La police peut-elle écouter une conversation entre deux avocats?
Jean-Francois Parent
2020-08-27 15:00:00
C’est ainsi que le juge Guy Cournoyer, de la Cour supérieure, amorce sa décision rendue le 29 mai dernier permettant au Service de police de la Ville de Montréal d’écouter l’enregistrement d’une conversation tenue entre deux avocats.
Mais voilà, la cause ''SPVM c. Me A. et Me B.'' illustre qu’il peut y avoir des limites quant aux propos qu’un avocat tient à un autre lors d’une communication privilégiée. Me A et Me B, qui représentent des parties à un litige civil, discutent ainsi au téléphone concernant le dossier les opposants.
Plainte criminelle
L’un des deux avocats a déposé plainte à la police, alléguant que l’autre avocat a commis un crime en le menaçant pendant la conversation.
La conversation avait été enregistrée...
S’il arrive parfois que les « menaces et l’intimidation (…) peuvent être utilisées » pour favoriser un règlement, les conversations entre avocats ne bénéficient pas d’un privilège absolu.
En effet, observe le juge Cournoyer, « l’intensité de la protection accordée » aux communications entre avocats « n’empêche pas l’un des avocats de porter plainte à la police et à celle-ci de soumettre le dossier pour évaluation à un poursuivant public, y compris l’enregistrement de cette conversation », peut-on lire dans la décision.
Il existe une bonne raison pour garder le secret entourant les conversations entre avocats en général et les négociations de règlement en particulier : « Imaginez qu’un avocat conteste un règlement présenté à un juge en invoquant tout ce qui s’est dit pendant les négociations ; personne ne voudrait plus négocier », explique Me Stephen Angers, criminaliste du cabinet éponyme et l’un des procureurs au dossier.
Et c’est pour en respecter la confidentialité—imposée par la Cour pour ne pas nuire à l’enquête policière et respecter les autres privilèges protégés—que Me Angers ne divulgue pas quelle partie il représente. Comptant plus de 25 ans d’expérience, Me Angers concède toutefois que ce genre de cause est extrêmement rare. « C’est certain que c’est peu courant ; les conversations entre avocats, c’est un sanctuaire », rappelle-t-il.
Me Angers fait équipe avec Me Christian Desrosiers, de Desrosiers Joncas Nouraie Massicotte pour représenter l’une des parties intimées, tandis que Me Philippe Knerr, de Shadley Bien-Aimé, représente l’autre.
Des secrets qu’on voudrait bien garder
« Le secret professionnel est enchâssé dans la Constitution, il est donc bien protégé, mais les privilèges relatifs au litige et au règlement, eux, peuvent être mis de côté », explique Me Raymond Doray, de Lavery, spécialiste des questions relevant du secret professionnel. Il évoque les cas où des avocats ou des notaires sont victimes ou commettent des crimes. Ou lorsqu’un règlement est conclu, ce qui peut jouer en faveur de la levée du privilège relatif au règlement.
C’est d’ailleurs ce dont convient la Cour supérieure : s’appuyant sur l’arrêt Babos de la Cour suprême, qui dispose que le privilège ne vaut pas si on veut prouver qu’une des parties a lancé des menaces, le juge Cournoyer estime que, en matière de privilège relatif au règlement, « toute conduite criminelle au cours de (de telles discussions) s’avère incompatible avec la finalité de ces discussions ».
Les extraits de la conversation entre Me A. et Me B. ont permis aux policiers et au Directeur des poursuites criminelles et pénales de conclure qu’il y avait matière à enquête. Mais pour déterminer qu’il y a bel et bien eu commission d’un crime, les policiers et la poursuite veulent entendre toute la conversation afin d’en extraire le contexte où les menaces ont été faites.
D’où la requête de type ''Lavallée'' déposée par le SPVM et le DPCP. Le ministère public est représenté par Mes Robert Benoit et Sarah Sylvain-Lapointe.
L’exception de crime
Requête à laquelle le juge Cournoyer répond que, de « de l’avis du Tribunal, il existe donc (…) une preuve (…) ''prima facie'' permettant l’application de l’exception de crime » au privilège invoqué par le défendeur.
Le juge Cournoyer ajoute que le droit de porter une plainte criminelle, autant que l’intérêt pour la conduite d’une enquête criminelle, l’emportent. Et permet l’écoute de l’enregistrement complet, puisque l’exception de crime s’applique. Sans compter qu’il n’existe « aucune autre mesure raisonnable » qui permette d’obtenir la preuve, d’autant que « seul le contexte de la conversation permet d’en saisir (…) la portée ».
La décision fait l’objet d’une demande d’appel, dont les détails ne sont pas disponibles.