Faut-il interdire TikTok aux avocats?
Marie-ève Buisson
2023-03-06 15:00:00
Le TikToker et fondateur du cabinet Alter Lexis, Alexandre Langlois, ne se positionne pas encore sur le sujet, car il préfère avant tout évaluer les pours et les contres d’arrêter de faire des vidéos éducatives sur la profession du droit.
Dans un récent article de Droit-Inc, plusieurs avocats vouaient l’utilisation de TikTok pour faire du marketing et pour faire de la vulgarisation juridique.
« En ce moment, je soupèse les avantages et les risques de rendre accessible le droit sur TikTok. J’essaie donc d’évaluer ma propre utilisation de l’application tout en prenant en compte la problématique soulevée par le gouvernement », se confie-t-il.
Selon l’avocat, il manquerait aussi beaucoup d’informations sur les dangers de cyberattaques lors de l’utilisation de l’application.
« Se positionner en ce moment sur cette situation-là, c’est difficile. Pour l’instant, je ne veux pas interdire l’application dans mon cabinet. La décision va se prendre lorsque j’aurai plus d’informations sur les risques d’attaque au niveau des renseignements de la vie privée », explique-t-il.
TikTok et les cyberattaques
TikTok risque-t-elle de compromettre les données confidentielles de vos clients?
Selon Vincent Lambert, analyste en cybersécurité chez Henri & Wolf, l’application pourrait avoir accès à plusieurs informations contenues dans un cellulaire.
« Selon le magazine Wired et plusieurs autres sources, TikTok aurait un accès direct aux informations qui ont été utilisées lors d’un copier-coller (clipboard). Si tu transfères une information en copiant-collant, ils peuvent avoir accès à ton nom, ton âge, tes numéros de téléphone, emails, les données biométriques, ce que tu regardes, le temps que tu le regardes, ce que tu regardes dans d’autres applications actives, etc », détaille-il.
La politique de confidentialité de TikTok démontre qu’elle a accès à la localisation de l’utilisateur, son âge, le modèle de son appareil, les identifiants de l’appareil, le système d’exploitation, l’état de la batterie, les noms et les types d’applications et plus encore.
Selon Vincent Lambert, la meilleure solution pour protéger les données des clients serait d’avoir deux téléphones, un personnel et un autre pour le travail.
Le cellulaire pour le travail ne devrait toutefois pas contenir des applications de médias sociaux comme Messenger, Facebook, Instagram ou TikTok. « Il est en effet plus sain d’avoir deux téléphones. Même si ce n’est pas toujours 100% efficace, ça rajoute une mesure de sécurité additionnelle », ajoute-t-il.
Pour Frédérique Turnier-Caron, stagiaire en droit des technologies de l’information chez Henri & Wolf, l’utilisation de deux cellulaires n’est pas la solution à tout.
« Avoir deux téléphones en soi ça permet une meilleure ségrégation entre les activités personnelles et professionnelles. Néanmoins, j’aurais tendance à dire que la réponse à cette question devrait être un choix personnel et non une option imposée. Il est possible d’avoir des pratiques sécuritaires en lien avec l’usage des téléphones cellulaires ».
Et le Barreau dans tout ça?
Pour le moment, le Barreau du Québec demande à tous ses membres de faire appel à leur meilleur jugement et de rester informés.
« De nouveaux faits d’actualité font régulièrement la lumière sur des failles dans la façon dont certaines applications collectent et gèrent les informations confidentielles. Les avocats et les avocates doivent tenir compte de ces développements quand ils choisissent d’utiliser ces outils », peut-on lire dans un échange de courriels.
Celui-ci recommande également aux avocats de faire preuve de vigilance avec tout outil technologique susceptible de compromettre la protection des informations confidentielles de leurs clients.
« Les avocats sont responsables de s’assurer que le choix des technologies qu’ils utilisent et l’usage qu’ils en font ne menacent pas la protection de ces renseignements », ajoutent le Barreau
Le Barreau rappelle aussi à tous ses membres que cette obligation est prévue par plusieurs lois et règlements dont le Code de déontologie, la Loi sur le Barreau, le Code des professions et la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information.
Bannir TikTok?
TikTok devrait être banni sur les cellulaires de travail des avocats, selon Vincent Lambert. « Au même titre que toutes les personnalités publiques, les avocats ne devraient pas avoir accès à TikTok sur leur téléphone de travail. Toutes les compagnies qui travaillent avec des données confidentielles ou sensibles devraient utiliser un autre téléphone pour pouvoir utiliser TikTok ».
Selon René Vergé, avocat senior chez Henri & Wolf, « tout ce que TikTok fait, Facebook le fait depuis des années, mais on choisit de se fermer les yeux. Et les entreprises sont bien contentes de l’utiliser. Bien entendu, avec TikTok, l’aspect géopolitique et économique n’est pas négligeable », explique-t-il.
Frédérique Turnier-Caron ajoute: « c’est trendy en ce moment de remettre en question l’usage de TikTok, mais il ne faut pas non plus se mettre des œillères quant aux pratiques des autres plateformes ».
« Il y a moyen d’utiliser des plateformes comme TikTok, Facebook ou Instagram de manière sécuritaire. Notamment en employant des navigateurs de recherche qui limitent la collecte de cookies, d’utiliser des fenêtres privées, d’utiliser les plateformes sur les navigateurs de recherche plutôt que sur les applications, etc. Mais ça implique souvent un savoir et des compétences en informatique. À cet égard, j'encourage fortement les gens à lire les politiques de confidentialité et de revoir leurs paramètres de sécurité sur ces plateformes », conclut-elle.