal fagotée. Je perds rarement d’ailleurs, parce que je n’aime pas m’engager dans des combats perdus d’avance.
Et je n’aurai jamais de problème à travailler avec des clients qui rejettent mes conseils, parce que si vous n’avez pas le bon sens de les suivre, eh bien vous ne serez pas mon client.
Si vous m’appelez en jurant ou que vous criez contre mes adjoints, je vais vous raccrocher au nez. Dans le contrat que nous avons signé, le besoin d’agir avec respect y est clairement stipulé.
Je ne répondrai pas à vos courriels paniqués, envoyés la nuit, à quelques heures du procès. Je dors. Votre procès, voilà des mois que je le prépare, et la nuit avant le jour J j’ai besoin de dormir pour être en forme.
Pendant les auditions sur la preuve, je n’ai pas plus répondu à vos messages paniqués. Nous avons épluché le dossier dans les jours précédents, quand nous étions tous les deux éveillés, les sens aux aguets.
Nous étions prêts alors, nous le sommes toujours avant de passer devant le juge. Nous perdrons peut-être, mais nous avons fait ce que doit.
Vous allez honorer ma facture, parce qu’elle est raisonnable.
Je ne coûte pas très cher parce que je suis frugal. Je suis mes finances de près, mes costumes sont modestes, ma demeure et ma voiture aussi, ma montre me vient de mon père et j’apporte mon lunch au bureau.
Vous n’aurez pas de mauvaises surprises en voyant mes honoraires.
Vous allez aussi remarquer que, lors de notre première rencontre, je m’habille simplement. J’ai déjà eu le costard à 1000 dollars, la montre de prix et les souliers faits sur mesure. Ça ne m’a pas aidé avec les clients.
Ce qui compte, aie-je compris, c’est ma capacité d’écoute. Pas que je sois conforme à l’image que vous avez d’un avocat. Alors, racontez-moi ce qui vous est arrivé. Qu’est-ce qui vous inquiète le plus.
C’est avec ça que je vais travailler, quoi que vous pensiez de mes vêtements.
Alors, allez-y, faites appel à mes services.
Je ne travaillerai pas trop fort pour vous.
Car si je dois le faire, c’est parce que j’ai fait quelque chose qu’il ne fallait pas.
''Cette chronique, d’abord publiée en anglais sur Slaw.ca, est traduite et reprise ici avec la permission de l’auteur.''