Carrière et Formation

Immersion au cœur du droit international pénal et des conflits mondiaux

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Sonia Semere

2025-03-06 14:15:46

Johann Soufi. Source : LinkedIn
Johann Soufi. Source : LinkedIn
Entre justice et réalités du terrain, le droit pénal international exige une adaptation constante. Du Rwanda à Gaza, un avocat revient sur son expérience, au cœur des conflits…

Un parcours hors du commun. À 40 ans passés, Johann Soufi, avocat et procureur spécialisé dans le domaine de la justice pénale internationale, a couvert certains des plus grands conflits mondiaux.

Mais en quoi consiste précisément la carrière d’un juriste en droit pénal international ? Quels sont les défis et les enjeux d’un tel parcours ? Il raconte à Droit-inc les coulisses de son métier.

Un parcours entre enquêtes de terrain et réflexion académique

Chercheur en droit pénal international aux universités Laval (Québec) et Paris II Panthéon-Assas (France), Johann Soufi consacre sa thèse à « la politique pénale du Procureur de la Cour pénale internationale à l’épreuve du terrain ».

Le terrain, il le connaît bien. Pour le compte des Nations Unies, il a mené des enquêtes criminelles et exercé ses fonctions aux quatre coins du monde : Rwanda, Timor-Oriental, Liban, Côte d’Ivoire, Centrafrique, Mali, Palestine, Ukraine... Autant de contextes différents, mais un même engagement : mettre le droit au service de la justice internationale et des victimes.

Des débuts marqués par le Tribunal pénal international pour le Rwanda

Cette carrière internationale, Me Soufi l’a longtemps rêvée sur les bancs de la faculté de droit de Cergy, en banlieue parisienne. L’opportunité se présente rapidement lorsqu’en 2007, un confrère lui propose de rejoindre l’équipe de défense d’un haut fonctionnaire rwandais accusé de génocide devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).

Enquêter sur place, rencontrer des témoins, préparer des interrogatoires… Une immersion directe dans la justice internationale. Il enchaîne avec un poste de conseiller juridique auprès de la présidente du TPIR, notamment lors du procès d’anciens ministres, avant de rejoindre le Tribunal spécial pour la Sierra Leone.

Il y travaille sur le procès de l’ancien président du Liberia, Charles Taylor, condamné à 50 ans de prison pour crimes contre l’humanité. Il part ensuite pour le Timor-Oriental afin d’enquêter sur les crimes internationaux commis sous l’occupation indonésienne.

Le Tribunal spécial pour le Liban : une justice sans accusés

Son parcours le conduit ensuite au Tribunal spécial pour le Liban (TSL), chargé d’enquêter sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafiq Hariri. « Ce tribunal avait un mandat très spécifique : il permettait de juger les accusés par défaut, en leur absence », souligne-t-il. Une approche inédite dans la justice internationale.

Pour garantir l’équilibre du procès, l’ONU crée alors le premier Bureau indépendant de la défense, une entité intégrée à la juridiction et placée au même niveau que le Bureau du Procureur.

« Notre mandat ? Veiller au respect du droit des accusés à un procès équitable, même en leur absence. Dans un contexte politique sensible, c’était essentiel pour la crédibilité du procès et la légitimité de l’institution » explique t-il.

Deux années à Gaza au cœur de l’UNRWA

Après une mission pour la Commission d’enquête des Nations Unies au Mali, Me Soufi se rend à Gaza, où il dirige de 2020 à fin 2022 le Bureau des affaires juridiques de l’UNRWA, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens.

« UNRWA gérait presque tous les services essentiels : éducation, santé, aide alimentaire, suivi psycho-social... Sur une population de 2,2 millions d’habitants, plus de 1,6 million sont des réfugiés qui dépendaient de l’agence pour leurs besoins humanitaires primaires ».

Son rôle mêle juridique, humanitaire et diplomatie. Contrats relatifs à la provision d’aide humanitaire, droit du travail, enquêtes internes, négociations dans un environnement politique et sécuritaire sous tension…

« Chaque jour, il fallait jongler entre exigences juridiques, contraintes opérationnelles et réalités du terrain », explique-t-il.

Il décrit cette expérience avec une émotion particulière : « J’avais envie de voir Gaza de mes propres yeux, cette prison à ciel ouvert. J’y ai rencontré des gens privés de liberté et d’espoir, mais d’une humanité et d’une générosité incomparables. Ce qu’ils vivent aujourd’hui me bouleverse profondément ».

Une double expertise : juridique et culturelle

Après Gaza, direction l’Ukraine, puis Genève, où il dirige aujourd’hui un projet du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme sur la justice pour les victimes de la guerre civile au Sri Lanka.

Mais comment s’adapter à chaque nouvelle mission, à un pays, une culture, un contexte géopolitique différent ? Selon lui, deux compétences sont essentielles : une expertise juridique solide et une compréhension du contexte.

« L’expertise juridique permet de s’appuyer sur des bases communes. Quand on maîtrise bien le droit pénal international et le droit humanitaire, on retrouve toujours des repères, quel que soit le tribunal ou l’institution pour laquelle on travaille ».

Mais la dimension contextuelle et culturelle est tout aussi cruciale. « Tu ne peux pas arriver avec tes certitudes et tes repères. Il faut apprendre l’histoire et la culture du pays où tu travailles : lire la presse locale, écouter la radio, échanger avec la population. C’est un apprentissage quotidien ».

Lorsqu’on lui demande la principale leçon qu’il retient de sa carrière, il insiste sur ce dernier point : « Des notions aussi fondamentales que la justice, la vérité, la réconciliation ou la réparation varient profondément selon les cultures. Même la conception du temps, de la vie et de la mort n’est pas universelle. Ces différences influencent la manière dont les sociétés perçoivent la justice pénale internationale, sa légitimité et les attentes qu’elles y placent.»

C’est d’ailleurs une question qu’il explore dans ses recherches académiques, en étudiant comment le Procureur de la CPI pourrait mieux intégrer cette expertise culturelle dans sa politique pénale.

« Un défi, tant la justice pénale internationale demeure formatée par une approche standardisée et par une centralisation excessive », explique-t-il.

Les défis d’une carrière internationale

Une carrière en droit pénal international peut faire rêver. Mais qu’en est-il de la réalité du terrain ? Selon Me Soufi, ce métier impose une remise en question permanente et une grande capacité d’adaptation.

Il souligne aussi les défis personnels. « Les missions sont courtes et peuvent s’arrêter du jour au lendemain. Les déplacements en zones de conflit sont fréquents. C’est une vie instable, difficilement compatible avec une famille ».

Et puis, il y a la politique. « Le droit pénal international évolue souvent à la frontière du droit et de la politique, ce qui peut être source de grandes frustrations ».

Malgré tout, il reste optimiste. « Nous vivons une période extrêmement difficile pour le droit et la justice internationale, mais selon-moi, c’était inévitable. Le système actuel était à bout de souffle. Aujourd’hui, nous assistons à une profonde réforme du multilatéralisme, à une transition vers un modèle peut-être plus juste et plus équitable. C’est soit cela, soit des jours encore plus sombres qui se profilent » conclut-il.

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