Entrevues

La loi contre les poursuites-bâillons sera-t-elle utile?

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André Giroux

2009-06-15 14:15:00

Le procureur d’Écosociété et des auteurs de Noir Canada, Me Normand Tamaro, a bien l’intention de tester la nouvelle loi contre les poursuites-bâillons adoptée début juin par l’Assemblée nationale. Mais l’avocat demeure sceptique.
Rappelons-le, l’entreprise minière canadienne Barrick Gold poursuit en diffamation les clients de Me Tamaro et leur réclame six millions de dollars. La ''Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l'utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d'expression et la participation des citoyens aux débats publics'' modifiera-t-elle le rapport de force entre les parties?

« Certains outils juridiques existent déjà, rappelle Me Tamaro, dont la requête en irrecevabilité. » Cette disposition permet au défendeur de réclamer le rejet d’une demande qui « n’est pas fondée en droit, supposé même que les faits allégués soient vrais. » (art. 165 C.p.c.)

« Le degré de preuve exigé demeure toutefois très grand puisque le recours aux tribunaux constitue un droit fondamental », souligne l’avocat.

La nouvelle loi ajoute l’article 54.2 C.p.c., selon lequel « Si une partie établit sommairement que la demande en justice ou l'acte de procédure peut constituer un abus, il revient à la partie qui l'introduit de démontrer que son geste n'est pas exercé de manière excessive ou déraisonnable et se justifie en droit. »

Ce renversement du fardeau de preuve pourrait être utile, mais reste à voir s’il sera facile à obtenir.

« Le demandeur conteste des pans complets du livre, précise Me Tamaro. Il a présenté 449 pièces au dossier dont certaines comptent plus de 100 pages. C’est un dossier fort complexe. »

Dorénavant, en cas d’abus « ou lorsqu’il paraît y avoir un abus », le tribunal peut notamment exiger au demandeur de verser une provision pour frais au défendeur.

« C’est là une disposition salutaire, estime l’avocat, mais elle ne sera réaliste que pour des dossiers bien ciblés. Dans celui dont je m’occupe, le demandeur remet notamment en cause la méthodologie des auteurs et leur reproche de ne pas être allés vérifier sur place leurs allégations. Pour bien répondre aux arguments de Barrick, il me faudrait faire témoigner des africains qui ont signé des affidavits mentionnant la disparition de mineurs enterrés vifs. Or, la provision pour frais couvre généralement les honoraires d’avocats, pas les dépenses liées à la déposition de témoins. »

Selon l’avocat, une véritable protection de la liberté d’expression exigerait de modifier non seulement la procédure, mais aussi le droit substantif.

« La réputation constitue probablement le droit le plus fondamental pour l’individu, reconnaît l’avocat, mais la liberté d’expression est majeure en démocratie. Le droit devrait clarifier qu’en certaines circonstances, le premier devrait céder le pas au second. Dans le cas présent, il ne s’agit pas d’une simple « chicane » entre voisins, mais du droit des auteurs à rendre compte d’allégations provenant de diverses sources à l’encontre d’entreprises canadiennes présentes en Afrique. Les auteurs n’affirment pas détenir la vérité, mais demandent la création d’une commission d’enquête pour faire la lumière dans cette affaire. Au Congo, depuis 1996, entre 3 et 9 millions de personnes liées aux mines seraient décédées. C’est là que l’on retrouve la région minière la plus riche de la planète. »
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