Le TAT fustige Hydro-Québec
Didier Bert
2023-09-15 15:00:00
L’histoire débute en mars 2017, quand Mody Oury Barry est nommé cadre de premier niveau à titre de chef, gestion et qualité de l’information (GQI). Cela fait alors huit ans qu’il est à l’emploi d’Hydro-Québec.
Sa hiérarchie lui fixe comme mandat de redresser les performances de l’équipe.
« Par exemple, il incombe désormais à monsieur Barry de gérer la situation des salariés aux prises avec un problème de rendement insuffisant. De plus, il est appelé à retirer une prime de chargé d’équipe à une personne qui ne répond plus aux conditions pour y avoir droit », précise le jugement du TAT, rendu par le juge administratif Pierre-Étienne Morand le 1ᵉʳ septembre à Québec.
Des « propos racistes » attendus
Dès sa nomination comme cadre de premier niveau, sa responsable hiérarchique le met en garde, s’attendant à ce qu’il soit victime de racisme: « l’équipe qu’il aura à gérer est « difficile » et il pourrait devoir subir des propos racistes en raison de la couleur de sa peau. »
Des gens se plaignent de lui. Le tribunal relève qu’il ne s’agit que de perceptions, sans qu’on sache jamais de quoi exactement ils se plaignent. Cela n’empêche pas sa supérieure hiérarchique de le court-circuiter. En s’appuyant sur les résultats insatisfaisants d'un sondage dans son équipe, Hydro-Québec exige un changement draconien de sa part, ou qu'il retourne à son ancien poste.
Ses supérieurs hiérarchiques ne cherchent pas à valider le fondement des plaintes informelles. L’employeur lui impose un plan de redressement « incompréhensible », écrit le juge administratif.
L’évaluation suivante est basée sur des perceptions, qu’un psychologue industriel doit recueillir. Épuisé, le demandeur part en arrêt maladie durant plusieurs mois. Le psychologue industriel complète son étude sans que le demandeur ait pu participer.
Et quand M. Barry dépose une plainte, « malgré le sérieux des allégations et l’importance que la société d’État déclare accorder à l’importance d’un milieu de travail sain dans sa politique interne, ça avance à pas de tortue », blâme le juge administratif Pierre-Étienne Morand.
Congédié sans ménagement
À son retour au travail en septembre 2019, après son arrêt de maladie, l’employeur « le prend par surprise en lui demandant des explications sur des choses qu’on aurait notées pendant son absence. Et ce, sans même d’abord s’enquérir de son état de santé », fustige le jugement. « On l’assigne plutôt à sa résidence, lui demandant de ne communiquer avec personne et de préparer la version des faits qu’il offrira en rapport avec les manquements qu’on lui impute. »
Une fois que M. Barry a fourni sa version des faits, il est renvoyé chez lui. « Quelques jours plus tard, on lui demande de fournir des précisions sur la dénonciation de harcèlement psychologique qu’il a faite. »
« Ces mesures de représailles et la suspension constituent des pratiques interdites par la LNT (Loi sur les normes du travail, ndlr), ainsi qu’un congédiement déguisé », écrit le juge administratif.
Par la suite, « le directeur des ressources humaines l’apostrophe par écrit en lui reprochant de n’avoir pas encore répondu aux questions en lien avec la recevabilité de sa plainte, l’informant du même coup qu’il n’aura accès à aucun bureau. Le ton du courriel est inexplicable. »
M. Barry est congédié le 5 novembre 2018. « Ce congédiement est non seulement illégal parce qu’imposé en représailles à l’exercice par le plaignant de droits qui lui résultent de la LNT, mais il est sans cause juste et suffisante. De plus, les raisons qu’on invoque à son soutien ne constituent que des prétextes », déplore le jugement.
Le TAT reconnaît donc que M. Barry a fait l'objet d'un congédiement déguisé, et il annule ce congédiement. Le tribunal se réserve de déterminer les mesures de réparation appropriées.
Victime de harcèlement psychologique
Non seulement M. Barry est congédié illégalement, mais le tribunal administratif reconnaît aussi que le demandeur est victime de harcèlement psychologique.
Le 2 juillet 2019, huit mois après avoir été congédié, « on l’informe que malgré que l’enquêtrice a jugé sa plainte fondée, on n’y donnera pas suite. »
La réalité est que « à l’évidence, Hydro-Québec, soucieuse d’avoir de bons résultats dans un sondage, s’est trouvée à faire de monsieur Barry le seul coupable du climat de travail au sein d’une équipe qui est dysfonctionnelle depuis plusieurs années. Plutôt que de chercher à l’aider authentiquement, la société d’État, agissant ici par les faits et gestes de ses supérieurs, l’a abandonné à son sort, en en faisant le bouc émissaire d’une situation qu’elle aurait dû gérer », tance le juge administratif Pierre-Étienne Morand.
Le tribunal décide donc d’accueillir la plainte en harcèlement psychologique. Il ordonne à Hydro-Québec de cesser d’exercer les mesures de représailles, et il annule celles pratiquées contre M. Barry, de même que la suspension qui lui avait été imposée.
« Abandonné par son employeur »
De plus, le tribunal ordonne à Hydro-Québec de réintégrer M. Barry dans son emploi, sous huit jours, et de lui verser la somme équivalente au salaire et aux avantages, dont le congédiement l’a privé.
Le juge administratif rend hommage au demandeur. « Cela n’a pas été facile pour monsieur Barry, mais il a tenu le fort du mieux qu’il a pu, en faisant preuve de résilience et de persévérance et en cherchant à s’améliorer. Mais il a carrément été abandonné par son employeur comme cadre, conditionnant en définitive son maintien en poste à la cote de popularité qu’il pourrait susciter chez les membres de son équipe. »
Hydro-Québec était représenté par Me Pierrick Bazinet, avocat chez Gravel2 Avocats. Celui-ci a indiqué à Droit-inc ne pas avoir de commentaires à partager sur ce dossier.
Mody Oury Barry était représenté par Me Grégoire Deniger, avocat à l’Association professionnelle des cadres de premier niveau d’Hydro-Québec, qui n’a pas répondu à notre demande de commentaires.
Anonyme
il y a un anBarry c. Hydro-Québec, 2023 QCTAT 3987.
A
il y a un anLe lien est au premier paragraphe.