Trois morts sans raison : la faute au système ou la faute du législateur ?
Me Ian-Kristian Ladouceur Et Me François Dupin
2022-08-18 11:15:00
Ce n’est pas d’aujourd’hui que le journaliste s’intéresse au domaine du droit criminel appliqué à la santé mentale, au manque d’encadrement et à ses conséquences sur les victimes de personnes souffrant de troubles mentaux, ces dernières pouvant devenir soudainement et sans avertissement extrêmement dangereux pour elles-mêmes et/ou la société. La chronique de monsieur Boisvert permet de faire un peu de lumière sur les limites du système de la psychiatrie légale du droit criminel, un sujet qui demeure souvent tabou et rempli de préjugés, la société ayant toujours "peur du fou" qui, selon certains, doit être encore plus surveillé et/ou puni (soit détenu dans un hôpital psychiatrique à caractère carcéral).
Aussi, le chroniqueur, avec raison, a mis en évidence la limite d’imposer un traitement médical à une personne qui a été trouvé non responsable pour cause de troubles mentaux sans de manière concomitante s’assurer d’un suivi intensif dans la communauté et ce, afin d’éviter que de tels événements tragiques surviennent en société.
Contrairement au discours médical psychiatrique radical, ce n’est pas en internant de manière indéfinie une personne dans un hôpital psychiatrique à caractère carcéral que l’on va réduire le risque pour la société. Le temps est maintenant venu pour que le gouvernement du Québec investisse massivement dans le système de santé et de services sociaux psychiatrique afin d’offrir à ces personnes, nos concitoyens malades, une chance de s’en sortir et de cesser de souffrir de délires psychiatriques qui les rendent dangereux.
Sans réelle politique sociale et sans investissement important pour s’assurer de la réintégration sociale des personnes trouvées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux, la société va continuer à être témoin d’événements tragiques. Il ne s’agit donc pas de modifier une législation aux fins de la rendre plus répressive à l’égard de ses personnes qui sont malades mais il faut s’assurer que des ressources humaines soient disponibles sur le terrain afin d’assurer un suivi médical et psychosocial efficace pour les personnes souffrant de troubles mentaux.
Ainsi, pour éviter l’imprévisible et le tragique, il ne s’agit pas de se débarrasser de ses personnes en les enfermant dans un système psychiatrique à caractère carcéral comme l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel. De plus, on ne pourra jamais prévenir à 100% des meurtres aussi absurdes ou gratuits que ceux survenus la semaine dernière par la seule imposition d’une médication psychiatrique sans suivi intensif dans le milieu et en communauté.
Ce qui peut expliquer indirectement en partie ces crimes gratuits résident dans le sous-financement des services psychosociaux en communauté pour ces personnes à risque. Le 24 octobre 2006, dans un article paru dans le Soleil, nous dénoncions déjà le sous-financement des services sociaux et le manque de ressources humaines pour s’occuper de nos concitoyens souffrant d’une problématique de santé mentale. En effet, ce n’est pas parce que la législation actuelle est trop permissive que des gestes de folies meurtrières surviennent, et il importe de recentrer le vrai débat sur les conséquences médicales, juridiques et éthiques qui découlent d’un tel sous-financement.
Aujourd’hui, dans le journal La Presse du 9 août 2022, on apprenait des travailleurs œuvrant en psychiatrie à Laval que les services sont minés par un manque de personnel majeur, qu’un seul psychiatre est disponible pour assurer les suivis intensifs et communautaires pour toute la région de Laval et que les deux équipes de suivis intensifs ne sont composés que de 14 postes alors qu’ils devraient être à 23! Comment est-il possible alors de s’assurer du suivi de centaines de personnes malades et potentiellement dangereuses alors qu’il y a une surcharge de travail pour les services sociaux ?
Ainsi, en matière de droit de la santé mentale et de protection de la société, le législateur québécois a intérêt à placer au centre de ses priorités la personne souffrant de problèmes psychiatriques, sa réintégration et son suivi médical et psychosocial en communauté, au risque d’en payer un lourd tribut. Évidemment, il faut traiter médicalement (quand cela est possible) la maladie des personnes souffrant d’un problème psychiatrique, mais cela doit se faire conjointement avec des services sociaux efficaces et disponibles, en lien avec la communauté.
Le constat d’échec du système psychiatrique posé par le journaliste Yves Boisvert devient donc sans équivoque et l’on espère qu’une enquête du coroner pourra élucider ce qui s’est véritablement produit ou non avec le suivi médical et psychosocial d’Abdullah Shaikh, entre le mois de mars 2022 et le 4 août 2022 et qui était, sur papier, rappelons-le, sous la responsabilité de la Cité de la Santé de Laval et de son médecin psychiatre traitant.
Il faudrait donc s’interroger sur ces cinq mois qui ont suivi la prise en charge de l’établissement de santé du patient, mesurer l’isolement social et la suffisance du suivi médical et social dans lequel se retrouve une personne sous la juridiction de la Commission d’examen des troubles mentaux, une fois que la décision de libération avec conditions fût rendue.
L’établissement de la Cité de la santé de Laval et ses médecins avaient-ils les ressources requises pour soigner et suivre une clientèle sujette à se criminaliser en dehors des murs de l’établissement de santé et en communauté? Ces crimes perpétrés la semaine dernière pouvaient-ils être évités ? Des recommandations pour promouvoir un continuum de soins psychiatriques -enfant pauvre du spectre des services médicaux, semble-t-il- s’imposent-elles ?
Il est donc important ici de rappeler la fin d’une politique de santé psychiatrique répressive et contraire par l’Association mondiale de psychiatrie depuis la fin des années 1980. Les personnes plus éclairées et plus proches peut-être des réalités quotidiennes des personnes souffrant de problèmes de santé mentale proposent plutôt le renforcement des supports sociaux aux patients et à leur famille, pour éviter les explosions –toujours imprévisibles- et la continuité des soins et services-notamment communautaires- pour assurer le suivi des traitements et éviter la perte de vies humaines innocentes.
Ian-Kristian Ladouceur est avocat depuis 1998. Une partie de sa pratique est concentrée sur la représentation devant tous les tribunaux des personnes vulnérables, souffrant d’un problème de santé mentale ou neurocognitifs et des personnes âgées exploitées financièrement.
François Dupin est avocat depuis 1975, promu avocat émérite, conférencier, professeur et a été avocat plaideur au Curateur public du Québec pendant 26 ans.
Anonyme
il y a 2 ansBeaucoup de gens approuveraient une telle idée, mais l'argent est englouti pour subventionner une immigration difficilement intégrable.