Charest nuit-il à McCarthy?

Quelques mots d’abord sur l’exercice. Droit-inc a invité 22 communicateurs d’expérience à répondre à la question toute simple énoncée en début d'article. Trois ont accepté d'emblée, sept n’ont pas daigné répondre au courriel et 12 ont décliné poliment cet exercice, la directrice d’une grosse firme de relations publiques l’a même fait en moins d’une minute!

C’est une démonstration que le brouillard éthique qui entoure l’ancien premier ministre est un sujet délicat dans le milieu d’affaires montréalais qui est tissé très serré. Et c’est aussi l’illustration de la résilience et de la portée de la réputation construite par Jean Charest qui, même s’il est l’objet d’une enquête criminelle de l’UPAC depuis 2014, connaît un parcours professionnel exceptionnel.

« D’entrée de jeu, il faut préciser que les individus ont plusieurs réputations selon le milieu et le contexte. Il est clair que face à la population générale, la réputation de Monsieur Charest, et par association celle de son cabinet a été malmenée », note Stéphane Prud’homme qui dirige l'Institut de la Crédibilité, une organisation dédiée à l’étude et l’évaluation de la crédibilité des entreprises et de leurs dirigeants.

Les gens d’affaires sont moins regardants

« Mais il est aussi clair qu’au sein de la communauté d’affaires la réputation de Jean Charest est excellente. Les faits parlent d’eux-mêmes. Il continue de connaître beaucoup de succès professionnel. Son poste de premier ministre lui a permis de se construire une réputation mondiale auprès de gens d’affaires et le succès qu’il connaît démontre que sa réputation, et celle de sa firme, n’ont pas été altérées par l’enquête de l’UPAC auprès de ce groupe », ajoute M. Prud’homme, qui enseigne également dans le cadre du programme de relations publiques de l’Université de Montréal.

Cette dissonance entre la perception du grand public et celle des gens d’affaires ne surprend pas. L’édition 2020 du Baromètre de la confiance de la multinationale de la communication Edelman démontre que le lien de confiance entre la population et le milieu des affaires et de la politique se dégrade.

L’enquête indique que globalement 47 % de la population n’a pas confiance à leur gouvernement, un pourcentage qui baisse un peu à 45 % pour les entreprises et 66 % sont d’avis que leur gouvernement ne peut relever efficacement les défis, comme la crise climatique et l’inéquité économique. Jean Charest qui, dans l’opinion publique chevauche ces deux milieux, est donc particulièrement exposé à la critique populaire.


Gestion de risque

« Dans cette question, il y a aussi deux choses à considérer. D’abord l’enquête Mâchurer de l’UPAC entretient la réputation un peu sulfureuse de Monsieur Charest. Mais, cette réputation est collée davantage à son statut de premier ministre qu'à celui de conseiller stratégique chez McCarthy Tétrault », indique Olivier Turbide, professeur au département de communication sociale et publique de l’UQAM.

« J’ai consulté la base de données Eureka et du 10 janvier 2013, date de son entrée au cabinet d'avocats, à aujourd’hui Jean Charest n’est associé à McCarthy Tétrault que dans 2,1 % des articles recensés. On peut donc dire que dans la population, on ne fait pas de lien entre lui et la firme. D’ailleurs, dans son champ de compétence, les fusions et acquisitions, l’accompagnement et le développement international, il demeure très légitime. Après tout, on ne lui demande pas de donner des conseils en éthique. »

« McCarthy Tétrault fait un calcul coût bénéfice, entre le risque de réputation et ce qu’il amène, et c’est évident que les bénéfices qu’en tire le cabinet sont plus importants que le risque. Sinon, il ne serait plus à l’embauche de cette firme », ajoute M. Turbide, qui est également membre du Groupe de recherche en communication politique du département.

Rémy Trudel, qui a occupé plusieurs postes ministériels sous les administrations péquistes et qui enseigne aujourd’hui, en outre, la communication publique à l’ENAP est quant à lui catégorique: « Jean Charest ne nuit absolument pas à la réputation de McCarthy Tétrault ».

« Le cabinet n’a pas embauché l’ancien chef du Parti libéral du Québec. Il a embauché un ancien premier ministre qui a une connaissance unique de l’administration publique et de tous ses rouages. Il n’y a que deux personnes au Québec qui ont un tel bagage et une telle expertise; Jean Charest et Lucien Bouchard. »

« Et les clients de ces grands cabinets sont avisés. Il ne sont pas influencés par le monde médiatique et la rumeur dans leur prise de décision. Ils prennent une décision sur le fond d’un dossier. Et dans toute cette histoire, personne n’a remis en question la compétence en administration publique de Jean Charest. Elle est impeccable et c’est sur ce fond de commerce que mise McCarthy Tétrault. »